Horace. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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autant de soin et de zèle que s'il n'eût pas songé à changer de carrière. Ce calme dans le présent avec cette agitation pour l'avenir me frappait d'admiration. C'est un des assemblages de facultés les plus rares qui soient dans l'homme; la jeunesse surtout est portée à s'endormir dans le présent sans souci du lendemain ou à dévorer le présent dans l'attente fiévreuse de l'avenir.

      Horace semblait l'antipode volontaire et raisonné de ce caractère. Peu de jours m'avaient suffi pour me convaincre qu'il ne travaillait pas, quoiqu'il prétendît réparer en quelques heures de veille toute l'oisiveté de la semaine. Il n'en était rien. Il n'avait pas été trois fois dans sa vie au cours de droit; il n'avait peut-être pas ouvert plus souvent ses livres; et un jour que j'examinais les rayons de sa chambre, je n'y trouvai que des romans et des poèmes. Il m'avoua que tous ses livres de droit étaient vendus.

      Cet aveu en entraîna d'autres. Je craignais que ce besoin d'argent ne fût l'effet d'une conduite légère; il se justifia en me disant que ses parents n'avaient aucune fortune; et sans me faire connaître le chiffre du revenu qui lui était assigné, il m'assura que sa bonne mère était dans une étrange illusion en se persuadant qu'elle lui envoyait de quoi vivre à Paris.

      Je n'osai pousser plus loin mon interrogatoire; mais je jetai un regard involontaire sur la garde-robe élégante et bien fournie de mon jeune ami: rien ne lui manquait. Il avait plus de gilets, d'habits et de redingotes que moi, qui jouissais d'un héritage de trois mille francs de rente. Je devinai que le tailleur allait devenir le fléau de cette existence. Je ne me trompai pas. Bientôt je vis le front d'Horace se rembrunir, sa parole devenir plus brève et son ton plus incisif. Il fallut plus d'une semaine pour le confesser. Enfin je lui arrachai l'aveu de son outrage. L'infâme tailleur s'était permis de présenter son mémoire, le misérable! Cela méritait des coups de canne! C'était encore un signe de vertu, que cette indignation; Horace n'en était pas au degré de perversité où l'on se vante de ses dettes et où l'on rit avec fanfaronnade à l'idée de voir fondre sur les parents une note de trois ou quatre mille francs. D'ailleurs il chérissait profondément sa mère, quoiqu'il la trouvât bornée; et il était bon fils, quoiqu'il eût un secret mépris pour la dépendance où son père vivait à l'égard du gouvernement.

      Le voyant tomber dans le spleen, je pris sur moi de dire au tailleur quelques mots qui le tranquillisèrent; et Horace, après m'avoir remercié avec une effusion extrême, reprit sa sérénité.

      Mais son oisiveté ne cessa point, et son genre de vie, pour n'avoir rien que de très-ordinaire dans un étudiant, me causa une vive surprise à mesure que je l'observai. Comment concilier, en effet, cette ardeur de gloire, ces rêves d'activité parlementaire et de supériorité politique, avec la profonde inertie et la voluptueuse nonchalance d'un tel tempérament? Il semblait que la vie dût être cent fois trop longue pour le peu qu'il y avait à faire. Il perdait les heures, les jours et les semaines avec une insouciance vraiment royale. C'était quelque chose de beau à contempler que ce fier jeune homme aux formes athlétiques, à la noire chevelure, à l'oeil de flamme, couché du matin à la nuit sur le divan de mon balcon, fumant une énorme pipe (dont il fallait tous les jours renouveler la cheminée, parce qu'en la secouant sur les barreaux du balcon, il ne manquait jamais de laisser tomber la capsule dans la rue), et feuilletant un roman de Balzac ou un volume de Lamartine, sans daigner lire un chapitre ou un morceau entier. Je le laissais là pour aller travailler, et quand je revenais de la clinique ou de l'hôpital, je le retrouvais assoupi à la même place, presque dans la même attitude. Eugénie, condamnée à subir cet étrange tête-à-tête, et n'ayant, du reste, pas à s'en plaindre personnellement, car il daignait à peine lui adresser la parole (la regardant plutôt comme un meuble que comme une personne), était indignée de cette paresse princière. Quant à moi, je commençais à sourire lorsque, les yeux encore appesantis par une rêverie somnolente, il reprenait ses divagations sur la gloire, la politique et la puissance.

      Cependant aucune idée de blâme ou de mépris ne se mêlait à mon doute. Tous les jours, après le dîner, nous nous retrouvions, Horace et moi, au Luxembourg, au café ou à l'Odéon, au milieu d'un groupe assez nombreux, composé de ses amis et des miens; et là, Horace pérorait avec une rare facilité. Sur toutes choses il était le plus compétent, quoiqu'il fût le plus jeune; en toutes choses il était le plus hardi, le plus passionné, le plus avancé, comme on disait alors, et comme on dit, je crois, encore aujourd'hui. Ceux, même qui ne l'aimaient pas, parmi les auditeurs, étaient forcés de l'écouter avec intérêt, et ses contradicteurs montraient en général plus de méfiance et de dépit que de justice et de bonne foi. C'est que là Horace reprenait tous ses avantages: la discussion était sur son terrain; et chacun s'avouait intérieurement que s'il n'était pas logicien infaillible, du moins il était orateur fécond, ingénieux et chaud. Ceux qui ne le connaissaient pas croyaient le renverser, en disant que c'était un homme sans fond, sans idées, qui avait travaillé immensément, et dont toute l'inspiration n'était que le résultat d'une culture minutieuse. Pour moi, qui savais si bien le contraire, j'admirais cette puissance d'intuition, à laquelle il suffisait d'effleurer chaque chose en passant pour se l'assimiler et pour lui donner aussitôt toutes sortes de développements au hasard de l'improvisation. C'était à coup sûr une organisation privilégiée, et pour laquelle on pouvait augurer qu'il serait toujours temps, puisqu'il lui en fallait si peu pour s'élargir et se compléter.

      Sa présence assidue chez moi était un véritable supplice pour Eugénie. Comme toutes les personnes actives et laborieuses, elle ne pouvait avoir sous les yeux le spectacle de l'inaction prolongée, sans en ressentir un malaise qui allait jusqu'à la souffrance. N'étant point actif par nature, mais par raisonnement et par nécessité, je n'étais pas aussi révolté qu'elle, d'ailleurs je me plaisais à croire que cette inaction n'était qu'une défaillance passagère dans les forces de mon jeune ami, et que bientôt il donnerait, comme il disait, un vigoureux coup de collier.

      Cependant, comme deux mois s'étaient écoulés sans apporter aucun changement à cette manière d'être, je crus de mon devoir d'aider au réveil du lion, et j'essayai un jour d'aborder ce point délicat, en prenant le café avec lui chez Poisson. La journée avait été orageuse, et de grands éclairs faisaient par intervalles bleuir la verdure des marronniers du Luxembourg. La dame du comptoir était belle comme à l'ordinaire, plus qu'à l'ordinaire peut-être; car la mélancolie habituelle de son visage était en harmonie avec cette soirée pleine de langueur et à demi sombre.

      Horace tourna plusieurs fois les yeux vers elle, et revenant à moi: «Je m'étonne, dit-il, qu'étant capable de devenir sérieusement épris d'une femme de ce genre, vous n'ayez pas conçu une grande passion pour celle-ci.

      – Elle est admirablement belle, lui dis-je; mais j'ai le bonheur de ne jamais avoir d'yeux que pour la femme que j'aime. Ce serait plutôt à moi de m'étonner qu'ayant le coeur libre, vous ne fassiez pas plus d'attention à ce profil grec et à cette taille de nymphe.

      – La Polymnie du Musée est aussi belle, répondit Horace, et elle a sur celle-ci de grands avantages. D'abord elle ne parle point, et celle-ci me désenchanterait au premier mot qu'elle dirait. Ensuite celle du Musée n'est pas limonadière, et en troisième lieu elle ne s'appelle point madame Poisson. Madame Poisson! quel nom! Vous allez encore blâmer mon aristocratie; mais vous-même, voyons! Si Eugénie s'était appelée Margot ou Javotte…

      – J'eusse mieux aimé Margot ou Javotte que Léocadie ou Phoedora. Mais laissez-moi vous dire, Horace, que vous me cachez quelque chose: vous devenez amoureux?»

      Horace me tendit son bras. – Docteur, s'écria-t-il en riant, tâtez-moi le pouls; ce doit être un amour bien tranquille, puisque je ne m'en aperçois pas. Mais pourquoi avez-vous une pareille idée?

      – Parce que vous ne songez plus à la politique.

      – Où prenez-vous cela? J'y pense plus que jamais. Mais ne peut-on marcher à son but que par une seule voie?

      – Oh! quelle est donc celle où vous marchez? Je sais bien que pour moi le far-niente serait le bonheur. Mais pour qui aime la gloire…

      – La gloire vient trouver ceux qui l'aiment d'un amour délicat et fier. Pour moi, plus je réfléchis, plus je trouve l'étude du droit inconciliable avec mon organisation,