Horace. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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compagnons raillent beaucoup mon innocence; ils font les don Juan sous mes yeux pour me tenter ou m'éblouir, et je vous assure qu'ils le font à bon marché. Je leur souhaite bien du plaisir; mais j'en désire un autre pour mon compte. A quoi songez-vous? ajouta-t-il en me voyant détourner la tête pour lui cacher une forte envie de rire.

      – Je songe, lui dis-je, que j'ai demain à déjeuner chez moi une grisette fort aimable, à laquelle je veux vous présenter.

      – Oh! que Dieu me préserve de ces parties-là! s'écria-t-il. J'ai cinq ou six de mes amis que je suis condamné à ne plus entrevoir qu'à travers le fantôme léger de leurs ménagères à la quinzaine. Je sais par coeur le vocabulaire de ces femelles. Fi, vous me scandalisez, vous que je croyais plus grave que tous ces absurdes compagnon! Je les fuis depuis huit jours pour m'attacher à vous, qui me semblez un homme sérieux, et qui, à coup sûr, avez des moeurs élégantes pour un étudiant; et voilà que vous avez une femme, vous aussi! Mon Dieu, où irai-je me cacher pour ne plus rencontrer de ces femmes-là?

      – Il faudra pourtant vous risquer à voir la mienne. Je vous dis que j'y tiens, et que j'irai vous chercher si vous ne venez pas déjeuner demain avec elle chez moi.

      – Si vous êtes dégoûté d'elle, je vous avertis que je ne suis pas l'homme qui vous en débarrasserai.

      – Mon cher Horace, je vais vous rassurer en vous déclarant que si vous étiez tenté de la débarrasser de moi, il faudrait commencer par me couper la gorge.

      – Parlez-vous sérieusement?

      – Le plus sérieusement du monde.

      – En ce cas, j'accepte votre invitation. J'aurai du plaisir à voir de plus près un véritable amour…

      – Pour une grisette, n'est-ce pas, cela vous étonne?

      – Eh bien! oui, cela m'étonne. Quant à moi, je n'ai jamais vu qu'une femme que j'aurais pu aimer, si elle avait eu vingt ans de moins. C'était une douairière de province, une châtelaine encore blonde, jadis belle, et parlant, marchant, accueillant et congédiant d'une certaine façon, auprès de laquelle toutes les femmes que j'avais vues jusque-là me semblèrent des gardeuses de dindons. Cette dame était d'une ancienne famille; elle avait la taille d'une guêpe, les mains d'une vierge de Raphaël, les pieds d'une sylphide, le visage d'une momie et la langue d'une vipère. Mais je me suis bien promis de ne jamais prendre une maîtresse belle, aimable et jeune, à moins qu'elle n'ait ces pieds et ces mains-là, et surtout ces manières aristocratiques, et beaucoup de dentelles blanches sur des cheveux blonds.

      – Mon cher Horace, lui dis-je, vous êtes encore loin du temps où vous aimerez, et peut-être n'aimerez-vous jamais.

      – Dieu vous entende! s'écria-t-il. Si j'aime une fois, je suis perdu. Adieu ma carrière politique; adieu mon austère et vaste avenir! Je ne sais rien être à demi. Voyons, serai-je orateur, serai-je poète, serai-je amoureux?

      – Si nous commencions par être étudiants? lui dis-je.

      – Hélas! vous en parlez à votre aise, répondit-il. Vous êtes étudiant et amoureux. Moi, je n'aime pas, et j'étudie encore moins!»

      III

      Horace m'inspirait le plus vif intérêt. Je n'étais pas absolument convaincu de cette force héroïque et de cet austère enthousiasme qu'il s'attribuait dans la sincérité de son coeur. Je voyais plutôt en lui un excellent enfant, généreux, candide, plus épris de beaux rêves que capable encore de les réaliser. Mais sa franchise et son aspiration continuelle vers les choses élevées me le faisaient aimer sans que j'eusse besoin de le regarder comme un héros. Cette fantaisie de sa part n'avait rien de déplaisant: elle témoignait de son amour pour le beau idéal. De deux choses l'une, me disais-je: ou il est appelé à être un homme supérieur, et un instinct secret auquel il obéit naïvement le lui révèle, ou il n'est qu'un brave jeune homme, qui, cette fièvre apaisée, verra éclore en lui une bonté douce, une conscience paisible, échauffée de temps à autre par un rayon d'enthousiasme.

      Après tout, je l'aimais mieux sous ce dernier aspect. J'eusse été plus sûr de lui voir perdre cette fatuité candide sans perdre l'amour du beau et du bien. L'homme supérieur a une terrible destinée devant lui. Les obstacles l'exaspèrent, et son orgueil est parfois tenace et violent, au point de l'égarer et de changer en une puissance funeste celle que Dieu lui avait donnée pour le bien. D'une manière ou de l'autre, Horace me plaisait et m'attachait. Ou j'avais à le seconder dans sa force, ou j'avais à le secourir dans sa faiblesse. J'étais plus âgé que lui de cinq à six ans; j'étais doué d'une nature plus calme; mes projets d'avenir étaient assis et ne me causaient plus de souci personnel. Dans l'âge des passions, j'étais préservé des fautes et des souffrances par une affection pleine de douceur et de vérité. Je sentais que tout ce bonheur était un don gratuit de la Providence, que je ne l'avais pas mérité assez pour en jouir seul, et que je devais faire profiter quelqu'un de cette sérénité de mon âme, en la posant comme un calmant sur une autre âme irritable ou envenimée. Je raisonnais en médecin; mais mon intention était bonne, et, sauf à répéter les innocentes vanteries de mon pauvre Horace, je dirai que moi aussi, j'étais bon, et plus aimant que je ne savais l'exprimer.

      La seule chose clairement absurde et blâmable que j'eusse trouvée dans mon nouvel ami, c'était cette aspiration vers la femme aristocratique, en lui, républicain farouche, mauvais juge, à coup sûr, en fait de belles manières, et dédaigneux avec exagération des formes naïves et brusques, dont il n'était certes pas lui-même aussi décrassé qu'il en avait la prétention.

      J'avais résolu de lui faire faire connaissance avec Eugénie plus tôt que plus tard, m'imaginant que la vue de cette simple et noble créature changerait ses idées ou leur donnerait au moins un cours plus sage. Il la vit, et fut frappé de sa bonne grâce, mais il ne la trouva point aussi belle qu'il s'était imaginé devoir être une femme aimée sérieusement. «Elle n'est que bien, me dit-il entre deux portes. Il faut qu'elle ait énormément d'esprit. – Elle a plus de jugement que d'esprit, lui répondis-je, et ses anciennes compagnes l'ont jugée fort sotte.

      Elle servit notre modeste déjeuner, qu'elle avait préparé elle-même, et cette action prosaïque souleva de dégoût le coeur altier d'Horace. Mais lorsqu'elle s'assit entre nous deux, et qu'elle lui fit les honneurs avec une aisance et une convenance parfaites, il fut frappé de respect, et changea tout à coup de manière d'être. Jusque-là il avait écrasé ma pauvre Eugénie de paradoxes fort spirituels qui ne l'avaient même pas fait sourire, ce qu'il avait pris pour un signe d'admiration. Lorsqu'il put pressentir en elle un juge au lieu d'une dupe, il devint sérieux, et prit autant de peine pour paraître grave, qu'il venait d'en prendre pour paraître léger. Il était trop tard. Il avait produit sur la sévère Eugénie une impression fâcheuse; mais elle ne lui en témoigna rien, et à peine le déjeuner fut-il achevé, qu'elle se retira dans un coin de la chambre et se mit à coudre, ni plus ni moins qu'une grisette ordinaire. Horace sentit son respect s'en aller comme il était venu.

      Mon petit appartement, situé sur le quai des Augustins, était composé de trois pièces, et ne me coûtait pas moins de trois cents francs de loyer. J'étais dans mes meubles: c'était du luxe pour un étudiant. J'avais une salle à manger, une chambre à coucher, et, entre les deux, un cabinet d'étude que je décorais du nom de salon. C'est là que nous primes le café. Horace, voyant des cigares, en alluma un sans façon. – Pardon, lui dis-je en lui prenant le bras, ceci déplaît à Eugénie; je ne fume jamais que sur le balcon. Il prit la peine de demander pardon à Eugénie de sa distraction; mais au fond il était surpris de me voir traiter ainsi une femme qui était en train d'ourler mes cravates.

      Mon balcon couronnait le dernier étage de la maison. Eugénie l'avait ombragé de liserons et de pots de senteur, qu'elle avait semés dans deux caisses d'oranger. Les orangers étaient fleuris, et quelques pots de violettes et de réséda complétaient les délices de mon divan. Je fis a Horace les honneurs du morceau de vieille tenture qui me servait de tapis d'Orient, et du coussin de cuir sur lequel j'appuyais mon coude pour fumer ni plus ni moins voluptueusement qu'un pacha. La vitre de la fenêtre séparait le divan de la chaise sur laquelle Eugénie travaillait dans le