Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau flacon d'argent qui fût dans le logis. Elle ne fut pas plus tôt arrivée à la fontaine, qu'elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue, qui vint lui demander à boire; c'était la même fée, qui avait pris l'air et les habits d'une princesse, pour voir jusqu'où irait la malhonnêteté de cette fille.
-Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner à boire? Justement, j'ai apporté un flacon d'argent tout exprès pour donner à boire à madame! j'en suis d'avis: buvez à même 78 si vous voulez.
–Vous n'êtes guère honnête, reprit la fée sans se mettre en colère. Eh bien, puisque vous êtes si obligeante, je vous donne pour don qu'à chaque parole que vous direz il vous sortira de la bouche ou un serpent, ou un crapaud.
D'abord que sa mère l'aperçut, elle lui cria:
–Eh bien, ma fille?
–Eh bien, ma mère, lui répondit la brutale en jetant deux vipères et deux crapauds.
–O ciel! s'écria la mère, que vois-je là. C'est sa soeur qui en est cause; elle me le paiera!
Et aussitôt elle courut pour la battre.
La pauvre enfant s'enfuit, et alla se sauver dans la forêt prochaine. Le fils du roi, qui revenait de la chasse, la rencontra; et, la voyant si belle, lui demanda ce qu'elle faisait la toute seule, et ce qu'elle avait à pleurer.
–Hélas! monsieur, c'est ma mère qui m'a chassée du logis.
Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, la pria de lui dire d'où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du roi en devint amoureux; et, considérant qu'un tel don valait mieux que tout ce qu'on pouvait donner en mariage à une autre, il l'emmena au palais du roi son père, où il l'épousa. Pour sa soeur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère la chassa de chez elle; et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir, alla mourir au coin d'un bois.
Les diamants et les pistoles
Peuvent beaucoup sur les esprits;
Cependant les douces paroles
Ont encor plus de force, et sont d'un plus grand prix.
L'honnêteté coûte des soins
Et veut un peu de complaisance;
Mais tôt on tard elle a sa récompense,
Et souvent dans le temps qu'on y pense le moins.
PEAU D'ANE
Il était une fois un roi, si grand, si aimé de ses peuples, si respecté de tous ses voisins et de ses alliés, qu'on pouvait dire qu'il était le plus heureux de tous les monarques. Son bonheur était encore confirmé par le choix qu'il avait fait d'une princesse aussi belle que vertueuse; et ces heureux époux vivaient dans une union parfaite. De leur chaste hymen était née une fille douée de tant de grâces et de charmes, qu'ils ne regrettaient point de n'avoir pas une plus ample lignée.
La magnificence, le goût et l'abondance régnaient dans son palais; les ministres étaient sages et habiles; les courtisans, vertueux et attachés; les domestiques, fidèles et laborieux; les écuries, vastes et remplies des plus beaux chevaux du monde, couverts de riches caparaçons. Mais ce qui étonnait les étrangers qui venaient admirer ces belles écuries, c'est qu'au lieu le plus apparent un maître âne étalait de longues et grandes oreilles. Ce n'était pas par fantaisie, mais avec raison, que le roi lui avait donné une place particulière et distinguée: les vertus de ce rare animal méritaient cette distinction, puisque la nature l'avait formé si extraordinaire, que sa litière, au lieu d'être malpropre, était couverte tous les matins, avec profusion, de beaux écus au soleil et de louis d'or de toute espèce, qu'on allait recueillir à son réveil.
Or, comme les vicissitudes de la vie s'étendent aussi bien sur les rois que sur les sujets, et que toujours les biens sont mêlés de quelques maux, le ciel permit que la reine fût tout à coup attaquée d'une âpre maladie, pour laquelle, malgré la science et l'habileté des médecins, on ne put trouver aucun secours. La désolation fut générale.
Le roi, sensible et amoureux, malgré le proverbe fameux qui dit que l'hymen est le tombeau de l'amour, s'affligeait sans modération, faisait des voeux ardents à tous les temples de son royaume, offrait sa vie pour celle d'une épouse si chérie; mais les dieux et les fées étaient invoqués en vain.
La reine, sentant sa dernière heure approcher, dit à son époux, qui fondait en larmes:
-Trouvez bon, 79 avant que je meure, que j'exige une chose de vous: c'est que, s'il vous prenait envie de vous remarier…
A ces mots, le roi fit des cris pitoyables, prit les mains de sa femme, les baigna de pleurs; et l'assurant qu'il était superflu de lui parler d'un second hyménée:
–Non, non, dit-il enfin, ma chère reine, parlez-moi plutôt de vous suivre!
–L'État, reprit la reine avec une fermeté qui augmentait les regrets de ce prince, l'État, qui doit exiger des successeurs, voyant que je ne vous ai donné qu'une fille, doit vous presser d'avoir des fils qui vous ressemblent; mais je vous demande instamment, par tout l'amour que vous avez eu pour moi, de ne céder à l'empressement de vos peuples que lorsque vous aurez trouvé une princesse plus belle et mieux faite que moi; j'en veux votre serment, et alors je mourrai contente.
On présume que la reine, qui ne manquait pas d'amour-propre, avait exigé ce serment, pensant bien que, ne croyant pas qu'il fût au monde personne qui pût l'égaler, c'était s'assurer que le roi ne se remarierait jamais.
Enfin, elle mourut. Jamais mari ne fit tant de vacarme: 80 pleurer, sangloter jour et nuit, furent son unique occupation.
Les grandes douleurs ne durent pas. D'ailleurs les grands de l'État s'assemblèrent, et vinrent en corps demander au roi de se remarier. Cette proposition lui parut dure, et lui fit répandre de nouvelles larmes. Il allégua le serment qu'il avait fait à la reine; défiant tous ses conseillers de pouvoir trouver une princesse plus belle et mieux faite que feu sa femme, pensant que cela était impossible.
Mais le conseil traita de babiole 81 une telle promesse, et dit qu'il importait peu de la beauté, pourvu qu'une reine fût vertueuse; que l'État demandait des princes pour son repos et sa tranquillité; qu'à la vérité l'infante avait toutes les qualités requises pour faire une grande reine, mais qu'il fallait lui choisir un étranger pour époux; et qu'alors, ou cet étranger l'emmènerait chez lui, ou que, s'il régnait avec elle, ses enfants ne seraient plus réputés du même sang; et que, n'y ayant point de prince de son nom, les peuples voisins pouvaient leur susciter des guerres qui entraîneraient la ruine du royaume.
Le roi, frappé de ces considérations, promit qu'il songerait à les contenter. Effectivement, il chercha, parmi les princesses à marier, qui serait celle qui pourrait lui convenir. Chaque jour on lui apportait des portraits charmants; mais aucun n'avait les grâces de la feue reine: ainsi il ne se déterminait point.
Malheureusement il s'avisa de trouver que l'infante sa fille était non-seulement belle et bien faite à ravir, mais qu'elle surpassait encore de beaucoup la reine sa mère en esprit et en agrément. Sa jeunesse, l'agréable fraîcheur de son beau teint, enflammèrent le roi d'un feu si violent, qu'il ne put le cacher à l'infante, et lui dit qu'il avait résolu de l'épouser, puisqu'elle seule pouvait le dégager de son serment.
La jeune princesse, remplie de vertu et de pudeur, pensa s'évanouir à cette horrible proposition. Elle se jeta aux pieds du roi son père, et le conjura, avec toute la force qu'elle put trouver dans son esprit, de ne la pas contraindre à commettre un tel crime.
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