Je ne connois pas assez les loix pour prétendre que ce principe n'est pas fondé sur quelqu'autorité: mais je ne puis me persuader qu'il soit équitable. Je veux bien avouer pour un moment qu'il peut être légal quand il est nécessaire: mais, en même-temps, je soutiens qu'il ne peut être employé de manière à produire les mêmes bons effets, c'est-à-dire, la sécurité publique, sans faire commettre une aussi intolérable injustice, que celle qui accompagne la presse des matelots.
Pour mieux me faire entendre, je ferai d'abord deux observations. La première, c'est qu'on pourroit avoir pour les vaisseaux de guerre des matelots de bonne volonté, si l'on les payoit suffisamment. Ce qui le prouve, c'est que pour servir dans ces vaisseaux et courir les mêmes dangers, on n'a besoin de presser ni les capitaines, ni les lieutenans, ni les gardes-marine, ni les trésoriers, ni beaucoup d'autres officiers. Pourquoi? Parce que les profits de leurs places ou leurs émolumens, sont d'assez puissans motifs pour les leur faire rechercher. Il ne faudroit donc que trouver assez d'argent pour engager les matelots à servir de bonne volonté comme leurs officiers, sans mettre pourtant de nouveaux impôts sur le commerce.
La seconde de mes observations est que vingt-cinq schellings par mois avec une ration de bœuf, de porc salé et de pois, étant jugés suffisans pour faire subsister un matelot qui travaille beaucoup, ils doivent suffire aussi à un homme de plume et à un jurisconsulte sédentaire. Je voudrais donc qu'on établit une caisse, qui serviroit à donner des récompenses aux marins. Pour remplir cette caisse, je proposerois de presser un grand nombre d'officiers civils, qui ont à présent de gros salaires, et de les obliger à remplir leurs emplois pour vingt-cinq schellings par mois, avec une ration pareille à celle des gens de mer, afin de verser le surplus de leurs salaires dans la caisse des matelots.
Si l'on me chargeoit de faire exécuter l'ordre d'une telle presse, le premier que je ferois presser seroit un assesseur de Bristol, ou un juge nommé Foster. J'aurois besoin de son édifiant exemple, pour montrer comment on doit se soumettre à la presse, car il trouveroit assurément que, quoique ce soit un mal particulier d'être réduit à vingt-cinq schellings par mois, il faut, conformément à sa maxime légale et politique, le supporter avec patience, afin de prévenir une calamité nationale.
Alors, je presserois le reste des juges; et ouvrant le livre rouge, je n'oublierois aucun des officiers civils du gouvernement, depuis ceux qui n'ont qu'un salaire de cinquante livres sterlings par an, jusqu'à ceux qui en ont cinquante mille. Ces messieurs n'auroient pas à se plaindre, puisqu'ils recevroient vingt-cinq schellings par mois, avec une ration; et encore sans être obligés de combattre. Enfin, je crois que je ferois presser ***.
SUR
LES LOIX CRIMINELLES,
ET
SUR L'USAGE D'ARMER EN COURSE
À BENJAMIN VAUGHAN.
Mon ami,
Parmi les pamphlets, que vous m'avez fait passer dernièrement, il y en a un intitulé: Pensées sur la Justice exécutive. – Je vous envoie, en revanche, une brochure française sur le même sujet. Elle a pour titre: Observations concernant l'exécution de l'article II de la Déclaration sur le Vol.
L'un et l'autre de ces ouvrages sont adressés aux juges, mais écrits, comme vous le verrez, dans un esprit très-différent. L'auteur anglais veut qu'on pende tous les voleurs. Le français prétend qu'on doit proportionner la punition au crime.
Si nous croyons réellement, ainsi que nous fesons profession de le croire, que la loi de Moyse étoit la loi de Dieu, et l'émanation de la sagesse divine, infiniment supérieure à la sagesse humaine, d'après quel principe pouvons-nous donner la mort pour punir une offense, qui, conformément à cette loi, ne devroit être punie que par la restitution du quadruple de l'objet enlevé? – Mettre à mort un homme, pour un crime qui ne le mérite point, n'est-ce pas commettre un meurtre? Et, comme dit l'auteur français, doit-on punir un délit contre la société par un crime contre la nature?
Une propriété superflue est de l'invention de la société. Des loix simples et douces suffisent pour conserver les propriétés purement nécessaires. L'arc du sauvage, sa hache et son vêtement de peaux n'exigent pas qu'une loi lui en assure la conservation. Ils sont suffisamment gardés par la crainte de son ressentiment et de sa vengeance. Lorsqu'en vertu des premières loix, une partie de la société accumula des richesses et devint puissante, elle fit des loix plus sévères, et voulut, aux dépens de l'humanité, conserver ce qu'elle possédoit. Ce fut un abus du pouvoir, et un commencement de tyrannie.
Si, avant de faire entrer un sauvage en société, on lui avoit dit:« – Par le moyen du pacte social, ton voisin pourra devenir propriétaire de cent daims. Mais si ton frère, ton fils ou toi-même, vous n'avez pas de daims, et qu'ayant faim, vous vouliez en tuer un, vous serez obligés de subir une mort infame.» – Alors le sauvage auroit probablement préféré sa liberté, et le droit commun de tuer des daims, à tous les avantages de la société qu'on lui proposoit.
Il vaut mieux que cent coupables soient sauvés que non pas qu'un innocent périsse: c'est une maxime qui a été long-temps et généralement approuvée; et je ne crois pas qu'on l'ait jamais combattue. Le sanguinaire auteur des Pensées sur la Justice exécutive, convient lui-même qu'elle est juste; et il remarque fort bien: – «Que la seule idée de l'innocence outragée, et plus encore celle de l'innocence souffrante, doit réveiller en nous tous les sentimens de la plus tendre compassion, et en même-temps, exciter la plus vive indignation contre les instrumens de ses maux.» – Mais il ajoute: – «Que l'innocence ne sera jamais exposée ni à être outragée, ni à souffrir, si l'on suit strictement les loix.» – Est-ce bien vrai? – Est-il donc impossible de faire une loi injuste? Et si la loi elle-même est injuste, ne sera-t-elle pas le véritable instrument qui excitera une indignation générale?
J'apprends, par les dernières gazettes de Londres, qu'une femme y a été condamnée capitalement pour avoir dérobé, dans une boutique, de la gaze qui valoit quatorze schellings trois sous. Y a-t-il donc quelque proportion entre le tort fait par un vol de quatorze schellings trois sous, et la punition d'une créature humaine, qu'on fait mourir au gibet? Cette femme ne pouvoit-elle pas, par son travail, remplacer quatre fois la valeur de son vol, ainsi que dieu l'a ordonné? Tous les châtimens infligés au-delà de ce que mérite le crime, ne sont-ils pas une punition de l'innocence? Si le principe est vrai, combien l'innocence, non-seulement est outragée mais souffre chaque année, dans presque tous les états civilisés de l'Europe!
Il semble qu'on a pensé que cette sorte d'innocence pouvoit être punie pour prévenir les crimes. Je me rappelle avoir lu qu'un turc cruel, qui habitoit les côtes de Barbarie, n'achetoit jamais un esclave chrétien sans le condamner aussitôt à être pendu par les jambes et à recevoir cent coups de bâton sur la plante des pieds, afin que le souvenir de ce châtiment sévère et la crainte de le subir de nouveau, l'empêchassent de commettre des fautes qui pourroient le lui mériter.
L'auteur du pamphlet anglais auroit lui-même de la peine à approuver la conduite de ce turc dans un gouvernement d'esclaves; et cependant il paroît recommander quelque chose de semblable pour le gouvernement des Anglais, quand il applaudit le discours du juge Burnet à un voleur de chevaux. On demandoit à ce voleur ce qu'il avoit à dire pour n'être pas condamné à mort. Il répondit qu'il étoit bien cruel de pendre un homme pour avoir seulement volé un cheval. – «Homme, répliqua le juge, tu ne seras pas pendu pour avoir seulement volé un cheval; mais pour que les chevaux ne puissent pas être volés.»
Il me semble que la réponse du voleur, examinée loyalement, doit paraître raisonnable, parce qu'elle est fondée sur le principe éternel de l'équité, qui veut que le châtiment soit proportionné à l'offense; et la réplique du juge est brutale et insensée. Cependant, l'auteur du pamphlet – «désire que tous les juges se la rappellent quand ils vont tenir leurs assises; parce qu'elle contient la sage raison des peines qu'ils sont appelés à faire infliger. –