Horace donna sa parole d'honneur; aussitôt ses deux conductrices le lâchèrent. Bientôt il entendit le cri d'une porte qu'on referma. Un instant après, neuf heures sonnèrent. Au premier coup du timbre, Horace arracha son bandeau.
Il était dans un petit boudoir rond, dans le style de Louis XV, style qui est encore généralement celui de l'intérieur des palais siciliens. Ce boudoir était tendu d'une étoffe de satin rose avec des branches courantes, d'où pendaient des fleurs et des fruits de couleur naturelle; le meuble, recouvert d'une étoffe semblable à celle qui tapissait les murailles, se composait d'un canapé, d'une de ces causeuses adossées comme on en refait de nos jours, de trois ou quatre chaises et fauteuils, et enfin d'un piano et d'une table chargée de romans français et anglais et sur laquelle se trouvait tout ce qu'il faut pour écrire.
Le jour venait par le plafond, et le châssis à travers lequel il passait se levait extérieurement.
Horace achevait son inventaire, lorsqu'un domestique entra, tenant une lettre à la main: ce domestique était masqué.
Horace prit la lettre, l'ouvrit vivement et lut ce qui suit:
«Vous êtes notre prisonnier, selon toutes les lois divines et humaines, et surtout selon la loi du plus fort.
»Nous pouvons à notre gré vous rendre votre prison dure ou agréable, nous pouvons vous faire porter dans un cachot ou vous laisser dans le boudoir où vous êtes.
»Choisissez.»
— Pardieu! s'écria Horace, mon choix est fait; allez dire à ces dames que je choisis le boudoir, et que, comme je présume que c'est à une condition quelconque qu'elles me laissent le choix, dites-leur que je les prie de me faire connaître cette condition.
Le domestique se retira sans prononcer une seule parole et, un instant après, rentra, une seconde lettre à la main: Horace la prit non moins avidement que la première et lut ce qui suit.
«Voici à quelles conditions on vous rendra votre prison agréable:
»Vous donnerez votre parole de n'essayer, d'ici à quinze jours, aucune tentative d'évasion;
»Vous donnerez votre parole de ne point essayer de voir, tant que vous serez ici, le visage des personnes qui vous retiennent prisonnier;
»Vous donnerez votre parole qu'une fois couché, vous éteindrez toutes les bougies et ne garderez aucune lumière cachée;
»Moyennant quoi, ces quinze jours écoulés, vous serez libre sans rançon.
»Si ces conditions vous conviennent, écrivez au-dessous:
«Acceptées sur parole d'honneur.» Et comme on sait que vous êtes Français, on se fiera à cette parole.»
Attendu que, au bout du compte, les conditions imposées n'étaient pas trop dures et qu'elles semblaient promettre certaines compensations à sa captivité, Horace prit la plume et écrivit:
«J'accepte sur parole d'honneur, en me recommandant à la générosité de mes belles geôlières.
»HORACE.»
Puis il rendit le traité au domestique, qui disparut aussitôt.
Un instant après, il sembla au prisonnier entendre remuer de l'argenterie et des verres: il s'approcha d'une des deux portes qui donnaient dans son boudoir, et acquit en y collant son oreille la certitude que l'on dressait une table. La singularité de sa situation l'avait empêché jusque-là de se souvenir qu'il avait faim, et il sut gré a ses hôtesses d'y avoir songé pour lui.
D'ailleurs il ne doutait pas que les deux tuppanelles ne lui tinssent compagnie pendant le repas. Alors elles seraient bien fines, si à lui, habitué des bals de l'Opéra, elles ne laissaient pas apercevoir une main, un coin d'épaule, un bout de menton, à l'aide desquels il pourrait, comme Cuvier, reconstruire toute la personne. Malheureusement cette première espérance fut déçue: lorsque le domestique ouvrit la porte de communication entre le boudoir et la salle à manger, le prisonnier vit, quoique le souper parût, par la quantité de plats, destiné à trois ou quatre personnes, qu'il n'y avait qu'un seul couvert.
Il ne se mit pas moins à table, fort disposé à faire honneur au repas. Il fut secondé dans cette louable intention par le domestique masqué qui, avec l'habitude d'un serviteur de bonne maison, ne lui laissait pas même le temps de désirer. Il en résulta qu'Horace soupa très-bien et, grâce au vin de Syracuse et au malvoisie de Lipari, se trouva au dessert dans une des situations d'esprit les plus riantes où puisse se trouver un prisonnier.
Le repas fini, Horace rentra dans son boudoir. La seconde porte en était ouverte; elle donnait dans une charmante petite chambre à coucher, aux murailles toutes couvertes de fresques. Cette chambre communiquait elle-même avec un cabinet de toilette. Là finissait l'appartement, le cabinet de toilette n'ayant point de sortie visible. Le prisonnier avait donc à sa disposition quatre pièces: le cabinet susdit, la chambre à coucher, le boudoir, qui faisait salon, et la salle à manger. C'est autant qu'il en fallait pour un garçon.
La pendule sonna minuit: c'était l'heure de se coucher. Aussi, après avoir fait une scrupuleuse visite de son appartement et s'être assuré que la porte de la salle à manger s'était refermée derrière lui, le prisonnier rentra-t-il dans sa chambre à coucher, se mit au lit, et, selon l'injonction qui lui en avait été faite, souffla scrupuleusement ses deux bougies.
Quoique le prisonnier reconnût la supériorité du lit dans lequel il était étendu sur tous les autres lits qu'il avait rencontrés depuis qu'il était en Sicile, il n'en resta pas moins parfaitement éveillé, soit que la singularité de sa position chassât le sommeil, soit qu'il s'attendît à quelque surprise nouvelle. En effet, au bout d'une demi-heure ou trois quarts d'heure à peu près, il lui sembla entendre le cri d'un panneau de boiserie qui glisse, puis un léger froissement comme serait celui d'une robe de soie, enfin de petits pas firent crier le parquet et s'approchèrent de son lit; mais à quelque distance les petits pas s'arrêtèrent, et tout rentra dans le silence.
Horace avait beaucoup entendu parler de revenants, de spectres et de fantômes, et avait toujours désiré en voir. C'était l'heure des évocations, il eut donc l'espoir que son désir était enfin exaucé. En conséquence il étendit le bras vers l'endroit où il avait entendu du bruit, et sa main; rencontra une main. Mais cette fois encore l'espérance de se trouver en contact avec un habitant de l'autre monde était déçue. Cette main petite, effilée et tremblante appartenait à un corps, et non à une ombre.
Heureusement le prisonnier était un de ces optimistes à caractère heureux, qui ne demandent jamais à la Providence plus qu'elle n'est en disposition de leur accorder. Il en résulta que le visiteur nocturne, quel qu'il fût, n'eut pas lieu de se plaindre de La réception qui lui fut faite.
— En se réveillant Horace chercha autour de lui, mais il ne vit plus personne. Toute trace de visite avait disparu. Il lui sembla seulement qu'il s'était entendu dire, comme dans un rêve: — A demain.
Horace sauta en bas de son lit et courut à la fenêtre, qu'il ouvrit; elle donnait sur une cour fermée de hautes murailles par-dessus lesquelles il était impossible de voir: le prisonnier resta donc dans le doute s'il était à la ville ou à la campagne.
A onze heures la salle à manger s'ouvrit, et Horace retrouva son domestique masqué et son déjeuner tout servi. Tout en déjeunant, il voulut interroger le domestique; mais, en quelque langue que les questions fussent faites, anglais, français ou italien, le fidèle serviteur répondit son éternel Non capisco.
Les fenêtres de la salle à manger donnaient sur la même cour que celles de la chambre à coucher. Les murailles étaient partout de la même hauteur; il n'y avait donc rien de nouveau à apprendre de ce côté-là.
Pendant le déjeuner la chambre à coucher s'était trouvée refaite comme par une fée.