Mémoires d'un Éléphant blanc. Gautier Judith. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gautier Judith
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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jour, en le comprenant mieux, mais toujours avec la même admiration. C'était comme une montagne de neige, taillée en dômes, en grands escaliers couverts de statues peintes, de colonnes incrustées de pierres brillantes et surmontées de globes de cristal qui éblouissaient; des pyramides d'or dépassaient les dômes à plusieurs endroits et des étendards rouges flottaient, je m'aperçus que sur tous était figuré un éléphant blanc.

      Toute la cour, en costume de cérémonie, était debout sur les marches du premier escalier. En haut, sur la plate-forme, de chaque côté d'une porte, rouge et or, des éléphants couverts de belles housses, rangés, huit à droite et huit à gauche, se tenaient immobiles.

      On me fit approcher au pied de l'escalier, lui faisant face, et on m'arrêta là. Un grand silence s'établit; l'on eût dit qu'il n'y avait là personne tant cette foule, tout à l'heure si bruyante, était maintenant muette.

      La porte rouge et or s'ouvrit toute grande, et aussitôt, le peuple entier se prosterna, appuyant le front au sol.

      Le roi de Siam apparaissait.

      Il était porté par quatre porteurs, dans une niche d'or où il était assis, les jambes croisées; sa robe, couverte de pierreries, lançait sans discontinuer des rayons aveuglants; devant lui marchaient de jeunes garçons vêtus de pourpre qui agitaient des éventails de plumes emmanchés à de longues hampes; d'autres portaient des bassins d'argent, hors desquels floconnait la fumée des parfums.

      J'explique tout cela aujourd'hui avec les mots que j'ai appris depuis, mais alors, j'admirais sans comprendre, et j'avais la sensation de voir toutes les étoiles du ciel nocturne en même temps que le soleil du jour et les fleurs du plus beau printemps.

      Les porteurs du roi descendaient les marches en face de moi: Sa Majesté approchait. Alors, mon conducteur me piqua l'oreille et mon compagnon, me frappant les jambes de sa trompe, m'indiqua que je devais m'agenouiller.

      Je le fis volontiers devant cette splendeur, qui me semblait devoir brûler celui qui y toucherait.

      Le roi inclina légèrement la tête; il m'avait salué! Je sus par la suite que seul j'étais honoré d'une pareille faveur et j'appris vite à rendre au roi son salut, ou plutôt, à le saluer le premier.

      Sa Majesté m'adressa quelques paroles, qui ne furent pour moi qu'un bruit agréable. Il me donna le nom de ce "Roi magnanime", avec le titre de mandarin de première classe, puis il posa sur mon front une chaîne d'or et de pierres précieuses. Il rentra ensuite dans son palais. Les assistants, toujours prosternés jusque-là, se relevèrent d'un seul mouvement, et avec des sauts et des cris de joie, m'accompagnèrent vers mon palais, à moi, où l'on allait m'installer.

      C'était dans un jardin au milieu d'une vaste pelouse que s'élevait ce palais. Les murs étaient en bois de santal et les larges toitures débordaient tout autour; vernies en rouge, elles luisaient au soleil avec çà et là des globes de cuivre et des têtes d'éléphants sculptées.

      On me fit entrer dans une salle immense, si haute que les poutrelles rouges qui s'enchevêtraient au faîte, me rappelèrent les branchages de la forêt natale, quand le soleil du soir les empourprait.

      Un vieil éléphant blanc se promenait lentement dans la salle. Dès qu'il m'aperçut il s'avança vers moi, en agitant ses oreilles pour me faire fête. Ses défenses étaient ornées d'anneaux d'or garnis de clochettes et il avait sur le front une couronne pareille à celle que le roi m'avait mise.

      Tout cela ne l'embellissait guère; sa peau était ridée et gercée, avec des taches grises comme de la terre sèche; des rougeurs aux aisselles et autour des yeux. Ses défenses étaient jaunies et cassées et il avait peine à se mouvoir. Cependant il paraissait aimable et je répondis à sa politesse.

      Mon conducteur descendit de mon cou, tandis que des officiers et des serviteurs se prosternaient devant moi, comme j'avais vu qu'on le faisait devant le souverain lui-même. Puis ils me conduisirent devant une haute table de marbre où, dans des bassins d'or et d'argent, des bananes, des cannes à sucre, toutes sortes de fruits délicieux, des herbes choisies, des gâteaux, du riz, du beurre fondu, étaient offerts à mon appétit.

      Quel régal!

      Ah! j'aurais voulu que ceux de ma harde, qui paraissaient tant faire fi de moi, vissent de quelle façon on me traitait parmi les hommes.

      L'orgueil se levait dans mon cœur et je ne regrettais plus, déjà, la forêt sauvage et la liberté.

      Chapitre IV

      ROYAL ÉLÉPHANT DE SIAM

      Prince-Formidable – ainsi était nommé le vieil éléphant, mon compagnon – couché non loin de moi sur la litière odorante, me contait un peu de sa vie, et m'enseignait mes devoirs de royal éléphant de Siam.

      – Il y a plus de cent ans que je suis ici, disait-il; je suis très vieux et malade, malgré les singes blancs que vous voyez gambader là-haut dans les poutres. Ils sont là pour nous préserver des mauvaises influences et des maladies; cependant tous ceux qui étaient avec moi dans ce palais sont morts à quelques jours de distance d'un mal qu'ils prenaient l'un de l'autre, et moi, le plus vieux, je survis.

      Voilà plusieurs années que je suis seul, et le désespoir était grand à la cour de ne plus posséder qu'un éléphant blanc et de ne pas en découvrir d'autres, malgré les battues continuelles que l'on faisait dans les forêts. On disait que de grands malheurs menaçaient le royaume et votre arrivée a dû être une fête pour tout le pays.

      – Pourquoi donc nous considère-t-on avec tant de respect? demandai-je, qu'avons-nous d'extraordinaire? Parmi les éléphants, au contraire, on semble nous mépriser.

      – J'ai cru comprendre que les hommes, lorsqu'ils meurent, se transforment en animaux; les plus nobles, en éléphants, et les rois, en éléphants blancs. Nous sommes donc d'anciens rois humains… Cependant, je ne me souviens pas d'avoir été ni roi, ni homme.

      – Moi non plus, dis-je, je ne me souviens de rien. Mais alors, ce serait donc par jalousie que les éléphants gris nous ont en aversion?

      – Pas du tout, dit Prince-Formidable, ceux qui n'ont pas approché les hommes sont de vraies bêtes et ne savent rien. Ils croient que la couleur de notre peau vient d'une maladie et ils nous tiennent pour inférieurs à eux, tandis que cette particularité est au contraire un signe de royauté; vous voyez que ce sont de vraies brutes.

      J'admirais la sagesse et le savoir de mon nouvel ami, qui avait tant vécu. Je ne pouvais me lasser de l'interroger et il me répondait avec une complaisance inépuisable.

      Je traduis aujourd'hui en paroles ce qu'il tâchait de me faire comprendre alors en le traduisant lui-même dans le langage très borné des éléphants; il lui fallait recommencer maintes fois les explications et il ne s'impatientait nullement de mon ignorance, lui qui depuis longtemps comprenait la langue des hommes.

      – Attention! me dit-il tout à coup, en entendant une lointaine musique, voici les Talapoins qui viennent vous bénir.

      Il s'efforça de me faire entendre ce que c'était que les Talapoins; j'eus l'air de comprendre, par politesse, mais en réalité je n'avais rien compris, sinon qu'il s'agissait d'un honneur nouveau qu'on allait me rendre.

      Précédés de nos officiers et de nos esclaves, trois hommes, très différents des autres s'avancèrent au son de la musique.

      Ils avaient la tête rasée, les oreilles saillantes et portaient de longues robes jaunes à larges manches. En entrant, ils ne se prosternèrent pas, ce qui, je l'avoue, me choqua un peu.

      Le plus vieux marchait au milieu; il s'arrêta devant moi et commença à parler d'une voix singulière, haute et monotone; puis, sans se taire, il prit de la main d'un de ses compagnons une houppe à manche d'ivoire, tandis que l'autre lui tendait un bassin plein d'eau. Il trempa la houppe dans l'eau et se mit à m'asperger d'une façon qui m'agaça beaucoup; je recevais des gouttes d'eau dans les yeux, sur les oreilles, et comme cela durait un peu trop, à mon idée, j'arrachai vivement cette houppe de la main du Talapoin et, l'imbibant bien d'eau, je la secouai sur eux trois, leur rendant ainsi ce qu'ils m'avaient fait. Ils se sauvèrent