Eugénie Grandet. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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du logis. Grandet était absorbé dans la longue lettre qu'il tenait, et il avait pris pour la lire l'unique flambeau de la table, sans se soucier de ses hôtes ni de leur plaisir. Eugénie, ŕ qui le type d'une perfection semblable, soit dans la mise, soit dans la personne, était entičrement inconnu, crut voir en son cousin une créature descendue de quelque région séraphique. Elle respirait avec délices les parfums exhalés par cette chevelure si brillante, si gracieusement bouclée. Elle aurait voulu pouvoir toucher la peau blanche de ces jolis gants fins. Elle enviait les petites mains de Charles, son teint, la fraîcheur et la délicatesse de ses traits. Enfin, si toutefois cette image peut résumer les impressions que le jeune élégant produisit sur une ignorante fille sans cesse occupée ŕ rapetasser des bas, ŕ ravauder la garde-robe de son pčre, et dont la vie s'était écoulée sous ces crasseux lambris sans voir dans cette rue silencieuse plus d'un passant par heure, la vue de son cousin fit sourdre en son coeur les émotions de fine volupté que causent ŕ un jeune homme les fantastiques figures de femmes dessinées par Westall dans les Keepsake anglais et gravées par les Finden d'un burin si habile qu'on a peur, en soufflant sur le vélin, de faire envoler ces apparitions célestes Charles tira de sa poche un mouchoir brodé par la grande dame qui voyageait en Ecosse. En voyant ce joli ouvrage fait avec amour pendant les heures perdues pour l'amour, Eugénie regarda son cousin pour savoir s'il allait bien réellement s'en servir. Les maničres de Charles, ses gestes, la façon dont il prenait son lorgnon, son impertinence affectée, son mépris pour le coffret qui venait de faire tant de plaisir ŕ la riche héritičre et qu'il trouvait évidemment ou sans valeur ou ridicule; enfin, tout ce qui choquait les Cruchot et les des Grassins lui plaisait si fort qu'avant de s'endormir elle dűt ręver longtemps ŕ ce phénix des cousins.

      Les numéros se tiraient fort lentement, mais bientôt le loto fut arręté.

      La grande Nanon entra et dit tout haut:

      – Madame, va falloir me donner des draps pour faire le lit ŕ ce monsieur.

      Madame Grandet suivit Nanon. Madame des Grassins dit alors ŕ voix basse:

      – Gardons nos sous et laissons le loto. Chacun reprit ses deux sous dans la vieille soucoupe écornée oů il les avait mis. Puis l'assemblée se remua en masse et fit un quart de conversion vers le feu.

      – Vous avez donc fini? dit Grandet sans quitter sa lettre.

      – Oui, oui, répondit madame des Grassins en venant prendre place prčs de Charles.

      Eugénie, mue par une de ces pensées qui naissent au coeur des jeunes filles quand un sentiment s'y loge pour la premičre fois, quitta la salle pour aller aider sa mčre et Nanon. Si elle avait été questionnée par un confesseur habile, elle lui eűt sans doute avoué qu'elle ne songeait ni ŕ sa mčre ni ŕ Nanon, mais qu'elle était travaillée par un poignant désir d'inspecter la chambre de son cousin pour s'y occuper de son cousin, pour y placer quoi que ce fűt, pour obvier ŕ un oubli, pour y tout prévoir, afin de la rendre, autant que possible, élégante et propre. Eugénie se croyait déjŕ seule capable de comprendre les goűts et les idées de son cousin. En effet, elle arriva fort heureusement pour prouver ŕ sa mčre et ŕ Nanon, qui revenaient pensant avoir tout fait, que tout était ŕ faire. Elle donna l'idée ŕ la grande Nanon de bassiner les draps avec la braise du feu, elle couvrit elle-męme la vieille table d'un napperon, et recommanda bien ŕ Nanon de changer le napperon tous les matins. Elle convainquit sa mčre de la nécessité d'allumer un bon feu dans la cheminée, et détermina Nanon ŕ monter, sans en rien dire ŕ son pčre, un gros tas de bois dans le corridor. Elle courut chercher dans une des encoignures de la salle un plateau de vieux laque qui venait de la succession de feu le vieux monsieur de La Bertelličre, y prit également un verre de cristal ŕ six pans, une petite cuiller dédorée, un flacon antique oů étaient gravés des amours, et mit triomphalement le tout sur un coin de la cheminée. Il lui avait plus surgi d'idées en un quart d'heure qu'elle n'en avait eu depuis qu'elle était au monde.

      – Maman, dit-elle, jamais mon cousin ne supportera l'odeur d'une chandelle. Si nous achetions de la bougie?.. Elle alla, légčre comme un oiseau, tirer de sa bourse l'écu de cent sous qu'elle avait reçu pour ses dépenses du mois.

      – Tiens, Nanon, dit-elle, va vite.

      – Mais, que dira ton pčre? Cette objection terrible fut proposée par madame Grandet en voyant sa fille armée d'un sucrier de vieux Sčvres rapporté du château de Froidfond par Grandet.

      – Et oů prendras-tu donc du sucre? es-tu folle?

      – Maman, Nanon achčtera aussi bien du sucre que de la bougie.

      – Mais ton pčre?

      – Serait-il convenable que son neveu ne put boire un verre d'eau sucrée? D'ailleurs, il n'y fera pas attention.

      – Ton pčre voit tout, dit madame Grandet en hochant la tęte.

      Nanon hésitait, elle connaissait son maître.

      – Mais va donc, Nanon, puisque c'est ma fęte!

      Nanon laissa échapper un gros rire en entendant la premičre plaisanterie que sa jeune maîtresse eűt jamais faite, et lui obéit. Pendant qu'Eugénie et sa mčre s'efforçaient d'embellir la chambre destinée par monsieur Grandet ŕ son neveu, Charles se trouvait l'objet des attentions de madame des Grassins, qui lui faisait des agaceries.

      – Vous ętes bien courageux, monsieur, lui dit-elle, de quitter les plaisirs de la capitale pendant l'hiver pour venir habiter Saumur. Mais si nous ne vous faisons pas trop peur, vous verrez que l'on peut encore s'y amuser.

      Elle lui lança une véritable oeillade de province, oů, par habitude, les femmes mettent tant de réserve et de prudence dans leurs yeux qu'elles leur communiquent la friande concupiscence particuličre ŕ ceux des ecclésiastiques, pour qui tout plaisir semble ou un vol ou une faute. Charles se trouvait si dépaysé dans cette salle, si loin du vaste château et de la fastueuse existence qu'il supposait ŕ son oncle, qu'en regardant attentivement madame des Grassins, il aperçut enfin une image ŕ demi effacée des figures parisiennes. Il répondit avec grâce ŕ l'espčce d'invitation qui lui était adressée, et il s'engagea naturellement une conversation dans laquelle madame des Grassins baissa graduellement sa voix pour la mettre en harmonie avec la nature de ses confidences. Il existait chez elle et chez Charles un męme besoin de confiance. Aussi, aprčs quelques moments de causerie coquette et de plaisanteries sérieuses, l'adroite provinciale put-elle lui dire sans se croire entendue des autres personnes, qui parlaient de la vente des vins, dont s'occupait en ce moment tout le Saumurois:

      – Monsieur, si vous voulez nous faire l'honneur de venir nous voir, vous ferez trčs certainement autant de plaisir ŕ mon mari qu'ŕ moi. Notre salon est le seul dans Saumur oů vous trouverez réunis le haut commerce et la noblesse: nous appartenons aux deux sociétés, qui ne veulent se rencontrer que lŕ parce qu'on s'y amuse. Mon mari, je le dis avec orgueil, est également considéré par les uns et par les autres. Ainsi, nous tâcherons de faire diversion ŕ l'ennui de votre séjour ici. Si vous restiez chez monsieur Grandet, que deviendriez-vous, bon Dieu! Votre oncle est un grigou qui ne pense qu'ŕ ses provins, votre tante est une dévote qui ne sait pas coudre deux idées, et votre cousine est une petite sotte, sans éducation, commune, sans dot, et qui passe sa vie ŕ raccommoder des torchons.

      – Elle est trčs bien, cette femme, se dit en lui-męme Charles Grandet en répondant aux minauderies de madame des Grassins.

      – Il me semble, ma femme, que tu veux accaparer monsieur, dit en riant le gros et grand banquier.

      A cette observation, le notaire et le président dirent des mots plus ou moins malicieux; mais l'abbé les regarda d'un air fin et résuma leurs pensées en prenant une pincée de tabac, et offrant sa tabatičre ŕ la ronde:

      – Qui mieux que madame, dit-il, pourrait faire ŕ monsieur les honneurs de Saumur?

      – Ha! çŕ, comment l'entendez-vous, monsieur l'abbé? demanda monsieur des Grassins.

      – Je l'entends, monsieur, dans le sens la plus favorable pour vous, pour madame, pour la ville de Saumur et pour monsieur, ajouta le rusé vieillard en se tournant vers Charles.

      Sans