Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3. Dozy Reinhart Pieter Anne. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dozy Reinhart Pieter Anne
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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somme, avaient été occupés à la bâtir, et cependant elle n’était pas encore achevée à l’époque de la mort de son fondateur. Une prime de quatre cents dirhems, que le calife avait promise à quiconque viendrait s’y établir, y avait attiré une foule d’habitants. Le palais califal, où toutes les merveilles de l’Orient et de l’Occident étaient réunies, était d’une énorme grandeur, à preuve que dans le harem il y avait six mille femmes152.

      La puissance d’Abdérame était formidable. Une superbe marine lui permettait de disputer aux Fatimides l’empire de la Méditerranée, et lui garantissait la possession de Ceuta, cette clé de la Mauritanie. Une armée nombreuse et bien disciplinée, la plus belle du monde peut-être153, lui donnait la prépondérance sur les chrétiens du Nord. Les plus fiers souverains briguaient son alliance. L’empereur de Constantinople, les rois d’Allemagne, d’Italie et de France lui envoyaient des ambassadeurs.

      C’étaient à coup sur de beaux résultats; mais ce qui excite l’étonnement et l’admiration quand on étudie ce règne glorieux, c’est moins l’œuvre que l’ouvrier; c’est la puissance de cette intelligence universelle à qui rien n’échappait, et qui se montrait non moins admirable dans les plus petits détails que dans les plus sublimes conceptions. Cet homme fin et sagace, qui centralise, qui fonde l’unité de la nation et celle du pouvoir, qui par ses alliances établit une sorte d’équilibre politique, qui dans sa large tolérance appelle dans ses conseils des hommes d’une autre religion, est plutôt un roi des temps modernes qu’un calife du moyen âge.

      V

      Malgré les grands services qu’Abdérame III leur avait rendus, la cour de Léon et celle de Pampelune ne s’affligèrent pas de sa mort; au contraire, elles crurent y voir le moyen d’éluder les traités et de se dérober à la protection musulmane, dont elles avaient commencé à se lasser dès qu’elles n’en avaient plus eu besoin. Et de fait, l’occasion semblait bonne pour ne pas tenir ce que l’on avait été obligé de promettre. Le successeur d’Abdérame, Hacam II, passait pour pacifique; on pensait peut-être qu’il n’insisterait pas trop sur l’exécution d’un traité conclu par son père, et en tout cas il faudrait voir encore si, dans la guerre, il serait aussi heureux que ce dernier l’avait été.

      Hacam fut bientôt à même de s’apercevoir des intentions de ses voisins. Sancho, qu’il avait sommé de livrer enfin les forteresses nommées dans le traité, trouvait toutes sortes de raisons pour remettre cette affaire à un autre temps154. Garcia, qu’il avait fait prier de lui céder son prisonnier Ferdinand Gonzalez, refusait d’accéder à cette demande155. Qui plus est, il rendit la liberté à Ferdinand, après lui avoir fait promettre de rompre avec son gendre, Ordoño IV. Ferdinand tint sa promesse. Sur son ordre, Ordoño, qui se trouvait encore à Burgos, fut séparé violemment de sa femme et de ses deux filles, et transporté sous bonne escorte sur le territoire musulman156. Puis Ferdinand, qui n’était pas lié par un traité, comme le roi de Navarre et celui de Léon, recommença les hostilités contre les Arabes157, de sorte que dès le mois de février 962, Hacam fut obligé d’écrire à ses généraux et à ses gouverneurs qu’ils eussent à se tenir prêts pour entrer en campagne158.

      Sur ces entrefaites, Ordoño-le-Mauvais était arrivé à Medinaceli, accompagné de vingt seigneurs, les seuls qui lui fussent restés fidèles. Il avait vu dans cette ville les préparatifs que l’on faisait pour une expédition, et cette circonstance avait ranimé son espoir dans l’avenir. De même que son cousin avait recouvré le trône grâce à l’appui d’Abdérame, il comptait le recouvrer à son tour avec le secours de Hacam. Aussi témoigna-t-il à Ghâlib, le gouverneur de Medinaceli, son désir d’aller à Cordoue afin d’y implorer la protection du monarque. Ghâlib consulta Hacam sur la réponse qu’il avait à donner. Le calife, qui n’était pas fâché d’avoir un prétendant sous la main, mais qui ne voulait pas encore s’engager définitivement, lui fit répondre qu’il pouvait conduire Ordoño à Cordoue, mais qu’il ne devait lui faire aucune promesse. Ghâlib partit donc pour Cordoue au commencement d’avril, accompagné d’Ordoño et de sa suite. En route on rencontra un détachement de cavalerie que Hacam avait envoyé à la rencontre de ses hôtes, et aux environs de la capitale, on en rencontra un autre, plus nombreux encore. Ordoño n’épargna rien pour gagner les bonnes grâces des officiers de l’escorte. Il leur prodigua les flatteries, et quand il fut entré dans Cordoue, il leur demanda où se trouvait le tombeau d’Abdérame III. Lorsqu’on le lui eut montré, il ôta respectueusement son bonnet, s’agenouilla en tournant la tête vers l’endroit indiqué, et récita des prières pour l’âme de celui qui naguère l’avait chassé du trône. L’espoir de ressaisir le sceptre lui faisait oublier tout le reste; pour atteindre ce but, il était bien décidé à ne reculer devant aucune bassesse.

      Après avoir passé deux jours dans un palais superbement meublé, qu’on lui avait assigné pour sa demeure, Ordoño reçut la permission d’aller à Zahrâ, où le calife lui donnerait audience. Il revêtit alors une robe et un manteau de soie blancs (c’était probablement un nouvel hommage qu’il rendait aux Omaiyades, car le blanc était la couleur de cette maison), et se coiffa d’un bonnet orné de pierres précieuses. Les principaux chrétiens de l’Andalousie, tels que Walîd ibn-Khaizorân, le juge des chrétiens de Cordoue, et Obaidallâh ibn-Câsim, le métropolitain de Tolède, vinrent le chercher pour le conduire à Zahrâ et l’instruire des règles de l’étiquette, sur lesquelles la cour était fort chatouilleuse.

      En passant par les rangs des soldats qui encombraient les abords de Zahrâ, Ordoño et ses compagnons léonais feignirent d’être frappés et même terrifiés par cet appareil militaire. Ils baissèrent les yeux et firent le signe de la croix. Quand on fut arrivé à la première porte du palais, tous mirent pied à terre, à l’exception d’Ordoño et de ses Léonais. A la porte dite d’as-sodda, ces derniers durent en faire autant; mais Ordoño et le général Ibn-Tomlos, qui était chargé de l’introduire auprès du calife, restèrent à cheval jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés près d’un portique où l’on avait placé des siéges pour Ordoño et ses compagnons, et où Sancho avait aussi attendu le moment d’être introduit auprès du monarque, alors qu’il était venu implorer son secours. Quelque temps après, les Léonais reçurent la permission d’entrer dans la salle d’audience. A la porte Ordoño ôta son bonnet et son manteau en signe de respect; puis, quand on lui eut dit d’avancer et qu’il se trouva vis-à-vis du trône sur lequel était le calife entouré de ses frères, de ses neveux, des vizirs, du cadi et des faquis, il s’agenouilla à plusieurs reprises, et, faisant quelques pas en avant après chaque génuflexion, il arriva enfin tout près du calife. Celui-ci lui donna sa main à baiser, après quoi Ordoño retourna en arrière, mais en prenant soin de ne pas tourner le dos au calife, pour aller s’asseoir sur un sofa de brocart qui lui était destiné et qui se trouvait à quinze pieds du trône. Les seigneurs léonais s’approchèrent alors du calife en observant le même cérémonial, et, lui ayant baisé la main, ils allèrent se ranger derrière leur maître, auprès duquel se tenait aussi Walîd ibn-Khaizorân, qui, dans l’entretien qui allait avoir lieu, devait servir d’interprète.

      Le calife garda quelques instants le silence pour laisser à l’ex-roi le temps de se remettre de l’émotion que la vue de cette auguste assemblée ne pouvait avoir manqué d’exciter dans son esprit. Puis il lui parla en ces termes: «Réjouissez-vous d’être venu ici et espérez beaucoup de notre bonté, car nous avons l’intention de vous accorder encore plus de faveurs que vous n’osiez l’attendre.»

      Quand le sens de ces gracieuses paroles eut été expliqué à Ordoño par l’interprète, la joie éclata sur son visage. Il se leva, et, ayant baisé le tapis qui couvrait les marches du trône: «Je suis, dit-il, l’esclave du commandeur des croyants! Je me fie à sa magnanimité, je cherche mon appui dans sa haute


<p>152</p>

Ibn-Haucal, p. 40; Ibn-Adhârî, t. II, p. 246, 247; Maccarî, t. I, p. 344-346, 370 et suiv.

<p>153</p>

Comparez Vita Joh. Gorz., c. 135.

<p>154</p>

Voyez Maccarî, t. I, p. 254, l. 9 et 10.

<p>155</p>

Ibn-Khaldoun, dans mes Recherches, t. I, p. 105.

<p>156</p>

Sampiro, c. 26.

<p>157</p>

Ibn-Khaldoun, fol. 16 r.

<p>158</p>

Ibn-Adhârî, t. II, p. 250.