Aymeris. Blanche Jacques-Émile. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Blanche Jacques-Émile
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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aux gémissements de l’ordonnance.

      Ces Prussiens, était-ce donc les mêmes que ceux de la «parade» sur la place, paisibles auditeurs de la musique devant l’Hôtel des Bains? Voilà ce qu’ils font, quand ils se croient chez eux, ces officiers à sabretache et à galons dorés, eux qui, dans les pâtisseries, offrent des gâteaux à des dames anglaises! Oui, ces beaux seigneurs à casques, chamarrés de décorations, frappent les simples troupiers qui n’en ont pas sur leur poitrine. Il existe donc, partout, deux classes d’hommes: ceux qui commandent et ceux qui obéissent, ceux qui flanquent des coups et ceux qui les reçoivent? Georges confia à Jessie que le colonel ressemblait à tante Caro, et Jessie s’esclaffa en mettant sa main devant sa bouche, par convenance. —Yes, just as haughty the one as the other! dit-elle15.

      Les deux enfants s’embrassèrent. Mme Aymeris les aperçut et les gronda.

      Après la Commune, Mme Aymeris fit un court séjour à Paris, seule avec son fils. M. Aymeris ne s’était plus rasé depuis le 21 mars. Mme Aymeris, malgré son émotion du revoir, ne put se tenir de rire. – Mon bon Pierre, non! Tu aurais dû faire couper cela!.. Tu as l’air d’un fédéré!

      A la guerre, dont on touchait encore les plaies, la révolution avait ajouté les siennes; et de l’incendie persistait l’odeur. Dans Auteuil le vide et la dévastation; des villas sans toit, sans fenêtres, les marronniers et les acacias sont abattus. La colonne de la place Vendôme gît brisée sur le sol; Napoléon, l’Empereur, près d’une bouche d’égout! Le château des Tuileries profile ses corniches calcinées sur l’azur de juin. Au lieu des parterres où Georges et Jacques avaient naguère vu jouer le Prince Impérial avec le jeune Conneau, bée un cloaque d’où les moineaux se sont enfuis.

      Alors Mme Aymeris complète en hâte les travaux à Longreuil. On tâchera d’oublier, dans les herbages du Calvados, les ruines de la Commune, Paris, le jardin de Passy, lieux trop pleins de souvenirs détestables. On eût dit qu’un verre fumé s’interposait entre le soleil et la terre de France, comme en une éclipse totale, quand les animaux se pressent l’un contre l’autre, tels des moutons que harcèle le chien du berger.

      Bien plus qu’avant la Commune, les dames Aymeris avaient un air de deuil. L’ouragan déchaîné sur la patrie avait déposé sur les gens et sur les choses comme une lave de volcan.

      En août, le manoir fut habitable. Le pays alentour disposait de peu de ressources, sauf le marché du vendredi à Pont-l’Evêque: pauvres étalages de poteries, de faïences grossières, de cotonnades, avec les légumes et les fromages de la région, bien maigres attraits pour Georges auprès des bric-à-brac du Bazar du Casino et de la grande rue de Dieppe. Ses tantes lui enseignaient les devoirs d’un futur propriétaire, les bienfaits de l’agriculture, l’amour du sol; commençaient à jouer, avec leur neveu, au châtelain, à surveiller les ouvriers de la ferme; personne ne travaillait assez «la belle terre de France, qui suffirait à tout, si l’on s’y prenait bien!»

      – Elles ont un génie pour faire trimer les autres, – disait Mme Aymeris. Nous ne conserverons jamais nos domestiques de ferme, à cause des exigences de Caro et Lili, aussi tatillonnes et sévères que si Longreuil leur appartenait.

      Ces demoiselles eussent volontiers vécu toute l’année «en pleine nature», mais dans le Midi, ne fût-ce hélas! les moustiques, la menace d’une disette d’eau, la jalousie et le mauvais esprit des méridionaux.

      – Tous démagogues, les paysans, même en Calvados! Ils en veulent au château! Et quel château! Les Pierre ont acheté le seul domaine de Normandie où il n’y ait ni rivière, ni source. Une bicoque plantée entre une gare et un tas de fumier!.. On brûlerait là dedans comme une boîte d’allumettes, il n’y a ni pompiers dans le bourg, ni eau dans la mare. La gendarmerie est à trois lieues d’ici!

      «Tes sœurs ont trouvé a Longreuil leur affaire», écrivait cependant la bonne Mme Aymeris à son mari; «tant que cela durera, profitons-en. Au moins veilleront-elles à ce que le beurre soit proprement fait, et les blés rentrés à temps. Elles lisent des ouvrages sur l’agriculture, ce qui vaut mieux que le journal de guerre de la Générale. Je leur défends d’agiter notre chéri avec ces abominations.»

      Mlles Aymeris dévoraient ces cahiers, à elles prêtés par la comtesse de Mongéroux, seule voisine de campagne qu’elles fréquentassent, à cause de ses opinions et de son patriotisme, mais qu’Alice avait prise en grippe, un soir qu’elle avait amené dans le salon de Longreuil ses nièces, une bossue, une bancale et la troisième obèse, quêteuses pour des œuvres d’entraînement militaire. Ces vierges avaient rongé leur frein, pendant le siège, au lieu d’être aux avant-postes avec leurs frères; elles qui avaient noté les moindres fautes des chefs, conseilleraient les membres de la Défense Nationale, feraient fusiller des traîtres, des misérables pour lesquels elles imaginaient des supplices, des raffinements de torture… Qu’il serait bon de les tenir entre deux fers rouges! Elles leur enfonceraient des épingles dans les prunelles, leur verseraient dans la gorge des bidons de pétrole bouillant; les assiéraient sur une plaque de tôle, avec un brasier en dessous!..

      Georges, qui «modelait» silencieusement dans la salle à manger, avait écouté avec stupeur ces paroles valeureuses, comme les allégros du vieil Octave, musique inédite et si différente des anciens refrains des centenaires de Passy avant la guerre!

      Il entendait ses tantes parler politique; elles lui expliquèrent le sens révolutionnaire de la Marseillaise des petits Gerbois. Quoiqu’elles niassent que l’Empire fût responsable du désastre, elles se ralliaient à Henri V, souhaitaient de mettre bientôt des gants blancs pour applaudir le Roi sur le parvis de Notre-Dame.

      Etait-ce un cauchemar, cette République, ou la réalité? M. Thiers, en tant que Président, verrait-il donc son nom dans le Gotha, imprimé comme celui d’un monarque? Elles riaient, plaisantaient, en reconnaissant que le petit Monsieur à toupet et à lunettes avait été un ami des Princes, «quelqu’un de la Société»! La devise: Liberté, Egalité, Fraternité, leur semblait une provocation «aux classes dirigeantes» et «tout à fait comique».

      – Lili, tu sais que nous devenons tous frères! Frères du serrurier, du jardinier, de la fermière, de la cuisinière! Si la Jessie est l’égale de Georges… pourquoi ne l’épouserait-il pas, plus tard? Tiens! Georges, un parti pour toi, mon chou! C’est à mourir de rire! – déclara Caroline, pendant un déjeuner où n’assistaient pas les Anglaises.

      Georges plia sa serviette, chercha Jessie à travers le jardin, l’appela: —Come on, Jessie, come! Let us go and sit out in the garden? I want you so badly! do come at once16… – et passa son bras autour de la ceinture de son amie, en un irrésistible besoin de lui dire des choses qui, sans doute, lui resteraient dans la gorge; mais il lui ferait cadeau de sa montre, de son mouchoir, d’une plume avec laquelle il écrivait mieux qu’avec les autres; il lui donnerait des cahiers, sa statuette de la reine Victoria, ou même le fameux magot chinois que Nou-Miette lui avait permis d’acheter à l’exposition universelle de 1867: sa première extravagance de collectionneur!

      La nuit suivante il rêva du Sacre du Roi et de la Marseillaise, de Troppmann, des demoiselles quêteuses et du train où les communards chassaient les prêtres vêtus en femme; ses notions en histoire de France, en histoire sainte, qu’il s’était remis à étudier, se confondirent, dans le jour, avec la politique, la guerre, les «classes dirigeantes». Il retenait un seul fait de ce fouillis: Jessie irritait ses tantes, comme la devise: Liberté, Egalité, Fraternité – celle de la République.

      Ce fut à l’époque de sa première communion que Georges doubla le cap des tempêtes. Cette période développa en lui une exaltation mystique, du genre de celles que les prêtres combattent comme un ennemi aussi perfide que Satan.

      Ce n’était pas les scrupules, autant qu’une sorte de volupté dans la prière, qui devaient le troubler.

      M. et Mme Aymeris, d’abord surpris et heureux de sa docilité,


<p>15</p>

Oui, tout aussi fiers l’un que l’autre.

<p>16</p>

Venez, Jessie! venez! allons nous asseoir au jardin: j’ai tant besoin de vous! Venez tout de suite!