Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3. Bastiat Frédéric. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Bastiat Frédéric
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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en vertu d'un contrat de monopole réciproque, entre la métropole et ses colonies, étaient d'une nature différente et plus avantageuse que ceux qui s'accomplissent entre pays libres, le système colonial a pu être soutenu par le préjugé national. Mais lorsque la science et l'expérience (et la science n'est que l'expérience méthodique) ont révélé et mis hors de doute cette simple vérité: les produits s'échangent contre des produits, il est devenu évident que le sucre, le café, le coton, qu'on tire de l'étranger, n'offrent pas moins de débouchés à l'industrie des regnicoles que ces mêmes objets venus des colonies. Dès lors ce régime, accompagné d'ailleurs de tant de violences et de dangers, n'a plus pour point d'appui aucun motif raisonnable ou même spécieux. Il n'est que le prétexte et l'occasion d'une immense injustice. Essayons d'en calculer la portée.

      Quant au peuple anglais, je veux dire la classe productive, il ne gagne rien à la vaste extension de ses possessions coloniales. En effet, si ce peuple est assez riche pour acheter du sucre, du coton, du bois de construction, que lui importe de demander ces choses à la Jamaïque, à l'Inde et au Canada, ou bien au Brésil, aux États-Unis, à la Baltique? Il faut bien que le travail manufacturier anglais paie le travail agricole des Antilles, comme il paierait le travail agricole des nations du Nord. C'est donc une folie que de faire entrer dans le calcul les prétendus débouchés ouverts à l'Angleterre par ses colonies. Ces débouchés, elle les aurait alors même que les colonies seraient affranchies, et par cela seul qu'elle y exécuterait des achats. Elle aurait de plus les débouchés étrangers, dont elle se prive en restreignant ses approvisionnements à ses possessions, en leur en conférant le monopole.

      Lorsque les États-Unis proclamèrent leur indépendance, les préjugés coloniaux étaient dans toute leur force, et tout le monde sait que l'Angleterre crut son commerce ruiné. Elle le crut si bien, qu'elle se ruinait d'avance en frais de guerre pour retenir ce vaste continent sous sa domination. Mais qu'est-il arrivé? En 1776, au commencement de la guerre de l'Indépendance, les exportations anglaises à l'Amérique du Nord étaient de 1,300,000 liv. sterl., elles s'élevèrent à 3,600,000 liv. sterl. en 1784, après que l'indépendance eut été reconnue; et elles montent aujourd'hui à 12,400,000 liv. sterl., somme qui égale presque celle de toutes les exportations que fait l'Angleterre à ses quarante-cinq colonies, puisque celles-ci n'ont pas dépassé, en 1842, 13,200,000 liv. sterl. – Et, en effet, on ne voit pas pourquoi des échanges de fer contre du coton, ou d'étoffes contre des farines, ne s'accompliraient plus entre les deux peuples. Serait-ce parce que les citoyens des États-Unis sont gouvernés par un président de leur choix au lieu de l'être par un lord-lieutenant payé aux frais de l'Échiquier? Mais quel rapport y a-t-il entre cette circonstance et le commerce? Et si jamais nous nommions nos maires et nos préfets, cela empêcherait-il les vins de Bordeaux d'aller à Elbeuf, et les draps d'Elbeuf de venir à Bordeaux?

      On dira peut-être que, depuis l'acte d'indépendance, l'Angleterre et les États-Unis repoussent réciproquement leurs produits, ce qui ne serait pas arrivé si le lien colonial n'eût pas été rompu. Mais ceux qui font l'objection entendent sans doute présenter un argument en faveur de ma thèse; ils entendent insinuer que les deux pays auraient gagné à échanger librement entre eux les produits de leur sol et de leur industrie. Je demande comment un troc de blé contre du fer, ou de tabac contre de la toile, peut être nuisible selon que les deux nations qui l'accomplissent sont ou ne sont pas politiquement indépendantes l'une de l'autre? – Si les deux grandes familles anglo-saxonnes agissent sagement, conformément à leurs vrais intérêts, en restreignant leurs échanges réciproques, c'est sans doute parce que ces échanges sont funestes; et, en ce cas, elles auraient également bien fait de les restreindre alors même qu'un gouverneur anglais résiderait encore au Capitole. – Si au contraire elles ont mal fait, c'est qu'elles se sont trompées, c'est qu'elles ont mal compris leurs intérêts, et l'on ne voit pas comment le lien colonial les eût rendues plus clairvoyantes.

      Remarquez en outre que les exportations de 1776 s'élevant à 1,300,000 liv. sterl., ne peuvent pas être supposées avoir donné à l'Angleterre plus de vingt pour 100, ou 260,000 liv. sterl. de bénéfice; et pense-t-on que l'administration d'un aussi vaste continent n'absorbait pas dix fois cette somme?

      On s'exagère d'ailleurs le commerce que l'Angleterre fait avec ses colonies et surtout les progrès de ce commerce. Malgré que le gouvernement anglais contraigne les citoyens à se pourvoir aux colonies et les colons à la métropole; malgré que les barrières de douane qui séparent l'Angleterre des autres nations se soient, dans ces dernières années, prodigieusement multipliées et renforcées, on voit le commerce étranger de l'Angleterre se développer plus rapidement que son commerce colonial, comme le constate le tableau suivant:

      Aux deux époques, le commerce colonial n'entre que pour un peu plus du quart dans le commerce général. – L'accroissement, dans onze ans, est de trois millions environ. Et il faut remarquer que les Indes orientales, auxquelles ont été appliqués, dans l'intervalle, les principes de la liberté, entrent pour 1,300,000 liv. dans cet accroissement, et Gibraltar, – qui ne donne pas lieu à un commerce colonial, mais à un commerce étranger, avec l'Espagne, – pour 600,000 liv. sterl.; en sorte qu'il ne reste pour l'augmentation réelle du commerce colonial, dans un intervalle de onze ans, que 1,100,000 liv. sterl. – Pendant ce même temps, et en dépit de nos tarifs, les exportations de l'Angleterre en France se sont élevées de liv. sterl. 602,688 à 3,193,939.

      Ainsi le commerce protégé a progressé dans la proportion de 8 pour 100, et le commerce contrarié de 450 pour 100!

Mais si le peuple anglais n'a pas gagné, s'il a même énormément perdu au système colonial, il n'en est pas de même des branches cadettes de l'aristocratie britannique.

      D'abord ce système exige une armée, une marine, une diplomatie, des lords-lieutenants, des gouverneurs, des résidents, des agents de toutes sortes et de toutes dénominations. – Quoiqu'il soit présenté comme ayant pour but de favoriser l'agriculture, le commerce et l'industrie, ce n'est pas, que je sache, à des fermiers, à des négociants, à des manufacturiers que ces hautes fonctions sont confiées. On peut affirmer qu'une grande partie de ces lourdes taxes, que nous avons vues peser principalement sur le peuple, sont destinées à salarier tous ces instruments de conquête, qui ne sont autres que les puînés de l'aristocratie anglaise.

      C'est un fait connu d'ailleurs que ces nobles aventuriers ont acquis de vastes domaines dans les colonies. La protection leur a été accordée; il est bon de calculer ce qu'elle coûte aux classes laborieuses.

      Antérieurement à 1825, la législation anglaise sur les sucres était très-compliquée.

      Le sucre des Antilles payait le moindre droit; celui de Maurice et des Indes était soumis à une taxe plus élevée. Le sucre étranger était repoussé par un droit prohibitif.

      Le 5 juillet 1825, l'île Maurice, et, le 13 août 1836, l'Inde anglaise furent placées avec les Antilles sur le pied de l'égalité.

      La législation simplifiée ne reconnut plus que deux sucres: le sucre colonial et le sucre étranger. Le premier avait à acquitter un droit de 24 sh., le second de 63 sh. par quintal.

Si l'on admet, pour un instant, que le prix de revient soit le même aux colonies et à l'étranger, par exemple, 20 sh., on comprendra aisément les résultats d'une telle législation, soit pour les producteurs, soit à l'égard des consommateurs.

      L'étranger ne pourra livrer ses produits sur le marché anglais au-dessous de 83 sh., savoir: 20 sh. pour couvrir les frais de production, et 63 sh., pour acquitter la taxe. – Pour peu que la production coloniale soit insuffisante à alimenter ce marché; pour peu que le sucre étranger s'y présente, le prix vénal (car il ne peut y avoir qu'un prix vénal), sera donc de 83 sh., et ce prix, pour le sucre colonial, se décomposera ainsi:

      On voit que la loi anglaise avait pour but de faire payer au peuple 83 sh. ce qui n'en vaut que 20, et de partager l'excédant, ou 63 sh., de manière à ce que la part du trésor fût de 24, et celle du monopole de 39 sh.

      Si les choses