La Comédie humaine, Volume 5. Honore de Balzac. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Honore de Balzac
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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le visage assez allumé par le déjeuner, tous, à la sortie des vêpres. Selon les prévisions du notaire, l'abbé Chaperon donnait le bras à la vieille madame de Portenduère.

      – Elle l'a traîné à vêpres, s'écria madame Massin en montrant à madame Crémière Ursule et son parrain qui sortaient de l'église.

      – Allons lui parler, dit madame Crémière en s'avançant vers le vieillard.

      Le changement que la conférence avait opéré sur tous ces visages surprit le docteur Minoret. Il se demanda la cause de cette amitié de commande, et par curiosité favorisa la rencontre d'Ursule et des deux femmes empressées de la saluer avec une affection exagérée et des sourires forcés.

      – Mon oncle, nous permettrez-vous de venir vous voir ce soir? dit madame Crémière. Nous avons cru quelquefois vous gêner; mais il y a bien long-temps que nos enfants ne vous ont rendu leurs devoirs, et voilà nos filles en âge de faire connaissance avec notre chère Ursule.

      – Ursule est digne de son nom, répliqua le docteur, elle est très-sauvage.

      – Laissez-nous l'apprivoiser, dit madame Massin. Et puis tenez, mon oncle, ajouta cette bonne ménagère en essayant de cacher ses projets sous un calcul d'économie, on nous a dit que votre chère filleule a un si beau talent sur le forté, que nous serions bien enchantées de l'entendre. Madame Crémière et moi, nous sommes assez disposées à prendre son maître pour nos petites; car s'il avait sept ou huit élèves, il pourrait mettre les prix de ses leçons à la portée de nos fortunes…

      – Volontiers, dit le vieillard, et cela se trouvera d'autant mieux que je veux aussi donner un maître de chant à Ursule.

      – Eh! bien, à ce soir, mon oncle, nous viendrons avec votre petit-neveu Désiré, que voilà maintenant avocat.

      – A ce soir, répondit Minoret qui voulut pénétrer ces petites âmes.

      Les deux nièces serrèrent la main d'Ursule en lui disant avec une grâce affectée: – Au revoir.

      – Oh! mon parrain, vous lisez donc dans mon cœur, s'écria Ursule en jetant au vieillard un regard plein de remercîments.

      – Tu as de la voix, dit-il. Et je veux te donner aussi des maîtres de dessin et d'italien. Une femme, reprit le docteur en regardant Ursule au moment où il ouvrait la grille de sa maison, doit être élevée de manière à se trouver à la hauteur de toutes les positions où son mariage peut la mettre.

      Ursule devint rouge comme une cerise: son tuteur semblait penser à la personne à laquelle elle pensait elle-même. En se sentant près d'avouer au docteur le penchant involontaire qui la portait à s'occuper de Savinien et à lui rapporter tous ses désirs de perfection, elle alla s'asseoir sous le massif de plantes grimpantes, où, de loin, elle se détachait comme une fleur blanche et bleue.

      – Vous voyez bien, mon parrain, que vos nièces sont bonnes pour moi; elles ont été gentilles, dit-elle en le voyant venir et pour lui donner le change sur les pensées qui la rendaient rêveuse.

      – Pauvre petite! s'écria le vieillard.

      Il étala sur son bras la main d'Ursule en la tapotant, et l'emmena le long de la terrasse au bord de la rivière où personne ne pouvait les entendre.

      – Pourquoi dites-vous pauvre petite?

      – Ne vois-tu pas qu'elles te craignent?

      – Et pourquoi?

      – Mes héritiers sont en ce moment tous inquiets de ma conversion, ils l'ont sans doute attribuée à l'empire que tu exerces sur moi, et s'imaginent que je les frustrerai de ma succession pour t'enrichir.

      – Mais ce ne sera pas?.. dit naïvement Ursule en regardant son parrain.

      – Oh! divine consolation de mes vieux jours, dit le vieillard qui enleva de terre sa pupille et la baisa sur les deux joues. C'est bien pour elle et non pour moi, mon Dieu! que je vous ai prié tout à l'heure de me laisser vivre jusqu'au jour où je l'aurai confiée à quelque bon être digne d'elle. Tu verras, mon petit ange, les comédies que les Minoret, les Crémière et les Massin vont venir jouer ici. Tu veux embellir et prolonger ma vie, toi! Eux, ils ne pensent qu'à ma mort.

      – Dieu nous défend de haïr, mais si cela est?.. oh! je les méprise bien, fit Ursule.

      – Le dîner! cria la Bougival du haut du perron qui du côté du jardin se trouvait au bout du corridor.

      Ursule et son tuteur étaient au dessert dans la jolie salle à manger décorée de peintures chinoises en façon de laque, la ruine de Levrault-Levrault, lorsque le juge de paix se présenta; le docteur lui offrit, telle était sa grande marque d'intimité, une tasse de son café Moka mélangé de café Bourbon et de café Martinique, brûlé, moulu, fait par lui-même dans une cafetière d'argent, dite à la Chaptal.

      – Eh! bien, dit Bongrand en relevant ses lunettes et regardant le vieillard d'un air narquois, la ville est en l'air, votre apparition à l'église a révolutionné vos parents. Vous laissez votre fortune aux prêtres, aux pauvres. Vous les avez remués, et ils se remuent, ah! J'ai vu leur première émeute sur la place, ils étaient affairés comme des fourmis à qui l'on a pris leurs œufs.

      – Que te disais-je, Ursule? s'écria le vieillard. Au risque de te peiner, mon enfant, ne dois-je pas t'apprendre à connaître le monde et te mettre en garde contre des inimitiés imméritées!

      – Je voudrais vous dire un mot à ce sujet, reprit Bongrand en saisissant cette occasion de parler à son vieil ami de l'avenir d'Ursule.

      Le docteur mit un bonnet de velours noir sur sa tête blanche, le juge de paix garda son chapeau pour se garantir de la fraîcheur, et tous deux ils se promenèrent le long de la terrasse en discutant les moyens d'assurer à Ursule ce que son parrain voudrait lui donner. Le juge de paix connaissait l'opinion de Dionis sur l'invalidité d'un testament fait par le docteur en faveur d'Ursule, car Nemours se préoccupait trop de la succession Minoret pour que cette question n'eût pas été agitée entre les jurisconsultes de la ville. Bongrand avait décidé qu'Ursule Mirouët était une étrangère à l'égard du docteur Minoret, mais il sentait bien que l'esprit de la législation repoussait de la famille les superfétations illégitimes. Les rédacteurs du code n'avaient prévu que la faiblesse des pères et des mères pour les enfants naturels, sans imaginer que des oncles ou des tantes épouseraient la tendresse de l'enfant naturel en faveur de sa descendance. Évidemment il se rencontrait une lacune dans la loi.

      – En tout autre pays, dit-il au docteur en achevant de lui exposer l'état de la jurisprudence que Goupil, Dionis et Désiré venaient d'expliquer aux héritiers, Ursule n'aurait rien à craindre; elle est fille légitime, et l'incapacité de son père ne devrait avoir d'effet qu'à l'égard de la succession de Valentin Mirouët, votre beau-père; mais en France, la magistrature est malheureusement très spirituelle et conséquentielle, elle recherche l'esprit de la loi. Des avocats parleront morale et démontreront que la lacune du code vient de la bonhomie des législateurs qui n'ont pas prévu le cas, mais qui n'en ont pas moins établi un principe. Le procès sera long et dispendieux. Avec Zélie on irait jusqu'en cour de cassation, et je ne suis pas sûr d'être encore vivant quand ce procès se fera.

      – Le meilleur des procès ne vaut encore rien, s'écria le docteur. Je vois déjà des mémoires sur cette question: Jusqu'à quel degré l'incapacité qui, en matière de succession, frappe les enfants naturels, doit-elle s'étendre? et la gloire d'un bon avocat consiste à gagner de mauvais procès.

      – Ma foi, dit Bongrand, je n'oserais prendre sur moi d'affirmer que les magistrats n'étendraient pas le sens de la loi dans l'intention d'étendre la protection accordée au mariage, base éternelle des sociétés.

      Sans se prononcer sur ses intentions, le vieillard rejeta le fidéicommis. Mais quant à la voie d'un mariage que Bongrand lui proposa de prendre pour assurer sa fortune à Ursule: – Pauvre petite! s'écria le docteur. Je suis capable de vivre encore quinze ans, que deviendrait-elle?

      – Eh! bien, que comptez-vous donc faire?.. dit Bongrand.

      – Nous