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flagrante, et s'il est dans la nature de la restriction d'assurer des prix de revient aux industries agricole et manufacturière, et, par suite, des salaires aux ouvriers, c'était le cas plus que jamais de renforcer le système restrictif, alors que les prix de revient échappaient aux agriculteurs, et, par suite, les salaires aux ouvriers; mais si on eût été assez fou, on n'eût pas été assez fort.

      En France comme en Angleterre, les mesures qu'on a décrétées pour ramener l'abondance sont provisoires, comme si l'on voulait que la subsistance du peuple ne fût assurée que provisoirement. Car, enfin, les régimes opposés de la restriction, et de la liberté ont chacun leurs tendances. Lequel des deux tend à accroître les moyens de subsistance et de satisfaction? Si c'est le régime restrictif, il le faut conserver en tout temps, et surtout quand les causes d'un autre ordre menacent nos approvisionnements. Si c'est le régime libre, acceptons donc la liberté, non pas d'une manière transitoire, mais permanente.

      Un trait fort caractéristique de notre époque, c'est que sous l'empire de la nécessité, on a eu recours, des deux côtés de la Manche, à des mesures libérales, tout en déclamant contre la liberté. On s'est beaucoup élevé au Parlement et dans nos Chambres contre l'avidité des spéculateurs. On leur reproche les bénéfices qu'ils font, soit sur le blé, soit sur les transports; et l'on ne prend pas garde que c'est précisément ce bénéfice qui est le stimulant de l'importation, et qui fait surgir, quand le besoin s'en manifeste, des moyens de transport.

      Ces moyens ont manqué entre Marseille et Lyon; et l'on reproche, d'une part, aux voituriers d'avoir haussé le prix de leurs services, et, de l'autre, au gouvernement de n'être pas intervenu pour forcer les entrepreneurs de charrois à travailler sur le principe de la philanthropie12.

      Supposons qu'il y ait 100 tonneaux à transporter d'un point à un autre, et qu'il n'y ait de ressources que pour porter 10 tonneaux. Si l'intervention du gouvernement, ou même le sentiment philanthropique empêche le prix de transport de s'élever, qu'arrivera-t-il? 10 tonneaux seront transportés à Lyon, et les consommateurs de ces 10 tonneaux, s'ils n'ont point un excédant de prix à payer pour le transport, auront cependant à surpayer le blé, précisément parce que 10 tonneaux seulement seront arrivés. En définitive, Lyon aura 90 tonneaux de déficit et Marseille 90 tonneaux d'excédant. Il y aura perte pour tout le monde, perte pour le spéculateur marseillais, perte pour le consommateur lyonnais, perte pour l'entrepreneur de transport. Si, au contraire, la liberté est maintenue, le transport sera cher, nous en convenons, puisque, dans l'hypothèse, il n'y a de ressources que pour le transport de 10 tonneaux quand il y a 100 tonneaux à transporter. Mais c'est cette cherté même qui fera affluer de tous les points les voitures vers Marseille, en sorte que la concurrence rétablira le prix du fret à un taux équitable, et les 100 tonneaux arriveront à leur destination.

      Nous comprenons que, lorsqu'un obstacle se présente, la première pensée qui vienne à l'esprit, c'est de recourir au gouvernement. Le gouvernement dispose de grandes forces; et, dès lors, il peut presque toujours vaincre l'obstacle qui gêne. Mais est-il raisonnable de s'en tenir à cette première conséquence et de fermer les yeux sur toutes celles qui s'ensuivent? Or, si le premier effet de l'action gouvernementale est de vaincre l'obstacle présent, le second effet est d'éloigner et de paralyser toutes les forces individuelles, toute l'activité commerciale. Dès lors pour avoir agi une fois, le gouvernement se voit dans la nécessité d'agir toujours. Il arrive ce que nous voyons en Irlande, où l'État a insensiblement accepté la charge impossible de nourrie, vêtir et occuper la population tout entière.

      Un autre trait fort remarquable, c'est l'accès inattendu de philanthropie qui a saisi tout à coup les monopoleurs. Eux, qui pendant tant d'années ont opéré systématiquement la cherté du blé à leur profit, ils se révoltent maintenant avec une sainte ardeur contre tout ce qui tend à renchérir le blé, notamment contre les profits du commerce et de la marine. À la Chambre des lords, le fameux protectionniste lord Bentinck a fait une violente sortie contre les spéculateurs; et rappelant que Nadir Shah avait fait pendre un Arménien pour avoir accumulé du blé et créé ainsi une hausse artificielle: «Je suivrais volontiers cette politique, a-t-il ajouté, seulement en modifiant la forme du châtiment.» Hélas! si depuis 1815 on avait pendu tous ceux qui ont causé artificiellement une hausse du prix des produits, toute l'Angleterre y aurait passé, à commencer par l'aristocratie, et lord Bentinck en tête. En France, il faudrait pendre les trois quarts de la nation, et notamment tous les pairs et tous les députés, puisqu'ils viennent de voter qu'au mois d'août prochain la cherté artificielle recommencerait par la résurrection de l'échelle mobile.

      7. – DE L'INFLUENCE DU RÉGIME PROTECTEUR SUR LA SITUATION DE L'AGRICULTURE EN FRANCE

(Journal des Économistes, Décembre 1846.)

      Il n'est certainement aucun peuple qui se brûle à lui-même autant d'encens que le peuple français, quand il se considère en masse, et, pour ainsi dire, en nation abstraite. «Notre terre est la terre des braves; notre pays, le pays de l'honneur et de la loyauté par excellence; nous sommes généreux et magnifiques; nous marchons à la tête de la civilisation, et ce qu'ont de mieux à faire tous les habitants de cette planète, c'est de recevoir nos idées, d'imiter nos mœurs et de copier notre organisation sociale.»

      Que si nous venons, hélas! à nous considérer classe par classe, fraction par fraction, non-seulement ces puissantes vibrations du dithyrambe n'arrivent plus à notre oreille, mais elles font place à une clameur d'accusations, à un feu croisé de reproches, qui, s'ils étaient vrais, nous réduiraient à accepter humblement la terrible condamnation de Rousseau. «Peuple français, tu n'es peut-être pas le plus esclave, mais tu es bien le plus valet de tous les peuples.»

      Écoutez, en effet, ce que disent les Députés des Ministres, les Électeurs des Députés, les Prolétaires des Électeurs! Selon le Commerce, le temple de Thémis est une forêt noire; suivant la Magistrature, le Commerce n'est plus que l'art de la fraude. Si l'esprit d'association ne se développe que lentement, le faiseur d'entreprises s'en prend à la défiance qu'éprouve l'actionnaire, et l'actionnaire à la défiance qu'inspire le faiseur d'entreprises. Le paysan est un routinier; le soldat, un instrument passif prêt à faire feu sur ses frères; l'artisan, un être anormal qui n'est plus retenu par le frein des croyances sans l'être encore par celui de l'honneur. Enfin, si la moitié ou le quart seulement de ces récriminations étaient fondées, il faudrait en conclure que le misanthrope de Genève nous a traités avec ménagement.

      Ce qu'il y a de singulier, c'est que nous en usons d'une façon tout opposée envers nos voisins d'outre-Manche. En masse, nous les accablons de nos mépris. «Méfiez-vous de l'Angleterre, elle ne cherche que des dupes, elle n'a ni foi ni loi; son Dieu est l'intérêt, son but l'oppression universelle, ses moyens l'astuce, l'hypocrisie et l'abus de la force.» – Mais, en détail, nous lui élevons un piédestal afin de la mieux admirer. «Quelle profondeur de vues dans ses hommes d'État! quel patriotisme dans ses représentants quelle habileté dans ses manufacturiers! quelle audace dans ses négociants! Comment l'association mettrait-elle en œuvre dans ce pays trente milliards de capitaux, si elle ne marchait pas dans la voie de la loyauté? Voyez ses fermiers, ses ouvriers, ses mécaniciens, ses marins, ses cochers, ses palefreniers, ses grooms, etc., etc.»

      Mais cette admiration outrée se manifeste surtout par le plus sincère de tous les hommages: l'imitation.

      Les Anglais font-ils des conquêtes? Nous voulons faire des conquêtes, sans examiner si nous avons, comme eux, des milliers de cadets de famille à pourvoir. Ont-ils des colonies? nous voulons avoir des colonies, sans nous demander si, pour eux comme pour nous, elles ne coûtent pas plus qu'elles ne valent. Ont-ils des chevaux de course? nous voulons des chevaux de course, sans prendre garde que ce qui peut être recherché par une aristocratie amante de la chasse et du jeu est fort inutile à une démocratie dont le sol fractionné n'admet guère la chasse, même à pied. Voyons-nous enfin leur population déserter les campagnes pour aller s'engloutir dans les mines, s'agglomérer dans les villes manufacturières, se matérialiser dans de vastes usines? aussitôt notre législation, sans égard à la situation, à l'aptitude, au génie de nos concitoyens, se met en devoir de les attirer, par l'appât


<p>12</p>

Voir le chap. VI de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, tome V, page 356.

(Note de l'éditeur.)