Les mariages de convenance
Au dernier acte d'un autre opéra de M. Scribe (Jenny Bell), on voit une délicieuse jeune fille, soumise à la volonté paternelle, épouser un gros vieux imbécile d'orfévre, et se faire vertueusement passer pour une coquette, afin d'éloigner un jeune homme qu'elle aime et dont elle est tendrement aimée. Ce dénoûment m'a paru affreux; il m'a mis en colère. Oui, quand je vois de ces stupides dévouements, de ces insolentes exigences paternelles, de ces infâmes cruautés, de ces écrasements de belles passions, de ces brutaux déchirements de cœur, je voudrais pouvoir mettre tous les gens raisonnables, toutes les héroïnes de vertu, tous les pères éclairés dans un sac, avec cent mille kilos de sagesse au fond, et les jeter à la mer accompagnés de mes plus âcres malédictions.
Vous croyez que je plaisante! eh bien, vous vous trompez. J'étais furieux tout à l'heure; je suis chargé d'une telle haine pour les pères Capulets et les comtes Pâris qui ont ou veulent avoir des Juliettes, que la moindre étincelle dramatique me met en feu et provoque une explosion. La vertu grotesque de Jenny Bell m'avait réellement exaspéré. Il y a d'ailleurs tant d'espèces de pères Capulets et de comtes Pâris et si peu de Juliettes! Le grand amour et le grand art se ressemblent tellement! Le beau est si beau! Les passions épiques sont si rares! Le soleil de chaque jour est si pâle! La vie est si courte, la mort si certaine!.. Centuples crétins, inventeurs du renoncement, du combat contre les instincts sublimes, des mariages de convenance entre femmes et singes, entre l'art et la basse industrie, entre la poésie et le métier, soyez maudits! soyez damnés! Puissiez-vous raisonner entre vous, n'entendre que vos voix de crécelles et ne voir que vos visages blêmes dans la plus froide éternité!..
Grande nouvelle
On vient de découvrir que l'hymne national anglais «God save the king» attribué à Lulli, qui l'aurait composé sur des paroles françaises pour les Demoiselles de Saint-Cyr, n'est pas de Lulli. L'orgueil britannique repousse cette origine. Le «God save the king» est maintenant de Hændel; il l'a écrit pour les Anglais, sur le texte anglais consacré.
Il y a des découvreurs patentés de ces supercheries musicales.
Ils l'ont depuis longtemps prouvé: Orphée n'est pas de Gluck, le Devin du village n'est pas de Rousseau, la Vestale n'est pas de Spontini, la Marseillaise n'est pas de Rouget de l'Isle, enfin certaines gens vont jusqu'à prétendre que le Freyschütz n'est pas de M. Castilblaze!!!
Autre nouvelle
Mme Stoltz, dit-on, retourne au Brésil!.. elle vient de signer son engagement: quatre cent cinquante mille francs; assurance contre le mal de mer; six domestiques, huit chevaux!!! et la vue gratuite de la baie de Rio nuit et jour! et un soleil véritable! et un enthousiasme réel! et des rivières de diamants! des écharpes brodées par des mains de marquises! des colombes et des nègres rendus à la liberté après chaque représentation! sans compter les hommes libres qui tombent en esclavage!.. Plaisanterie à part, comment la diva résisterait-elle aux offres réellement magnifiques qu'on lui fait à Rio?
Résistons, nous Français, au moins, et ne laissons pas ainsi mettre notre ciel au pillage et enlever nos étoiles par ces gens des Antipodes qui ont tous la tête à l'envers.
Le sucre d'orge. – La musique sévère
On s'imagine dans le monde élégant que ces théâtres récemment éclos, et où l'on a pris la bouffonnerie au sérieux, sont des lieux malsains, mal meublés, mal éclairés, mal hantés et par suite malfamés, et l'on a raison en général de le croire. Il en est de toutes sortes pourtant. Les uns sont en effet mal hantés, mais d'autres ne sont pas hantés du tout. Celui-ci est malfamé, cet autre est affamé. Celui-là, enfin, et c'est du théâtre des Folies-Nouvelles que je parle, est un petit réduit coquet, propret, charmant, illuminé à giorno, et toujours peuplé d'un public bien couvert et de mœurs douces. L'usage s'y est établi (c'est sans doute à cet usage qu'on doit la douceur de mœurs de ses habitués) de consommer dans les entr'actes force bâtons de sucre d'orge. Dès que la toile est baissée, les lionceaux du parterre se lèvent, font un signe amical aux gazelles de la galerie, et s'enfoncent dans la bouche de longs objets de diverses couleurs qu'ils sucent et ressucent avec un sérieux des plus remarquables. Quand je dis que ces objets sucrés sont de diverses couleurs, je me trompe; il y a une couleur adoptée pour chaque entr'acte et qui ne change qu'à l'acte suivant. Après l'exposition, on suce en jaune; au moment où l'action se noue, le rose est sur toutes les lèvres; et quand l'action s'est dénouée, c'est le vert qui triomphe, et toute la salle suce en vert. Ce spectacle est fort étrange et il faut du temps pour s'y bien accoutumer. Pourquoi ce doux usage existe aux Folies-Nouvelles, comment il s'y est établi, ce qui l'y maintient… – question triple à laquelle les vrais savants sont réduits à répondre ce qu'ils répondent à tant de questions simples:
Et voyez comme on est mal instruit à Paris des choses même les plus essentielles: je ne savais pas, il y a quinze jours où est situé le théâtre des Folies-Nouvelles, et ce n'est qu'à force de dire, tout le long du boulevard, aux personnes dont la physionomie me faisait espérer de leur part quelque bienveillance: «Monsieur, oserais-je vous prier de vouloir bien prendre la peine de m'indiquer le théâtre des Folies-Nouvelles?» que j'y suis enfin parvenu. Et ce théâtre, charmant, je dois le redire, fait de la musique. Il possède un joli petit orchestre bien dirigé par un habile virtuose, M. Bernardin, et plusieurs chanteurs qui ne sont point maladroits. J'allais ce soir-là, sur la foi d'un de mes confrères, assister à une tentative de musique sérieuse dans l'opéra nouveau intitulé le Calfat. De la musique sérieuse aux Folies-Nouvelles! me disais-je tout le long du boulevard, c'est un peu bien étrange! Après tout, c'est sans doute un moyen de justifier le titre du joli petit théâtre. Nous verrons bien. Nous avons vu, et nos terreurs se sont vite dissipées. MM. les directeurs des Folies sont gens de trop d'esprit et de bon sens pour tomber dans une erreur si grave et si préjudiciable à leurs intérêts. Hâtons-nous de dire qu'ils n'y ont jamais songé. A quoi donc mon confrère pensait-il quand il m'a parlé sérieusement de la musique sérieuse du Calfat! Mais si l'auteur se fût avisé d'une aussi sotte incartade, tous les bâtons de sucre d'orge jaunes, roses et verts eussent disparu pour faire place à d'ignobles bâtons noirs de jus de réglisse, les lionceaux du parterre eussent rugi de fureur et les gazelles du balcon se fussent voilé le museau.
Ah! de la musique sérieuse! sans y être forcé! c'eût été une bonne folie! Ces mots: musique sérieuse, ou musique sévère, ce qui est absolument la même chose dans le sens que leur attribuent certaines gens, me donnent froid dans l'épine dorsale. Ils me rappellent les épreuves si dures, si cruelles, si sévères, que j'ai été contraint de subir dans mes voyages!.. La dernière seulement n'a pas eu pour moi de suites fâcheuses; elle a très-bien fini, n'ayant pas commencé. C'était dans une grande ville du Nord, dont les habitants ont une passion pour l'ennui, qui va jusqu'à la frénésie. Il y a là une salle immense où le public se rue, s'entasse, s'écrase, sans être payé, en payant même, toutes les fois qu'il est certain d'y être sévèrement traité. On a oublié d'inscrire sur le mur de ce temple la fameuse devise qui brille en lettres d'or dans la salle de concerts d'une autre grande ville du Nord:
et qu'un mauvais plaisant de ma connaissance a traduite par:
Or donc, je crus de mon devoir d'aller un jour entendre une des choses les plus sévères et les plus célèbres du répertoire musical de cette grande ville. Toutes les places étant prises, je me mis en quête d'un de ces marchands qui vendent à un prix exorbitant des billets aux abords de la salle. J'étais en négociations avec ce négociant, quand un des artistes de l'orchestre qui allait exécuter rem severam, m'apercevant: «Que faites-vous donc là? me dit-il.
– Je marchande un billet, n'ayant jamais entendu le chef-d'œuvre