A dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. (Vivement.) Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé…
Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. (Froidement.) Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie… de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamans de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût.
Ha ha!..
Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamans terminent bien des choses! Peut-être il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier…
Pourquoi, comme ceux de Madame? C'est une idée assez bisarre!
Il prétend qu'ils soient aussi beaux… Tu sens, pour moi, combien c'était égal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient.
MONSIEUR Bégearss, je vous cherchais.
Avant d'entrer chez vous, Monsieur, je venais prévenir Susanne; que vous avez dessein de lui demander cet écrin…
Au moins, Monseigneur, vous sentez…
Eh! laisse-là ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonné, en passant dans ce pays-ci?..
Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit.
C'est que tu t'entends mieux en vanité qu'en vraie fierté. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les préjugés.
Eh bien! Monsieur, du moins vous me donnez votre parole…
Depuis quand suis-je méconnu?
Je vais donc vous l'aller chercher. (A part.) Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!..
J'AI tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter.
Il en est un, Monsieur, qui m'inquiète beaucoup plus; je vous trouve un air accablé…
Te le dirai-je, Ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur. Un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable.
Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là-dessus, je vous dirais que votre second fils…
Mon second fils! je n'en ai point!
Calmez-vous, Monsieur; raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre; envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits?
Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. – Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort peu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune… que me fesait cet autre individu? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malthe, une pension, m'auraient vengé de sa mère et de lui! Mais, conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son père?
Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous appaiser; mais la vertu de votre épouse…
Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là! Commander vingt ans par ses mœurs et la piété la plus sévère, l'estime et le respect du monde; et verser sur moi seul, par cette conduire affectée, tous les torts qu'entraîne après soi ma prétendue bisarrerie!.. Ma haine pour eux s'en augmente.
Que vouliez-vous donc qu'elle fît; même en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin? Fûtes vous sans reproche vous-même? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus près…
Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera Crux, vont lui servir de dot; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon porte-feuille, et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné…
Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil.
Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entammé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays, je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux.
Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons… peut-être encor très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom? d'un jeune homme plein de mérite; car il faut avouer qu'il en a…
Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!..
Si votre pupille m'accepte; et si, sur vos grands biens, vous prélevez, pour la doter, ces trois millions d'or, du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire.
Loyal et franc ami! quel époux je donne à ma fille!..
MONSIEUR, voilà le coffre aux diamans; ne le gardés pas trop long-temps; que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame!
Susanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne.
Avertissons Figaro de ceci. (Elle sort.)
QUEL est votre projet sur l'examen de cet écrin?
Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin…
Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus.
C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui; je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. – Un an après la naissance du fils… qu'un combat détesté m'enlève. (Il met la main à ses yeux.) Lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique; au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas frescas, qui est un superbe séjour; quelle retraite, Ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain château d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre, que j'avais achetée des parens de ce page. C'est-là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence; qu'elle y