L'autre Tartuffe, ou La mère coupable. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная драматургия
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/34841
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Mais saisir, en parlant, les mots qui lui échappent, le moindre geste, un mouvement; c'est-là qu'est le secret de l'âme! Il se trame ici quelque horreur! Il faut qu'il s'en croye assuré; car je lui trouve un air… plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succès! Ne peux-tu être aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoiqu'il demande, ne pas le refuser?..

SUSANNE

      C'est beaucoup!

FIGARO

      Tout est bien, et tout marche au but; si j'en suis promptement instruit.

SUSANNE

      … Et si j'en instruis ma maîtresse?

FIGARO

      Il n'est pas tems encore; ils sont tous subjugués par lui. On ne te croirait pas: tu nous perdrais, sans les sauver. Suis-le par-tout, comme son ombre… et moi, je l'épie au-dehors…

SUSANNE

      Mon ami, je t'ai dit qu'il se défie de moi; et s'il nous surprenait ensemble… Le voilà qui descend… Ferme!.. ayons l'air de quereller bien fort. (Elle pose le bouquet sur la table.)

FIGARO, élevant la voix

      Moi, je ne le veux pas. Que je t'y prenne une autre fois!..

SUSANNE, élevant la voix

      Certes!.. oui, je te crains beaucoup!

FIGARO, feignant de lui donner un soufflet

      Ah! tu me crains!.. Tiens, insolente!

SUSANNE, feignant de l'avoir reçu

      Des coups à moi… chez ma maîtresse?

SCÈNE IIILE MAJOR BÉGEARSS, FIGARO, SUSANNEBÉGEARSS, en uniforme, un crêpe noir au bras

      EH! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi…

FIGARO, à part

      Depuis une heure!

BÉGEARSS

      Je sors, je trouve une femme éplorée…

SUSANNE, feignant de pleurer

      Le malheureux lève la main sur moi!

BÉGEARSS

      Ah l'horreur! monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappé une personne de l'autre sexe?

FIGARO, brusquement

      Eh morbleu! Monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe: elle est ma femme; une insolente, qui se mêle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigéner…

BÉGEARSS

      Est-on brutal à cet excès?

FIGARO

      Monsieur, si je prends un arbitre de mes procédés envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi!

BÉGEARSS

      Vous me manquez, Monsieur; je vais m'en plaindre à votre maître.

FIGARO, raillant

      Vous manquer! moi? c'est impossible.

      (Il sort.)

SCÈNE IVBÉGEARSS, SUSANNEBÉGEARSS

      MON enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement?

SUSANNE

      Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est échauffée; elle a fini par un soufflet… Voilà le premier de sa vie; mais moi, je veux me séparer; vous l'avez vu…

BÉGEARSS

      Laissons cela. – Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi; mais ce débat l'a dissipé.

SUSANNE

      Sont-ce là vos consolations?

BÉGEARSS

      Vas! c'est moi qui t'en vengerai! il est bien tems que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Susanne! Pour commencer, apprends un grand secret… Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée? (Susanne y va voir.) (Il dit à part) Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fonds que j'ai fait faire à la Comtesse, où sont ces importantes lettres…

SUSANNE revient

      Eh bien! ce grand secret?

BÉGEARSS

      Sers ton ami; ton sort devient superbe. – J'épouse Florestine; c'est un point arrêté; son père le veut absolument.

SUSANNE

      Qui, son père?

BÉGEARSS, en riant

      Et d'où sors-tu donc? Règle certaine, mon enfant; lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un, comme pupille, ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. (D'un ton sérieux.) Bref, je puis l'épouser… si tu me la rends favorable.

SUSANNE

      Oh! mais Léon en est très amoureux.

BÉGEARSS

      Leur fils? (froidement) je l'en détacherai.

SUSANNE, étonnée

      Ha!.. Elle aussi, elle est fort éprise!

BÉGEARSS

      De lui?..

SUSANNE

      Oui.

BÉGEARSS, froidement

      Je l'en guérirai.

SUSANNE, plus surprise

      Ha ha!.. Madame qui le sait, donne les mains à leur union!

BÉGEARSS, froidement

      Nous la ferons changer d'avis.

SUSANNE, stupéfaite

      Aussi?.. Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme!

BÉGEARSS

      C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en être délivrée?

SUSANNE

      S'il ne lui arrive aucun mal?..

BÉGEARSS

      Fi donc! la seule idée flétrit l'austère probité. Mieux instruits sur leurs intérêts, ce sont eux-mêmes qui changeront d'avis.

SUSANNE, incrédule

      Si vous faites cela, Monsieur…

BÉGEARSS, appuyant

      Je le ferai. – Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. (L'air caressant.) Je n'ai jamais vraiment aimé que toi.

SUSANNE, incrédule

      Ah! si Madame avait voulu…

BÉGEARSS

      Je l'aurais consolée sans doute; mais elle a dédaigné mes vœux!.. Suivant le plan que le Comte a formé, la Comtesse va au couvent.

SUSANNE, vivement

      Je ne me prête à rien contre elle.

BÉGEARSS

      Que diable! il la sert dans ses goûts! Je t'entends toujours dire: Ah! c'est un ange sur la terre!

SUSANNE, en colère

      Eh bien! faut-il la tourmenter?

BÉGEARSS, riant

      Non; mais du moins la rapprocher de ce Ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombée!.. Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est établi…

SUSANNE, vivement

      Le Comte veut s'en séparer?

BÉGEARSS

      S'il peut.

SUSANNE, en colère

      Ah! les scélérats d'hommes! quand on les étranglerait tous!..

BÉGEARSS, riant

      J'aime à croire que tu m'en exceptes?

SUSANNE

      Ma foi!.. pas trop.

BÉGEARSS, riant

      J'adore ta franche colère: elle met à jour ton bon cœur! Quant à l'amoureux chevalier; il le destine à voyager… long-temps. – Le Figaro, homme expérimenté, sera son discret conducteur. (Il lui prend la main.) Et voici ce qui nous concerne: Le Comte, Florestine et moi, habiterons le même hôtel: et la chère Susanne à nous, chargée de toute la confiance, sera notre surintendant,