Nord-Sud: Amérique; Angleterre; Corse; Spitzberg. Rene Bazin. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Rene Bazin
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Книги о Путешествиях
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/34708
Скачать книгу
qui unit le bas du ciel à la ligne invisible de l'horizon. Des montagnes pareilles à celle qui nous sert d'observatoire, des Laurentides isolées, se lèvent au sud-est; elles ont la forme des meules de paille, les premières presque nettes, les autres, deux, trois, je ne saurais donner un nombre, si transparentes et d'un contour si léger qu'elles semblent des nuages pour un moment posés.

      Les campagnes autour de Montréal.– Je n'ai pas entrepris de raconter le voyage de la délégation Champlain, ni de nommer tous ceux que je me félicite d'avoir connus ou retrouvés, ni de décrire les réceptions qui nous furent faites, à Étienne Lamy et à moi, après le départ de la délégation, par les principales œuvres de charité ou d'enseignement chrétien de Montréal. Je recevrai, bien sûr, à Québec, dans les grandes salles des maisons d'éducation, ce même accueil, délicieux et ancien, composé d'amitié, de menuet et d'éternité. Que de fois, en France, j'ai été ému par ces visages mêmes, cette politesse, cette révérence, cette grandeur et cette jeunesse! Je n'écris pas un livre, mais des notes où le paysage a la plus grande part. Et je dirai quelque chose des campagnes, parce que je les ai vues mieux que tout le reste.

      Je suis invité à déjeuner chez un riche cultivateur du village de Saint-Laurent, frère d'un chanoine de la cathédrale. Et comme le chanoine fait partie de cette sorte de famille ecclésiastique, vicaires généraux, secrétaires, économes, que préside l'archevêque, mon très honoré et cher ami monseigneur Bruchési, c'est de l'archevêché que nous partons. Il est de bonne heure. L'automobile qui est venue nous chercher appartient à un cultivateur, frère aussi du chanoine et de mon hôte prochain. Nous passons au pied de la montagne-parc, dans ce joli faubourg d'Outremont où sont bâties des villas, parmi des verdures caduques, en ce moment jeunes et fines. La route ne vaut pas les routes de France; elle est seulement suffisante; mais nous n'avons pas fait trois milles hors de la ville, que nous nous trouvons en présence de l'obstacle le plus inattendu: une maison en voyage. Oui, une maison en bois, comme elles sont presque toutes à la campagne, de notable largeur, et composée d'un rez-de-chaussée, d'un premier étage et de deux mansardes. Elle a dû se mettre en marche à l'aurore. Elle est solidement assise sur des rouleaux; les rouleaux peuvent tourner sur des madriers qu'on a disposés sur le chemin, l'un à droite, l'autre à gauche, comme des rails, et l'énorme promeneuse est tirée par une chaîne, qui s'enroule autour d'un treuil, en avant. Quant au treuil, il a été planté, – pouvait-il l'être mieux? – droit au milieu de la couche de macadam, et un brave cheval, tranquillement, tourne autour du pivot. Notre chauffeur n'hésite pas; il donne un coup de volant à droite, fait sauter l'automobile sur la banquette d'herbe, coule dans un caniveau, remonte, salue le cheval résigné qui hale la maison, puis il reprend la route et file à bonne allure. La campagne est de sol léger, propre à la culture maraîchère. Je n'aperçois pas une terre en friche, pas un buisson inutile. Mes compagnons me donnent quelques détails sur Saint-Laurent, dont nous approchons.

      – Cinq cents feux, dont cent cinquante abonnés au téléphone.

      – A quoi sert le téléphone, dans les fermes?

      – Pour les affaires, donc! Et en hiver, quand on ne peut pas sortir, on fait un bout de causette par le fil. Ce qu'on s'amuse, l'hiver!

      Cette note, cette allusion au plaisir de l'hiver, voilà dix fois que je l'entends, depuis le peu de jours que je vis au Canada. J'apprends aussi que la spéculation sur les terrains, qui détruit tout l'ordre des valeurs en abaissant le travail, se porte particulièrement sur cette région où nous sommes. Un nouveau chemin de fer, le Grand Nord, va la traverser. Les compagnies américaines n'acquièrent pas seulement, comme les nôtres, la largeur d'un trait de plume sur le plan cadastral: elles achètent des domaines considérables, qu'elles revendront s'il leur plaît. Presque toutes les fermes de la paroisse de Saint-Laurent ont été cédées ainsi, depuis quelques mois, soit au Grand Nord, soit à des compagnies financières. Tout autour de Montréal, d'ailleurs, ce sont des centaines de familles qui se trouvent volontairement appauvries de leur maison et de leur terre, et chargées d'or. Des fermes de 50.000 francs viennent d'être payées 200.000 francs, d'autres 500.000. La tradition rurale est ébranlée et la vocation des jeunes en grand péril. Je regarde les guérets sablonneux où demain seront bâties des usines. L'automobile s'engage dans un chemin transversal et médiocre, et s'arrête devant une très jolie maison, construite en bois verni, et précédée d'un petit pré clos. Tout le long de la clôture blanche, des drapeaux aux couleurs françaises, d'autres aux couleurs pontificales ont été plantés, et, çà et là, des banderoles portent écrit, en lettres d'or, le mot «Bionvenue». La façade du cottage, les colonnes de la véranda qui tourne, selon la mode canadienne, autour du rez-de-chaussée surélevé, sont décorées de drapeaux aussi et de guirlandes. Toute la famille est là groupée, le père et la mère, des frères et des sœurs, des fils et des filles. On me reçoit comme un parent qui aurait longtemps oublié de venir en Amérique, et que l'on fête, afin qu'il se souvienne et qu'il regrette sa négligence. Quelqu'un m'a dit hier, à Montréal, dans la rue: «Vous allez dîner chez monsieur Adélard Cousineau? – Oui. – C'est un homme qui «vaut» un gros chiffre.» Il avait précisé. Mais ce n'est pas notre manière de compter. La richesse est ici évidente: il suffit, pour n'en pas douter, de pénétrer dans le salon où l'on me fait asseoir, puis dans la salle à manger ornée de fleurs. Mais, en voyant mon hôte robuste, aux yeux clairs, au visage hâlé, je pense beaucoup moins à sa fortune qu'à ce qu'il «vaut» moralement, à son air d'honnête homme, de brave homme, et encore de pionnier qui a lutté. Il préside la table, autour de laquelle ont pris place des frères, des beaux-frères, des fils, des neveux; les jeunes femmes et les jeunes filles servent les plats innombrables, changent les assiettes, et ne cessent d'aller et de venir entre la salle et la cuisine; mais non pas toutes, car, dans le salon voisin, pendant le repas, une voix fraîche chante des chansons et des romances. Les souvenirs me reviennent en foule, surtout ceux des métairies de la Vendée, où les femmes, qui sont reines et reines incroyablement, d'après l'usage ancien mangent après les hommes. Nous causons aisément, et sans chercher les mots, à cause des fraternités qui nous lient, et du goût de la terre que nous avons commun. Puis je vais visiter la ferme voisine, «la maison de Jasmin», qu'on m'a dit être du vrai type français, et pareille aux anciennes. Elle date de 1808. C'est, en effet, en plus grand, un logement de fermiers français. Hélas, le domaine a été vendu. Il va falloir quitter le sol défriché par les aïeux, voir détruire les plantations qui promettent et celles qui sont en plein remerciement. Le père me montre ses groseilliers et ses pommiers. La mère, – elle a eu dix-sept enfants, – me présente deux jeunes gars élancés, à l'œil timide et brillant, et me dit, avec fierté: «En voici deux, monsieur, qui seront cultivateurs, comme nous. Ils ne veulent rien autre chose. N'est-ce pas?» Et les enfants confirment de la tête, gravement, la parole maternelle.

      Nous remontons en voiture. L'automobile achève de traverser la grande île sur laquelle est bâti Montréal. Je retrouve un de ces paysages fluviaux qui sont vraiment une des caractéristiques de la nature américaine: eaux débordantes, îles et rives boisées, terres à peine émergentes, solitude des forêts primitives, noyées dans les fleuves géants. Nous entrons alors dans la paroisse de Saint-Eustache. Les cultures reparaissent, puis les bois. Nous avons pris une belle route qui coupe un bois non exploité. Et je ne veux pas dire que des bûcherons n'y sont jamais venus couper un tronc d'arbre, mais la main de l'homme, la main ravageuse n'a pas travaillé avec méthode. Les essences les plus diverses sont mêlées, et j'admire le vert tout jeune des épinettes, et ces thuyas échevelés, qu'on appelle cèdres au Canada, et dont le bois n'est jamais attaqué par la vermine. Le regard est vite arrêté; il ne fouille pas les profondeurs; mais il y a des clairières, aux deux bords de la route, et j'aperçois, au milieu des arbres qui font le rond, des fleurs d'une blancheur vive, que je ne connais pas. «C'est le lis des bois», me dit un de mes compagnons. Je descends, et, marchant sur la très épaisse mousse, toute gonflée d'eau, j'approche du massif sauvage. Non, je n'ai jamais vu ces trois pétales charnus, pointus, d'un blanc parfait, ouverts à l'extrémité d'une tige fine et haute d'un pied. Je cueille une gerbe de ces premières annonciatrices du printemps canadien. Nous repartons. Les terres de labour nous rendent l'horizon. Un peu de temps, nous suivons un vallon encaissé, fait en corbeille longue, et plein d'arbres qui ne dépassent les bords que du sommet de leurs frondaisons, et, quand nous