Le Montonéro. Aimard Gustave. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Aimard Gustave
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/51144
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pris chaudement votre défense jusqu'à ce que, forcé dans mes derniers retranchements et voyant que votre perte était résolue, je ne trouvai pas d'autre expédient pour faire aux yeux de tous éclater votre innocence, que de vous proposer pour émissaire auprès du général San Martín, assurant que vous seriez heureux de donner ce gage de votre dévouement à la révolution.

      – Mais c'est un horrible guet-apens! s'écria le jeune homme avec désespoir, je suis dans une impasse.

      – Hélas! Oui, vous m'en voyez navré; pendu par les Espagnols, s'ils vous prennent, mais ils ne vous prendront pas, ou fusillé par les Buenos-Airiens si vous refusez de leur servir d'émissaire.

      – C'est épouvantable, fit le jeune homme avec abattement, jamais un honnête homme ne s'est trouvé dans une aussi cruelle alternative.

      – A quel parti vous arrêtez-vous?

      – Ai-je le choix?

      – Dame, voyez, réfléchissez.

      – J'accepte, et puisse l'enfer engloutir ceux qui s'acharnent ainsi après moi.

      – Allons, allons, remettez-vous; le danger n'est pas aussi grand que vous le supposez; votre mission, je l'espère, se terminera bien.

      – Quand je songe que je suis venu en Amérique pour faire de l'art et échapper à la politique! Quelle bonne idée j'ai eue là!

      M. Dubois ne put s'empêcher de rire.

      – Plaignez-vous donc, plus tard vous raconterez vos aventures.

      – Le fait est que si je continue comme cela, elles seront assez accidentées; il me faut partir tout de suite sans doute.

      – Non pas, nous n'allons pas si vite en besogne; vous avez tout le temps nécessaire pour faire vos préparatifs; votre voyage sera long et pénible.

      – De combien de temps puis-je disposer pour me mettre en état de partir?

      – J'ai obtenu huit jours, dix au plus; cela vous suffit-il?

      – Amplement. Encore une fois je vous remercie.

      Le visage du jeune homme s'était subitement éclairci; ce fut le sourire sur les lèvres qu'il ajouta:

      – Et pendant ce temps je serai libre de disposer de moi comme je voudrai?

      – Absolument.

      – Eh bien! reprit-il en serrant avec force la main à M. Dubois, je ne sais pourquoi, mais je commence à être de votre avis.

      – Dans quel sens? fit le diplomate surpris de ce changement si promptement opéré dans l'esprit du jeune homme.

      – Je crois que tout se terminera mieux que je ne le supposais d'abord.

      Et après avoir cérémonieusement salué le vieillard, il quitta le salon et se dirigea vers son appartement.

      M. Dubois le suivit un instant des yeux.

      – Il médite quelque folie, murmura-t-il en hochant la tête à plusieurs reprises. Dans son intérêt même, je le surveillerai.

      II

      LA LETTRE

      Le peintre s'était réfugié dans son appartement en proie à une agitation extrême.

      Arrivé dans sa chambre à coucher, il s'enferma à double tour; puis, certain que provisoirement personne ne viendrait le relancer dans ce dernier asile, il se laissa tomber avec accablement sur une butaca; rejeta le corps en arrière, pencha la tête en avant, croisa les bras sur la poitrine, et, chose extraordinaire pour une organisation comme la sienne, il se plongea dans de sombres et profondes réflexions.

      D'abord, il récapitula dans son esprit, bourrelé par les plus tristes pressentiments, tous les événements qui l'avaient assailli depuis son débarquement en Amérique.

      La liste était longue et surtout peu réjouissante.

      Au bout d'une demi-heure, l'artiste arriva à cette désolante conclusion que depuis le premier instant qu'il avait posé le pied dans le Nouveau Monde, le sort avait semblé prendre un malin plaisir à s'acharner sur lui et à le rendre le jouet des plus désastreuses combinaisons, quelques efforts qu'il eût faits pour rester constamment en dehors de la politique et à vivre en véritable artiste, sans s'occuper de ce qui se passait autour de lui.

      – Pardieu! s'écria-t-il en frappant du poing avec colère le bras de son fauteuil, il faut avouer que ce n'est pas avoir de chance! Dans des conditions comme celles-là, la vie devient littéralement impossible! Mieux aurait cent fois valu pour moi rester en France, où du moins on me laissait parfaitement tranquille et libre de vivre à ma guise! Jolie situation que la mienne, me voilà, sans savoir pourquoi, placé entre la fusillade et la potence! Mais c'est absurde cela! Ça n'a pas de nom! Le diable emporte les Américains et les Espagnols! Comme s'ils ne pouvaient pas se chamailler entre eux sans venir mêler à leur querelle un pauvre peintre qui n'en peut mais, et qui voyage en amateur dans leur pays! Ils ont encore une singulière façon d'entendre l'hospitalité, ces gaillards-là! Je leur en fais mon sincère compliment! Et moi qui étais persuadé, sur la foi des voyageurs, que l'Amérique était la terre hospitalière par excellence, le pays des mœurs simples et patriarcales! Fiez-vous donc aux histoires de voyages! On devrait brûler vif ceux qui prennent ainsi plaisir à induire le public en erreur! Que faire? Que devenir? J'ai huit jours devant moi, m'a dit ce vieux loup-cervier de diplomate, encore un auquel je conserverai une éternelle reconnaissance de ses procédés à mon égard! Quel charmant compatriote j'ai rencontré là! Comme j'ai eu la main heureuse avec lui! C'est égal, il me faut prendre un parti! Mais lequel? Je ne vois que la fuite! Hum, la fuite, ce n'est pas facile, je dois être surveillé de près. Malheureusement je n'ai pas le choix, voyons, combinons un plan de fuite. Scélérat de sort, va, qui s'obstine à faire de ma vie un mélodrame, quand, moi, je m'applique de toutes mes forces à en faire un vaudeville!

      Sur ce, le jeune homme, chez lequel malgré lui la gaieté de son caractère prenait le dessus sur l'inquiétude qui l'agitait, se mit demi riant, demi sérieux à réfléchir de plus belle.

      Il demeura ainsi plus d'une heure sans bouger de sa butaca et sans faire le moindre mouvement.

      Il va sans dire qu'au bout de cette heure, il était tout aussi avancé qu'auparavant, c'est-à-dire qu'il n'avait rien trouvé.

      – Allons, j'y renonce, quant à présent, s'écria-t-il en se levant brusquement; mon imagination me refuse absolument son concours; c'est toujours comme cela! C'est égal, moi qui désirais des émotions, je ne puis pas me plaindre; j'espère que, depuis quelque temps, mon existence en est émaillée, et des plus piquantes encore.

      Il commença à se promener à grands pas dans sa chambre, pour se dégourdir les jambes, tordit machinalement une cigarette, puis il chercha dans sa poche son mechero afin de l'allumer.

      Dans le mouvement qu'il fit en se fouillant, il sentit, dans la poche de côté de son gilet, un objet qu'il ne se rappelait pas y avoir mis, il le regarda.

      – Pardieu! fit-il en se frappant le front, j'avais complètement oublié ma mystérieuse inconnue; ce que c'est que le chagrin, pourtant! Si cela dure seulement huit jours, je suis convaincu que je perdrai totalement la tête. Voyons quel est l'objet qu'elle a si adroitement laissé tomber sur mon chapeau.

      Tout en parlant ainsi, le peintre avait retiré de sa poche la petite boule de papier et la considérait attentivement.

      – C'est extraordinaire, continuait-il l'influence que les femmes prennent peut-être à notre insu sur notre organisation, à nous autres hommes, et combien la chose la plus futile qui nous vient de la plus inconnue d'entre elles, a tout de suite le privilège de nous intéresser.

      Il demeura plusieurs instants à tourner et à retourner le papier dans sa main sans parvenir à se résoudre à briser la soie qui, seule, l'empêchait de satisfaire sa curiosité, tout en continuant in petto ses commentaires sur le contenu probable de cette missive.

      Enfin, par un effort subit de volonté, il mit un terme à son hésitation et