Le Montonéro. Aimard Gustave. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Aimard Gustave
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/51144
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même, abasourdis par cette magnifique indifférence qu'ils ne pouvaient comprendre n'étaient pas éloignés, sinon de le croire complètement fou, du moins de supposer qu'il avait au moins deux ou trois cases vides dans le cerveau.

      Émile ne s'occupait ni des uns ni des autres; il continuait bravement à vivre de l'air du temps, suivant du regard les oiseaux dans leur vol, écoutant des heures entières le murmure mystérieux d'une cascade, ou s'extasiant avec un immense bonheur devant un splendide coucher de soleil dans la cordillière.

      Puis, le soir, il regagnait philosophiquement son logis, en murmurant entre ses dents:

      – Est-ce que tout cela n'est pas admirable! Est-ce que cela ne vaut pas mieux que la politique! Parbleu! Il faut être idiot pour ne pas le remarquer. Définitivement, tous ces gens sont absurdes! Quels niais! Ils seraient si heureux s'ils voulaient seulement consentir à se laisser vivre sans chercher à se délivrer de leurs maîtres! Comme si, lorsque ceux-là n'y seront plus, il n'en viendra pas aussitôt d'autres! Définitivement, ils sont bêtes à manger du foin.

      Le lendemain, il recommençait ses promenades, et ainsi tous les jours, sans se fatiguer de cette existence si douce et si heureuse, et en cela il était parfaitement dans le vrai.

      Le jeune peintre habitait, ainsi que nous l'avons dit, une maison mise par le gouvernement buenos-airien à la disposition de M. Dubois et située sur la Plaza Mayor, sous les portales. Le jeune homme, en mettant le pied hors de chez lui, se trouvait en face d'une rue large et garnie de boutiques, qui débouchait sur la place; cette rue était la calle Mercaderes; or le peintre avait pris l'habitude d'aller tout droit devant lui, de suivre la calle Mercaderes, au bout de laquelle aboutissait le Callejón de las Cruces; il entrait dans le Callejón et arrivait, sans faire de détours, à la rivière. Ainsi deux fois par jour, le matin en allant et le soir en revenant de la promenade, Émile Gagnepain traversait le Callejón de las Cruces dans toute sa longueur.

      S'y arrêtant parfois pendant assez longtemps à admirer la forme gracieuse de certains pignons datant des premières années de la conquête, et préférant passer par cette rue silencieuse et solitaire dans laquelle il pouvait librement se livrer à ses pensées sans craindre d'être interrompu par quelque importun, que de prendre les rues des hauts quartiers où il lui était impossible de faire un pas sans rencontrer une personne de connaissance, avec laquelle, sous peine de passer pour impoli, il était contraint d'échanger quelques mots ou au moins un salut, toutes choses qui le contrariaient fort, parce qu'elles rompaient le fil de ses pensées.

      Un matin où, comme de coutume, Émile Gagnepain commençait sa promenade et suivait tout pensif le Callejón de las Cruces, au moment où il longeait la maison dont nous avons parlé, il sentit un léger choc sur le sommet de son chapeau, comme si un objet fort léger l'avait frôlé, et une fleur roula presque à ses pieds.

      Le jeune homme s'arrêta avec étonnement; son premier mouvement fut de lever la tête, mais il ne vit rien; la vieille maison avait toujours son même aspect morne et sombre.

      – Hum! murmura-t-il; que signifie cela? Cette fleur n'est pourtant pas tombée du ciel.

      Il se baissa, la ramassa délicatement et l'examina avec soin.

      C'était une rose blanche à peine entr'ouverte, encore fraîche et humide de rosée. Émile demeura un instant songeur:

      – Voilà qui est bizarre, dit-il: cette fleur a été cueillie il y a quelques minutes à peine: est-ce donc à moi qu'on l'a jetée? Dame! ajouta-t-il en regardant autour de lui, il serait fort difficile que ce fût à un autre, puisque je suis seul. Ceci demande réflexion… Ne nous laissons pas emporter par la vanité; attendons à ce soir.

      Et il continua sa route après avoir vainement exploré d'un regard scrutateur toutes les fenêtres de la sombre maison.

      Cet incident, tout léger qu'il était, suffit pour troubler étrangement l'artiste pendant toute la durée de sa promenade.

      Il était jeune, il se croyait beau, en sus il était doué d'une dose de vanité plus que raisonnable. Son imagination fut bientôt aux champs; il évoqua dans son souvenir toutes les histoires d'amour qu'il avait entendu raconter sur l'Espagne, et, de déduction en déduction, il arriva promptement à cette conclusion excessivement flatteuse pour son amour-propre, qu'une belle señora retenue prisonnière par un mari jaloux, l'avait vu passer sous ses fenêtres, s'était senti entraînée vers lui par une passion irrésistible, et lui avait lancé cette fleur pour attirer son attention.

      Cette conclusion était absurde, il est vrai; mais elle souriait énormément au peintre, dont, ainsi que nous l'avons dit, elle avait l'avantage de flatter l'amour-propre.

      Pendant toute la journée, le jeune homme fut sur des charbons ardents; vingt fois voulut retourner, mais heureusement la réflexion vint à son secours; il comprit que trop d'empressement compromettrait le succès de son aventure, et que mieux valait ne repasser qu'à l'heure où il avait l'habitude de rentrer chez lui.

      – De cette façon, dit-il d'un air narquois, en cherchant à se moquer de lui-même pour s'éviter une désillusion, si, ce qui était possible, il s'était trompé, si elle m'attend, elle me jettera une autre fleur; alors j'achèterai une guitare et un manteau couleur de muraille, et je viendrai comme un amant du temps du Cid Campeador, lui exprimer ma langoureuse flamme à la clarté des étoiles.

      Mais, malgré ces moqueries qu'il s'adressait en errant à l'aventure dans la campagne, il était beaucoup plus intrigué qu'il n'en voulait convenir, et consultait à chaque instant sa montre pour s'assurer que l'heure du retour approchait.

      Bien qu'on n'aime pas, – et certes le peintre ne sentait en ce moment qu'une espèce de curiosité dont il ne pouvait s'expliquer la cause, car il lui était impossible d'éprouver un sentiment, autre que celui-là, pour une personne qu'il ne connaissait point, – cependant l'inconnu, l'imprévu même, si l'on veut, a un charme indéfinissable et exerce une attraction extrême sur certaines organisations promptes à s'enflammer, qui les fait en un instant échafauder des suppositions dont elles ne tardent pas à faire des réalités jusqu'à ce que la vérité vienne tout à coup, comme la goutte d'eau froide dans la vapeur en ébullition, faire tout évaporer en une seconde.

      Lorsque le peintre crût que l'heure du départ était sonnée, il se remit en marche pour retourner chez lui. En affectant peut-être un peu trop visiblement pour quelqu'un qui aurait eu intérêt à épier ses faits et gestes, les manières d'un homme complètement indifférent il atteignit ainsi le Callejón de las Cruces, et bientôt il arriva auprès de la maison.

      Malgré lui, le jeune homme se sentait rougir; son cœur battait avec force dans sa poitrine, il avait des bourdonnements dans les oreilles, comme lorsque le sang mis subitement en révolution monte violemment à la tête.

      Tout à coup il ressentit un choc assez fort sur son chapeau.

      Il releva vivement la tête.

      Si brusque qu'eût été son mouvement, il ne vit rien, seulement il entendit un bruit léger comme celui d'une fenêtre fermée avec précaution.

      Assez désappointé de cette seconde et malheureuse tentative pour apercevoir la personne qui s'occupait ainsi de lui, il demeura un instant immobile; mais, reconnaissant bientôt le ridicule de sa position ainsi au milieu d'une rue, aux yeux de gens qui peut-être l'épiaient derrière une jalousie, il reprit son sang-froid et, se redressant d'un air indifférent, il chercha sur le sol autour de lui où avait roulé l'objet qui lavait frappé si à l'improviste.

      Il l'aperçut bientôt à deux ou trois pas de lui.

      Cette fois, ce n'était pas une fleur. Cet objet, quel qu'il fût, car de prime abord il ne le reconnut pas, était enveloppé dans du papier et attaché soigneusement au moyen d'un fil de soie pourpre qui faisait plusieurs fois le tour du papier.

      – Oh! Oh! pensa le peintre en ramassant la petite boule de papier et la cachant précipitamment dans la poche du gilet qu'il portait sous son poncho, cela se complique; est-ce que déjà nous en serions à nous écrire? Diable! C'est aller vite en besogne.

      Il se mit à marcher rapidement pour regagner sa demeure, mais réfléchissant