Consuelo. George Sand. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: George Sand
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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du public à son égard. Qu’il débute donc, et nous verrons à le satisfaire suivant la justice et notre bienveillance, sur laquelle il doit compter.

      – Qu’il débute donc, et moi aussi, reprit Consuelo; nous sommes aux ordres de monsieur le comte. Mais pas de contrat, pas de signature avant l’épreuve, j’y suis déterminée…

      – Vous n’êtes pas satisfaite des conditions que je vous propose, Consuelo? Eh bien, dictez-les vous-même: tenez, voici la plume, rayez, ajoutez; ma signature est au bas.»

      Consuelo prit la plume. Anzoleto pâlit; et le comte, qui l’observait, mordit de plaisir le bout de son rabat de dentelle qu’il tortillait entre ses doigts. Consuelo fit une grande X sur le contrat, et écrivit sur ce qui restait de blanc au-dessus de la signature du comte: «Anzoleto et Consuelo s’engageront conjointement aux conditions qu’il plaira à monsieur le comte Zustiniani de leur imposer après leurs débuts, qui auront lieu le mois prochain au théâtre de San Samuel.» Elle signa rapidement et passa ensuite la plume à son amant.

      Signe sans regarder, lui dit-elle; tu ne peux faire moins pour prouver ta gratitude et ta confiance à ton bienfaiteur.»

      Anzoleto avait lu d’un clin d’œil avant de signer; lecture et signature furent l’affaire d’une demi-minute. Le comte lut par-dessus son épaule.

      Consuelo, dit-il, vous êtes une étrange fille, une admirable créature, en vérité! Venez dîner tous les deux avec moi», dit-il en déchirant le contrat et en offrant sa main à Consuelo, qui accepta, mais en le priant d’aller l’attendre avec Anzoleto dans sa gondole, tandis qu’elle ferait un peu de toilette.

      Décidément, se dit-elle dès qu’elle fut seule, j’aurai le moyen d’acheter une robe de noces. Elle mit sa robe d’indienne, rajusta ses cheveux, et bondit dans l’escalier en chantant à pleine voix une phrase éclatante de force et de fraîcheur. Le comte, par excès de courtoisie, avait voulu l’attendre avec Anzoleto sur l’escalier. Elle le croyait plus loin, et tomba presque dans ses bras. Mais, s’en dégageant avec prestesse, elle prit sa main et la porta à ses lèvres, à la manière du pays, avec le respect d’une inférieure qui ne veut point escalader les distances: puis, se retournant, elle se jeta au cou de son fiancé, et alla, toute joyeuse et toute folâtre, sauter dans la gondole, sans attendre l’escorte cérémonieuse du protecteur un peu mortifié.

      XV. Le comte, voyant que Consuelo était insensible à l’appât du gain…

      Le comte, voyant que Consuelo était insensible à l’appât du gain, essaya de faire jouer les ressorts de la vanité, et lui offrit des bijoux et des parures: elle les refusa. D’abord Zustiniani s’imagina qu’elle comprenait ses intentions secrètes; mais bientôt il s’aperçut que c’était uniquement chez elle une sorte de rustique fierté, et qu’elle ne voulait pas recevoir de récompenses avant de les avoir méritées en travaillant à la prospérité de son théâtre. Cependant il lui fit accepter un habillement complet de satin blanc, en lui disant qu’elle ne pouvait pas décemment paraître dans son salon avec sa robe d’indienne, et qu’il exigeait que, par égard pour lui, elle quittât la livrée du peuple. Elle se soumit, et abandonna sa belle taille aux couturières à la mode, qui n’en tirèrent point mauvais parti et n’épargnèrent point l’étoffe. Ainsi transformée au bout de deux jours en femme élégante, forcée d’accepter aussi un rang de perles fines que le comte lui présenta comme le paiement de la soirée où elle avait chanté devant lui et ses amis, elle fut encore belle, sinon comme il convenait à son genre de beauté, mais comme il fallait qu’elle le devînt pour être comprise par les yeux vulgaires. Ce résultat ne fut pourtant jamais complètement obtenu. Au premier abord, Consuelo ne frappait et n’éblouissait personne. Elle fut toujours pâle, et ses habitudes studieuses et modestes ôtèrent à son regard cet éclat continuel qu’acquièrent les yeux des femmes dont l’unique pensée est de briller. Le fond de son caractère comme celui de sa physionomie était sérieux et réfléchi. On pouvait la regarder manger, parler de choses indifférentes, s’ennuyer poliment au milieu des banalités de la vie du monde, sans se douter qu’elle fût belle. Mais que le sourire d’un enjouement qui s’alliait aisément à cette sérénité de son âme vînt effleurer ses traits, on commençait à la trouver agréable. Et puis, qu’elle s’animât davantage, qu’elle s’intéressât vivement à l’action extérieure, qu’elle s’attendrît, qu’elle s’exaltât, qu’elle entrât dans la manifestation de son sentiment intérieur et dans l’exercice de sa force cachée, elle rayonnait de tous les feux du génie et de l’amour; c’était un autre rêve: on était ravi, passionné, anéanti à son gré, et sans qu’elle se rendît compte du mystère de sa puissance.

      Aussi ce que le comte éprouvait pour elle l’étonnait et le tourmentait étrangement. Il y avait dans cet homme du monde des fibres d’artiste qui n’avaient pas encore vibré, et qu’elle faisait frémir de mouvements inconnus. Mais cette révélation ne pouvait pénétrer assez avant dans l’âme du patricien, pour qu’il comprît l’impuissance et la pauvreté des moyens de séduction qu’il voulait employer auprès d’une femme en tout différente de celle qu’il avait su corrompre.

      Il prit patience, et résolut d’essayer sur elle les effets de l’émulation. Il la conduisit dans sa loge au théâtre, afin qu’elle vît les succès de la Corilla, et que l’ambition s’éveillât en elle. Mais le résultat de cette épreuve fut fort différent de ce qu’il en attendait. Consuelo sortit du théâtre froide, silencieuse, fatiguée et non émue de ce bruit et de ces applaudissements. La Corilla lui avait paru manquer d’un talent solide, d’une passion noble, d’une puissance de bon aloi. Elle se sentit compétente pour juger ce talent factice, forcé, et déjà ruiné dans sa source par une vie de désordre et d’égoïsme. Elle battit des mains d’un air impassible, prononça des paroles d’approbation mesurée, et dédaigna de jouer cette vaine comédie d’un généreux enthousiasme pour une rivale qu’elle ne pouvait ni craindre ni admirer. Un instant, le comte la crut tourmentée d’une secrète jalousie, sinon pour le talent, du moins pour le succès de la prima donna.

      Ce succès n’est rien auprès de celui que vous remporterez, lui dit-il; qu’il vous serve seulement à pressentir les triomphes qui vous attendent, si vous êtes devant le public ce que vous avez été devant nous. J’espère que vous n’êtes pas effrayée de ce que vous voyez?

      – Non, seigneur comte, répondit Consuelo en souriant. Ce public ne m’effraie pas, car je ne pense pas à lui; je pense au parti qu’on peut tirer de ce rôle que la Corilla remplit d’une manière brillante, mais où il reste à trouver d’autres effets qu’elle n’aperçoit point.

      – Quoi! vous ne pensez pas au public?

      – Non: je pense à la partition, aux intentions du compositeur, à l’esprit du rôle, à l’orchestre qui a ses qualités et ses défauts, les uns dont il faut tirer parti, les autres qu’il faut couvrir en se surpassant à de certains endroits. J’écoute les chœurs, qui ne sont pas toujours satisfaisants, et qui ont besoin d’une direction plus sévère; j’examine les passages où il faut donner tous ses moyens, par conséquent ceux auxquels il faudrait se ménager. Vous voyez, monsieur le comte, que j’ai à penser à beaucoup de choses avant de penser au public, qui ne sait rien de tout cela, et qui ne peut rien m’en apprendre.»

      Cette sécurité de jugement et cette gravité d’examen surprirent tellement Zustiniani, qu’il n’osa plus lui adresser une seule question, et qu’il se demanda avec effroi quelle prise un galant comme lui pouvait avoir sur un esprit de cette trempe.

      L’apparition des deux débutants fut préparée avec toutes les rubriques usitées en pareille occasion. Ce fut une source de différends et de discussions continuelles entre le comte et Porpora, entre Consuelo et son amant. Le vieux maître et sa forte élève blâmaient le charlatanisme des pompeuses annonces et de ces mille vilains petits moyens que nous avons si bien fait progresser en impertinence et en mauvaise foi. À Venise, en ce temps-là, les journaux ne jouaient pas un grand rôle dans de telles affaires. On ne travaillait pas aussi savamment la composition de l’auditoire; on ignorait les ressources profondes de la réclame,