Au Bonheur des Dames. Emile Zola. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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l’interrompait avec impatience: il connaissait la crise que les nouveautés traversaient, il citait une spécialité de soie tuée déjà par le voisinage du Bonheur. Vinçard, enflammé, éleva la voix.

      – Parbleu! la culbute de ce grand serin de Vabre était fatale. Sa femme mangeait tout… Puis, nous sommes ici à plus de cinq cents mètres, tandis que Vabre se trouvait porte à porte avec l’autre.

      Alors, Gaujean, le fabricant de soie, intervint. De nouveau, les voix baissèrent. Lui, accusait les grands magasins de ruiner la fabrication française; trois ou quatre lui faisaient la loi, régnaient en maîtres sur le marché; et il laissait entendre que la seule façon de les combattre était de favoriser le petit commerce, les spécialités surtout, auxquelles l’avenir appartenait. Aussi offrait-il des crédits très larges à Robineau.

      – Voyez comme le Bonheur s’est conduit à votre égard! répétait-il. Aucun compte des services rendus, des machines à exploiter le monde!… La situation de premier vous était promise depuis longtemps, lorsque Bouthemont, qui arrivait du dehors et qui n’avait aucun titre, l’a obtenue du coup.

      La plaie de cette injustice saignait encore chez Robineau. Pourtant, il hésitait à s’établir, il expliquait que l’argent ne venait pas de lui; c’était sa femme qui avait hérité de soixante mille francs, et il se montrait plein de scrupules devant cette somme, il aurait mieux aimé, disait-il, se couper tout de suite les deux poings, que de la compromettre dans de mauvaises affaires.

      – Non, je ne suis pas décidé, finit-il par conclure. Laissez-moi le temps de réfléchir, nous en recauserons.

      – Comme vous voudrez, dit Vinçard en cachant son désappointement sous un air bonhomme. Mon intérêt n’est pas de vendre. Allez, sans mes douleurs…

      Et, revenant au milieu du magasin:

      – Qu’y a-t-il pour votre service, monsieur Baudu?

      Le drapier, qui écoutait d’une oreille, présenta Denise, conta ce qu’il voulut de son histoire, dit qu’elle avait travaillé deux ans en province.

      – Et, comme vous cherchez une bonne vendeuse, m’a-t-on appris…

      Vinçard affecta un grand désespoir.

      – Oh! c’est jouer de guignon! Sans doute, j’ai cherché une vendeuse pendant huit jours. Mais je viens d’en arrêter une, il n’y a pas deux heures.

      Un silence régna. Denise semblait consternée. Alors, Robineau qui la regardait avec intérêt, apitoyé sans doute par sa mine pauvre, se permit un renseignement.

      – Je sais qu’on a besoin chez nous de quelqu’un, au rayon des confections.

      Baudu ne put retenir ce cri de son cœur:

      – Chez vous, ah! non, par exemple!

      Puis, il resta embarrassé. Denise était devenue toute rouge: entrer dans ce grand magasin, jamais elle n’oserait! et l’idée d’y être la comblait d’orgueil.

      – Pourquoi donc? reprit Robineau surpris. Ce serait au contraire une chance pour mademoiselle… Je lui conseille de se présenter demain matin à Mme Aurélie, la première. Le pis qui puisse lui arriver, c’est de n’être pas acceptée.

      Le drapier, pour cacher sa révolte intérieure, se jeta dans des phrases vagues: il connaissait Mme Aurélie, ou du moins son mari, Lhomme, le caissier, un gros qui avait eu le bras droit coupé par un omnibus. Puis, revenant brusquement à Denise:

      – D’ailleurs, c’est son affaire, ce n’est pas la mienne… Elle est bien libre.

      Et il sortit, après avoir salué Gaujean et Robineau. Vinçard l’accompagna jusqu’à la porte, en renouvelant l’expression de ses regrets. La jeune fille était demeurée au milieu du magasin, intimidée, désireuse d’obtenir du commis des renseignements plus complets. Mais elle n’osa pas, elle salua à son tour et dit simplement:

      – Merci, monsieur.

      Sur le trottoir, Baudu n’adressa pas la parole à sa nièce. Il marchait vite, il la forçait à courir, comme emporté par ses réflexions. Rue de la Michodière, il allait rentrer chez lui, lorsqu’un boutiquier voisin, debout sur la porte, l’appela d’un signe. Denise s’arrêta pour l’attendre.

      – Quoi donc, père Bourras? demanda le drapier.

      Bourras était un grand vieillard à tête de prophète, chevelu et barbu, avec des yeux perçants sous de gros sourcils embroussaillés. Il tenait un commerce de cannes et de parapluies, faisait les raccommodages, sculptait même des manches, ce qui lui avait conquis une célébrité d’artiste dans le quartier. Denise donna un coup d’œil aux vitrines de la boutique, où les parapluies et les cannes s’alignaient par files régulières. Mais elle leva les yeux, et la maison surtout l’étonna: une masure prise entre le Bonheur des Dames et un grand hôtel Louis XIV, poussée on ne savait comment dans cette fente étroite, au fond de laquelle ses deux étages bas s’écrasaient. Sans les soutiens de droite et de gauche, elle serait tombée, les ardoises de sa toiture tordues et pourries, sa façade de deux fenêtres couturée de lézardes, coulant en longues taches de rouille sur la boiserie à demi mangée de l’enseigne.

      – Vous savez qu’il a écrit à mon propriétaire pour acheter la maison, dit Bourras en regardant fixement le drapier de ses yeux de flamme.

      Baudu blêmit davantage et plia les épaules. Il y eut un silence, les deux hommes restaient face à face, avec leur air profond.

      – Il faut s’attendre à tout, murmura-t-il enfin.

      Alors, le vieillard s’emporta, secoua ses cheveux et sa barbe de fleuve.

      – Qu’il achète la maison, il la payera quatre fois sa valeur!… Mais je vous jure que, moi vivant, il n’en aura pas une pierre. Mon bail est encore de douze ans… Nous verrons, nous verrons!

      C’était une déclaration de guerre. Bourras se tournait vers le Bonheur des Dames, que ni l’un ni l’autre n’avait nommé. Un instant, Baudu hocha la tête en silence; puis, il traversa la rue pour rentrer chez lui, les jambes cassées, en répétant seulement:

      – Ah! mon Dieu!… ah! mon Dieu!…

      Denise, qui avait écouté, suivit son oncle. Mme Baudu rentrait aussi avec Pépé; et, tout de suite, elle dit que Mme Gras prendrait l’enfant quand on voudrait. Mais Jean venait de disparaître, ce fut une inquiétude pour sa sœur. Quand il revint, le visage animé, parlant du boulevard avec passion, elle le regarda d’un air triste qui le fit rougir. On avait apporté leur malle, ils coucheraient en haut, sous les toits.

      – À propos, et chez Vinçard? demanda Mme Baudu.

      Le drapier conta sa démarche inutile, puis ajouta qu’on avait indiqué une place à leur nièce; et, le bras tendu vers le Bonheur des Dames, dans un geste de mépris, il lâcha ces mots:

      – Tiens! là-dedans!

      Toute la famille en demeura blessée. Le soir, la première table était à cinq heures. Denise et les deux enfants reprirent leur place, avec Baudu, Geneviève et Colomban. Un bec de gaz éclairait la petite salle à manger, où s’étouffait l’odeur de la nourriture. Le repas fut silencieux. Mais, au dessert, Mme Baudu, qui ne pouvait tenir en place, quitta la boutique pour venir s’asseoir derrière sa nièce. Et, alors, le flot contenu depuis le matin creva, tous se soulagèrent, en tapant sur le monstre.

      – C’est ton affaire, tu es bien libre, répéta d’abord Baudu. Nous ne voulons pas t’influencer… Seulement, si tu savais quelle maison!

      Par phrases coupées, il conta l’histoire de cet Octave Mouret. Toutes les chances! Un garçon tombé du Midi à Paris, avec l’audace aimable d’un aventurier; et, dès le lendemain, des histoires de femme, une continuelle exploitation de la femme, le scandale d’un flagrant délit, dont le quartier parlait encore; puis, la conquête brusque et inexplicable de Mme Hédouin, qui lui avait apporté le Bonheur des Dames.

      – Cette