La sentinelle laissa passer les deux femmes; mais à peine eurent-elles monté quatre marches de l’escalier sombre, qu’elles rencontrèrent Maurice Lindey, qui descendait un instant dans la cour.
La nuit était presque venue, de sorte qu’on ne pouvait distinguer les traits de leur visage.
Maurice les arrêta.
– Qui êtes-vous, citoyennes, demanda-t-il, et que voulez-vous?
– Je suis Sophie Tison, dit l’une des deux femmes. J’ai obtenu la permission de voir ma mère, et je viens la voir.
– Oui, dit Maurice; mais la permission est pour toi seule, citoyenne.
– J’ai amené mon amie pour que nous soyons deux femmes, au moins, au milieu des soldats.
– Fort bien; mais ton amie ne montera pas.
– Comme il vous plaira, citoyen, dit Sophie Tison en serrant la main de son amie, qui, collée contre la muraille, semblait frappée de surprise et d’effroi.
– Citoyens factionnaires, cria Maurice en levant la tête et en s’adressant aux sentinelles qui étaient placées à chaque étage, laissez passer la citoyenne Tison; seulement, son amie ne peut point passer. Elle attendra sur l’escalier, et vous veillerez à ce qu’on la respecte.
– Oui, citoyen, répondirent les sentinelles.
– Montez donc, dit Maurice.
Les deux femmes passèrent.
Quant à Maurice, il sauta les quatre ou cinq marches qui lui restaient à descendre, et s’avança rapidement dans la cour.
– Qu’y a-t-il donc, dit-il aux gardes nationaux, et qui cause ce bruit? On entend des cris d’enfant jusque dans l’antichambre des prisonnières.
– Il y a, dit Simon, qui, habitué aux manières des municipaux, crut, en apercevant Maurice, qu’il lui arrivait du renfort; il y a que c’est ce traître, cet aristocrate, ce ci-devant qui m’empêche de rosser Capet.
Et il montra du poing Lorin.
– Oui, mordieu! je l’en empêche, dit Lorin en dégainant, et, si tu m’appelles encore une fois ci-devant, aristocrate ou traître, je te passe mon sabre au travers du corps.
– Une menace! s’écria Simon. À la garde! à la garde!
– C’est moi qui suis la garde, dit Lorin; ne m’appelle donc pas, car, si je vais à toi, je t’extermine.
– À moi, citoyen municipal, à moi! s’écria Simon, sérieusement menacé cette fois par Lorin.
– Le sergent a raison, dit froidement le municipal que Simon appelait à son aide; tu déshonores la nation; lâche, tu bats un enfant.
– Et pourquoi le bat-il, comprends-tu, Maurice? parce que l’enfant ne veut pas chanter Madame Veto, parce que le fils ne veut pas insulter sa mère.
– Misérable! dit Maurice.
– Et toi aussi? dit Simon. Mais je suis donc entouré de traîtres?
– Ah! coquin, dit le municipal en saisissant Simon à la gorge et en lui arrachant sa lanière des mains; essaye un peu de prouver que Maurice Lindey est un traître.
Et il fit tomber rudement la courroie sur les épaules du savetier.
– Merci, monsieur, dit l’enfant, qui regardait stoïquement cette scène; mais c’est sur moi qu’il se vengera.
– Viens, Capet, dit Lorin, viens, mon enfant; s’il te bat encore, appelle à l’aide, et l’on ira le châtier, ce bourreau. Allons, allons, petit Capet, rentre dans ta tour.
– Pourquoi m’appelez-vous Capet, vous qui me protégez? dit l’enfant. Vous savez bien que Capet n’est pas mon nom.
– Comment, ce n’est pas ton nom? dit Lorin. Comment t’appelles-tu?
– Je m’appelle Louis-Charles de Bourbon. Capet est le nom d’un de mes ancêtres. Je sais l’histoire de France; mon père me l’a apprise.
– Et tu veux apprendre à faire des savates à un enfant à qui un roi a appris l’histoire de France? s’écria Lorin. Allons donc!
– Oh! sois tranquille, dit Maurice à l’enfant, je ferai mon rapport.
– Et moi, le mien, dit Simon. Je dirai, entre autres choses, qu’au lieu d’une femme qui avait le droit d’entrer dans la tour, vous en avez laissé passer deux.
En ce moment, en effet, les deux femmes sortaient du donjon. Maurice courut à elles.
– Eh bien, citoyenne, dit-il en s’adressant à celle qui était de son côté, as-tu vu ta mère?
Sophie Tison passa à l’instant entre le municipal et sa compagne.
– Oui, citoyen, merci, dit-elle.
Maurice aurait voulu voir l’amie de la jeune fille, ou tout au moins entendre sa voix; mais elle était enveloppée dans sa mante, et semblait décidée à ne pas prononcer une seule parole. Il lui sembla même qu’elle tremblait.
Cette crainte lui donna des soupçons.
Il remonta précipitamment, et, en arrivant dans la première pièce, il vit, à travers le vitrage, la reine cacher dans sa poche quelque chose qu’il supposa être un billet.
– Oh! oh! dit-il, aurais-je été dupe?
Il appela son collègue.
– Citoyen Agricola, dit-il, entre chez Marie-Antoinette et ne la perds pas de vue.
– Ouais! fit le municipal, est-ce que…?
– Entre, te dis-je, et cela sans perdre un instant, une minute, une seconde.
Le municipal entra chez la reine.
– Appelle la femme Tison, dit-il à un garde national.
Cinq minutes après, la femme Tison arrivait rayonnante.
– J’ai vu ma fille, dit-elle.
– Où cela? demanda Maurice.
– Ici même, dans cette antichambre.
– Bien. Et ta fille n’a point demandé à voir l’Autrichienne?
– Non.
– Elle n’est pas entrée chez elle?
– Non.
– Et, pendant que tu causais avec ta fille, personne n’est sorti de la chambre des prisonnières?
– Est-ce que je sais, moi? Je regardais ma fille, que je n’avais pas vue depuis trois mois.
– Rappelle-toi bien.
– Ah! oui, je crois me souvenir.
– De quoi?
– La jeune fille est sortie.
– Marie-Thérèse?
– Oui.
– Et elle a parlé à ta fille?
– Non.
– Ta fille ne lui a rien remis?
– Non.
– Elle n’a rien ramassé à terre?
– Ma fille?
– Non, celle de Marie-Antoinette?
– Si fait, elle a ramassé son mouchoir.
– Ah! malheureuse! s’écria Maurice.
Et il s’élança vers le cordon d’une cloche qu’il tira vivement.
C’était la cloche d’alarme.
XI. Le billet
Les