Le Chevalier de Maison-Rouge. Alexandre Dumas. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Alexandre Dumas
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn:
Скачать книгу
échapper un homme aussi dangereux que l’est ce chevalier de Maison-Rouge.

      – Et qu’eussiez-vous donc fait, monsieur?… demanda Geneviève.

      – Ce que j’eusse fait, citoyenne? dit Maurice. Oh! mon Dieu! ce n’eût pas été long: j’eusse fait fermer toutes les portes du Temple; j’eusse été droit à la patrouille, et j’eusse mis la main sur le collet du chevalier, en lui disant: « Chevalier de Maison-Rouge, je vous arrête comme traître à la nation! » Et une fois que je lui eusse mis la main au collet, je ne l’eusse point lâché, je vous en réponds.

      – Mais que serait-il arrivé? demanda Geneviève.

      – Il serait arrivé qu’on lui aurait fait son procès, à lui et à ses complices, et qu’à l’heure qu’il est, il serait guillotiné, voilà tout.

      Geneviève frissonna et lança à son voisin un coup d’œil d’effroi.

      Mais le citoyen Morand ne parut pas remarquer ce coup d’œil, et vidant flegmatiquement son verre:

      – Le citoyen Lindey a raison, dit-il; il n’y avait que cela à faire. Malheureusement, on ne l’a pas fait.

      – Et, demanda Geneviève, sait-on ce qu’est devenu ce chevalier de Maison-Rouge?

      – Bah! dit Dixmer, il est probable qu’il n’a pas demandé son reste, et que, voyant sa tentative avortée, il aura quitté immédiatement Paris.

      – Et peut-être même la France, ajouta Morand.

      – Pas du tout, pas du tout, dit Maurice.

      – Comment! il a eu l’imprudence de rester à Paris? s’écria Geneviève.

      – Il n’en a pas bougé.

      Un mouvement général d’étonnement accueillit cette opinion émise par Maurice avec une si grande assurance.

      – C’est une présomption que vous émettez là, citoyen, dit Morand, une présomption, voilà tout.

      – Non pas, c’est un fait que j’affirme.

      – Oh! dit Geneviève, j’avoue que pour mon compte, je ne puis croire à ce que vous dites, citoyen; ce serait d’une imprudence impardonnable.

      – Vous êtes femme, citoyenne; vous comprendrez donc une chose qui a dû l’emporter, chez un homme du caractère du chevalier de Maison-Rouge, sur toutes les considérations de sécurité personnelle possibles.

      – Et quelle chose peut l’emporter sur la crainte de perdre la vie d’une façon si affreuse?

      – Eh! mon Dieu! citoyenne, dit Maurice, l’amour.

      – L’amour? répéta Geneviève.

      – Sans doute. Ne savez-vous donc pas que le chevalier de Maison-Rouge est amoureux d’Antoinette?

      Deux ou trois rires d’incrédulité éclatèrent timides et forcés. Dixmer regarda Maurice, comme pour lire jusqu’au fond de son âme. Geneviève sentit des larmes mouiller ses yeux, et un frissonnement, qui ne put échapper à Maurice, courut par tout son corps. Le citoyen Morand répandit le vin de son verre qu’il portait en ce moment à ses lèvres, et sa pâleur eût effrayé Maurice, si toute l’attention du jeune homme n’eût été en ce moment concentrée sur Geneviève.

      – Vous êtes émue, citoyenne, murmura Maurice.

      – N’avez-vous pas dit que je comprendrais parce que j’étais femme? Eh bien, nous autres femmes, un dévouement, si opposé qu’il soit à nos principes, nous touche toujours.

      – Et celui du chevalier de Maison-Rouge est d’autant plus grand, dit Maurice, qu’on assure qu’il n’a jamais parlé à la reine.

      – Ah çà! citoyen Lindey, dit l’homme aux moyens extrêmes, il me semble, permets-moi de le dire, que tu es bien indulgent pour ce chevalier…

      – Monsieur, dit Maurice en se servant peut-être avec intention du mot qui avait cessé d’être en usage, j’aime toutes les natures fières et courageuses; ce qui ne m’empêche pas de les combattre quand je les rencontre dans les rangs de mes ennemis. Je ne désespère pas de rencontrer un jour le chevalier de Maison-Rouge.

      – Et…? fit Geneviève.

      – Et si je le rencontre… eh bien, je le combattrai.

      Le souper était fini. Geneviève donna l’exemple de la retraite en se levant elle-même.

      En ce moment la pendule sonna.

      – Minuit, dit froidement Morand.

      – Minuit! s’écria Maurice, minuit déjà!

      – Voilà une exclamation qui me fait plaisir, dit Dixmer; elle prouve que vous ne vous êtes pas ennuyé, et elle me donne l’espoir que nous nous reverrons. C’est la maison d’un bon patriote qu’on vous ouvre, et j’espère que vous vous apercevrez bientôt, citoyen, que c’est celle d’un ami.

      Maurice salua, et, se retournant vers Geneviève:

      – La citoyenne me permet-elle aussi de revenir? demanda-t-il.

      – Je fais plus que de le permettre, je vous en prie, dit vivement Geneviève. Adieu, citoyen. Et elle rentra chez elle.

      Maurice prit congé de tous les convives, salua particulièrement Morand, qui lui avait beaucoup plu, serra la main de Dixmer, et partit étourdi, mais bien plus joyeux qu’attristé, de tous les événements si différents les uns des autres qui avaient agité sa soirée.

      – Fâcheuse, fâcheuse rencontre! dit après la retraite de Maurice la jeune femme fondant en larmes en présence de son mari, qui l’avait reconduite chez elle.

      – Bah! le citoyen Maurice Lindey, patriote reconnu, secrétaire d’une section, pur, adoré, populaire, est, au contraire, une bien précieuse acquisition pour un pauvre tanneur qui a chez lui de la marchandise de contrebande, répondit Dixmer en souriant.

      – Ainsi, vous croyez, mon ami?… demanda timidement Geneviève.

      – Je crois que c’est un brevet de patriotisme, un cachet d’absolution qu’il pose sur notre maison; et je pense qu’à partir de cette soirée, le chevalier de Maison-Rouge lui-même serait en sûreté chez nous.

      Et Dixmer, baisant sa femme au front avec une affection bien plus paternelle que conjugale, la laissa dans ce petit pavillon qui lui était entièrement consacré, et repassa dans l’autre partie du bâtiment qu’il habitait, avec les convives que nous avons vus entourer sa table.

      X. Le savetier Simon

      On était arrivé au commencement du mois de mai; un jour pur dilatait les poitrines lassées de respirer les brouillards glacés de l’hiver, et les rayons d’un soleil tiède et vivifiant descendaient sur la noire muraille du Temple.

      Au guichet de l’intérieur, qui séparait la tour des jardins, riaient et fumaient les soldats du poste.

      Mais malgré cette belle journée, malgré l’offre qui fut faite aux prisonnières de descendre et de se promener au jardin, les trois femmes refusèrent: depuis l’exécution de son mari, la reine se tenait obstinément dans sa chambre, pour n’avoir point à passer devant la porte de l’appartement qu’avait occupé le roi, au second étage.

      Quand elle prenait l’air, par hasard, depuis cette fatale époque du 21 janvier, c’était sur le haut de la tour, dont on avait fermé les créneaux avec des jalousies.

      Les gardes nationaux de service, qui étaient prévenus que les trois femmes avaient l’autorisation de sortir, attendirent donc vainement toute la journée qu’elles voulussent bien user de l’autorisation.

      Vers cinq heures, un homme descendit et s’approcha du sergent commandant le poste.

      – Ah! ah! c’est toi, père Tison! dit celui-ci qui paraissait un garde national de joyeuse humeur.

      – Oui,