Johnny Walker descendit et rentra aussi vite que possible chez lui. En entrant, il découvrit trois bidons remplis d'eau. Rita avait demandé de l'eau au voisin. Il eut tellement honte de prendre un peu de cette eau pour se laver les mains et la tête. Puis il passa rapidement et rentra silencieusement tel un chat dans sa chambre. Rita était en train de se doucher et fit comme si elle n'avait entendu personne rentrer dans la maison. Cinq minutes plus tard, Johnny avait fini de s'habiller, il ressemblait à nouveau à Johnny Walker : élégant comme une star de cinéma.
Tandis qu'il allait quitter l'appartement sur la pointe des pieds, une voix retentit des toilettes. « Malheur à toi si tu ne vas pas payer la facture aujourd'hui. Je te préviens Evarist Dieu ne dort ». La voix de Rita était claire et déterminée. Il savait par expérience que quand elle l'appelait par son vrai nom, qu’il était dans de beaux draps et qu’il devait faire attention. Il entendit comment il avait dit « Oui » comme un enfant avant de disparaître. Il ne comprenait pas d'où les femmes camerounaises trouvaient cette force et cette audace. Et dire qu'on les appelait le sexe faible. Connerie ! Pensa-t-il. Ce ne sont que des balivernes pour mieux dominer les hommes, se dit-il alors qu'il était à nouveau dans la rue.
Une fois dans la voiture, il discuta longuement avec Amina puis les deux se rendirent au « Snec », l'administration des eaux où Johnny a effectivement réglé sa facture. Cependant, il y eut un problème. L'eau, plus précisément le compteur, devait être ramenée sur place. Mais l'employé qui avait retiré le compteur, avait malencontreusement oublié de le ramener au bureau. Au Cameroun, lorsque vous ne payez pas votre facture d'eau ou d'électricité, on vous enlève entièrement le compteur.
Une discussion houleuse se tint dans le bureau de la Snec : — Comment a-t-il pu oublier d'amener le compteur ici ? Ce n'est qu'une escroquerie afin d'obtenir plus d'argent !
La réceptionniste l'ignora littéralement et pria le client suivant de rentrer. Johnny dit : — Je ne bougerai pas d'ici. Tant que vous n’aurez pas remis mon compteur en place, personne d'autre ne sera servi.
La réceptionniste le regarda avec dédain et lui dit : — Monsieur, cela m'est bien égal. Si ça ne tient qu'à moi, vous pouvez bien passer toute l'après-midi et toute la nuit ici. Je n'ai pas à servir quelqu’un, et elle disparut dans l'arrière-boutique.
Des querelles débutèrent maintenant entre les autres clients, qui souhaitaient, eux aussi, payer leurs factures. Certains s'en prenaient à Johnny, d'autres témoignaient de la compréhension à son égard : — Il a payé, on doit bien lui remettre l'eau. C'est son droit, disait une femme. Un homme lui répliqua : — Oui, mais s'il avait payé à temps, son compteur serait encore à sa place, dans sa maison. Est-ce que nous aussi, nous devons voir nos compteurs retirés parce que nous ne pouvons pas payer notre facture ? Il ne doit pas être égoïste.
Une dispute commença entre les gens qui voulaient payer et Johnny. La réceptionniste revint s'asseoir sur sa chaise et commença à lire le journal, pour montrer encore plus son indifférence. Le ton monta encore et une personne de la sécurité finit par venir voir ce qu'il se passait.
La réceptionniste lui expliqua l'histoire et il se dirigea immédiatement vers Johnny : — Monsieur, dégagez, lui dit-il sur un ton qui ne laissait place à aucun doute, si besoin il utiliserait la force pour le mettre dehors.
Johnny demanda seulement : — Pourquoi ?
La réceptionniste se leva soudainement et dit à haute voix : — Eh Monsieur, déguerpissez, vous n'avez pas honte ? Puis elle continua : — Vous laissez votre compteur se faire enlever pour 15 € et vous osez venir râler ? Je vous le jure, tant que je travaillerai ici, vous n'aurez pas votre compteur avant une bonne semaine. Vous pouvez aller vous plaindre au président du pays, car mon chef n'aura pas son mot à dire.
Johnny répondit : — Ah, oui, encore une Camerounaise avec une grande bouche ! Qui es-tu ? Pauvre simple employée de rien du tout ? Tu crois que je peux sortir avec toi ? Avec ton cul si gros qu'on pourrait faire tenir un enfant dessus sans aucun appui. Tu veux vraiment faire comme si tu avais du pouvoir ? Analphabète. Mon amie peut t'engager comme femme de ménage pour sa voiture et elle te payerait alors dix fois plus que ce que tu gagnes ici.
La femme ne se laissa pas impressionner et répondit : — Ah oui, vraiment, vous rentrez ici en costume comme si vous étiez quelqu'un. Mais en réalité vous n'êtes personne. Vous êtes fauché comme un rat d’église. Et vous vivez aux dépens de cougars, qui ont tout loupé dans leur jeunesse et pensent pouvoir s'acheter tous les hommes avec de l'argent. Vous êtes un gigolo, mieux un misérable bordel et je vous préviens : un simple appel et mon mari vous fait enfermer. Raté, couille molle, bordel - sortez tout de suite si vous...
C'est à ce moment-là que même l'homme de la sécurité intervint pour calmer la femme : — Ma sœur, laisse tomber, où bien y a-t-il autre chose ? Est-ce qu'il s'agit vraiment encore du compteur ?
La femme continua : — Non, grand frère. Les hommes comme lui doivent être remis à leur place. Il a de la chance que je sois bien lunée aujourd'hui, sinon...
Et elle le pensait réellement. Johnny était impressionné et se demandait comment elle serait si elle était hors d'elle ?
Johnny Walker, le grand Johnny Walker n'avait jamais rien vécu de tel. Il dit simplement : - Eh, Madame, excuse-moi. As-tu rêvé de moi cette nuit ?
Il savait que lorsqu'il s’agit d’avoir la langue bien pendue, on ne peut pas rivaliser avec les femmes africaines. Elles sont beaucoup trop fortes et invincibles en la matière. Et il pensa encore une fois à Rita. Est-ce qu'on appelle encore ces femmes le sexe faible ? Non ! Peut-être en Europe, mais certainement pas ici. « Les hommes en Afrique devraient s'émanciper », pensa-t-il.
Intelligent comme il l'était, il savait qu'il valait mieux ne pas envenimer encore plus les choses et il sortit. Oui, on est au Cameroun. Et chacun est président de l'endroit où il se trouve. Que devait-il faire ? Il ne pouvait pas rentrer à la maison, voir Rita sans le compteur et donc sans eau. Mais il savait aussi qu'au Cameroun tout était possible. Cela dépend simplement de l’engagement.
Tandis qu'il réfléchissait à ce qu'il pourrait faire, l'homme de la sécurité vient le voir et lui dit : — Mec, tu connais bien nos femmes avec leurs grandes bouches. Ça ne sert à rien d’entrer en conflit avec elles. Elles vont t’anéantir. Cette fois-ci tu as perdu, comme un petit chien la queue entre les jambes. Laisse-moi donc parler avec elle, et voir ce qu'il est possible de faire.
Johnny acquiesça d'un signe de tête et tandis que l'homme retournait à l'intérieur, il disparut rapidement dans la voiture d'Amina pour lui raconter l'histoire. Lorsqu'il réapparut, l'homme sortait à nouveau du bureau.
— J'ai l'impression qu'elle pourrait t'aider. Mais elle est encore en colère. C'est mieux que nous y allions ensemble. Tu essayes d'abord de t'excuser avec tes blablablas. Ensuite demande lui, comme un cobra qui vient d’être vaincu et qui s’est rendu, ce qu'elle peut faire pour toi, pour que tu puisses encore avoir accès à l’eau aujourd'hui. Montre-lui qu'elle a gagné
Johnny Walker savait exactement comment ça se passait à Douala. Il savait très bien que cette dispute, malgré l'aspect très dur, n'était rien du tout. Les Camerounais sont ainsi, très loquaces, mais peu rancuniers.
Il retourna à l'intérieur aux côtés de l'homme de la sécurité. Dès que la femme l'aperçut, elle l’attaqua immédiatement.
— Monsieur, je ne vous reçois plus, sortez !
Johnny regarda l'homme de sécurité d'un air embarrassé, comme pour dire : « Je fais quoi maintenant ? »
L'homme de sécurité sourit à la réceptionniste, avec un air flatteur, se gratta un peu les cheveux et dit : — Oh oui, Mama, tu es vraiment une femme de poigne, une Dame de fer, oui, oui, c’est bon. Ce serait bien que les femmes règnent enfin sur le Cameroun, non que dis-je,