Deux types de dépouillement se sont imposés en fonction du format et du volume des ouvrages :
Pour les dictionnaires généraux, extrêmement volumineux38, et quelques dictionnaires spécialisés39, nous avons exploité les fonctionnalités proposées par les versions numériques et celles en ligne, et plus précisément le système de renvois vers des entrées apparentées40 et la fonction « recherche »41. Grâce à cette dernière, nous avons pu par ailleurs retenir pour l’analyse un certain nombre d’items dont l’origine anthroponymique n’est plus reconnaissable : ainsi, en entrant « Vorn. »42 dans le champ de recherche du Deutsches Universalwörterbuch (DUDEN 2006), on obtient les mots Rüpel et Mauschel (‘commerçant juif’) derrière lesquels se ‘cachent’ les prénoms Ruprecht et Mošȩ̈. De même, la recherche de « prénom » dans Le nouveau Petit Robert (2007) nous a conduit au mot perroquet, issu de Perrot (ancien diminutif de Pierre), celle de « diminutif » a mené à marionnette, issu de Marion (diminutif de Marie). Grâce aux portails du wörterbuchnetz (Trier Center for Digital Humanities ; Université de Trèves) et du CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales ; CNRS/ATILF), qui permettent de rechercher des entrées dans plusieurs dictionnaires simultanément, nous avons pu obtenir des informations supplémentaires au sujet de tel ou tel déonomastique, notamment en ce qui concerne leur attestation dans plusieurs dictionnaires.
Les nombreux dictionnaires spécialisés non disponibles sous format numérique ont été dépouillés manuellement.
Malgré toute l’attention portée au dépouillement, nous ne pouvons prétendre à un relevé exhaustif, non seulement en raison du traitement lexicographique des déonomastiques, souvent lacunaire et peu rigoureux (cf. FONTANT 1998 : 12 sqq., BÜCHI 1993, 2002 : 256), mais aussi parce que dans le cas de la consultation de dictionnaires papier, on court le risque de passer à côté des items qui ont subi des changements formels ou sont issus de prénoms désuets.
Lors du dépouillement, nous avons été confronté de manière récurrente à deux questions. La première a trait à la fiabilité des sources écrites, problème qui s’est posé plus particulièrement dans le cas des dictionnaires et glossaires spécialisés (cf. HASS-ZUMKEHR 2001 : 364, LÖFFLER 2005 : 122). Souhaitant écarter les hapax, qui ne présentent qu’un intérêt très limité dans le cadre de notre étude, et consigner le plus grand nombre possible de déonomastiques tombés en désuétude qui, eux, sont des témoins précieux de l’évolution linguistique, nous avons décidé de ne retenir que les entrées dont nous avons pu vérifier l’emploi, et de fixer le seuil de vérification en fonction des types de sources consultées. Pour les mots les plus anciens enregistrés dans les grands dictionnaires historiques, tels que Kunz (‘sot, niais’ ; DW) ou robin (‘homme sans considération, prétentieux et sot’ ; AC [1762], LIT), nous nous sommes contenté d’une seule attestation, provenant d’ailleurs souvent de ces mêmes dictionnaires. En revanche, pour les dictionnaires et glossaires modernes reposant sur une méthodologie douteuse, nous avons retenu un seuil de deux attestations univoques. Ainsi, ni grüne Konrads (‘sous-vêtement’ dans le jargon militaire ; K78) ni Knastliesl (‘poupée mise à disposition des détenues féminines dans la cellule’ dans l’argot pénitentiaire ; L01) n’ont été retenus pour notre étude, pas plus que Hüftharry (‘lourdaud, maladroit’ ; L15), puisqu’ils apparaissent dans une source peu fiable et que le seuil de vérification n’est pas atteint. Les items pour lesquels nous n’avons trouvé aucune occurrence, tels que traquenard saint Michel (‘diable’ ; OUD), ont été, quelle que soit la source, écartés de l’analyse43.
La seconde question, essentielle pour notre étude, concerne la place à accorder aux variétés dialectales, véritable mine d’or pour qui s’intéresse aux noms communs et expressions issus de prénoms44. Dans l’impossibilité de rendre compte, pour chaque mot ou expression, de l’ensemble des variantes dialectales existantes ou ayant existé et de vérifier l’emploi de nombreuses variantes, aujourd’hui désuètes, nous n’avons retenu pour l’analyse que la forme non marquée. En revanche, afin d’illustrer certaines tendances à fort ancrage local, telle que la désignation péjorative d’un individu par un prénom fréquent (cf. p. 161), nous avons également cité des déonomastiques tirés de dictionnaires dialectaux45.
À l’issue de notre dépouillement d’ouvrages lexicographiques, nous avons établi des listes d’items que nous avons par la suite complétées grâce à d’autres sources, à commencer par les principales études consacrées aux déonomastiques, qui reposent en partie sur d’autres dictionnaires que ceux retenus dans le cadre de notre travail46. Viennent ensuite quelques études richement documentées sur certains sociolectes, notamment KLUGE (1901) et GÜNTHER (1905, 1965 [1919]) sur le rotwelsch, SCHWOB (1999 [1899]) sur l’argot français, HORN (1899) et IMME (1918) sur l’argot des soldats allemands, SAINÉAN (1915) et DAUZAT (1918) sur celui des poilus. Enfin, plusieurs collègues et amis nous ont signalé des mots ou expressions employés en Suisse alémanique, en Autriche ou au Canada francophone ainsi que des néologismes issus de la langue des jeunes, contribuant ainsi à enrichir nos relevés.
Nous avons opté pour une présentation des résultats de nos dépouillements sous forme de tableaux dont les principes d’organisation sont exposés en introduction aux annexes. Celles-ci sont téléchargeables sur le site de l’éditeur à l’adresse suivante : http://www.narr-shop.de/l-appellativisation-du-prenom.html. À noter que dans l’analyse consacrée à tel ou tel item, nous n’avons pas toujours pu reprendre la totalité des informations figurant dans les tableaux. Ceux-ci, en donnant une vue d’ensemble des items retenus et de leur évolution sémantique, apportent un complément utile à notre étude et constituent un outil de consultation ponctuelle pour le lecteur. Nous espérons qu’ils puissent également servir de base à des études futures sur la question.
Notre travail s’ouvre sur la présentation des travaux consacrés à l’emploi des noms propres et plus particulièrement des prénoms en tant que noms communs en allemand et en français. Après avoir retracé les débuts de la recherche onomastique, nous nous intéresserons à l’évolution des travaux depuis la fin du XIXe siècle, tant du point de vue quantitatif que qualitatif (domaines d’analyse et aspects méthodologiques, entre autres). Notre bilan de la recherche, qui se veut critique, dégagera par ailleurs plusieurs aspects du phénomène qui n’ont été que rarement étudiés jusqu’à présent. Enfin, il nous donne l’occasion de passer en revue nombre de formations et de présenter ainsi un aperçu de la richesse des mots et expressions en jeu.
La deuxième partie du travail vise à circonscrire notre objet d’étude. Partant des résultats de nos dépouillements, nous montrerons tout d’abord à quel point les interactions entre prénom et lexique sont diverses et complexes.