Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron . Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066373825
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      « Il ne devait pas abandonner ses armes et ses bagages ; » voilà l’accusation. Le général répond « qu’il le devait. » La question est : « Le devait-il ? » Il donne pour raison, « que tous ses soldats auraient été égorgés. » On le réfute, ou par cette conjecture : « Ils n’auraient pas été égorgés ; » ou par cette autre « Ce n’était pas là votre motif. » Alors s’offrent ces points à juger : « Auraient-ils été égorgés ? était-ce là le motif de la conduite de l’accusé ? » ou cette alternative, dont nous nous occupons : « Fallait-il laisser périr son armée, plutôt que de livrer ses armes et ses bagages à l’ennemi ? » De là naît le point à juger : « Lorsqu’il fallait perdre son armée, ou souscrire à ce traité, valait-il mieux perdre son armée que de la sauver à ces « conditions ? »

      Telle est la manière de traiter une cause de cette espèce. On peut suivre ici la méthode et les préceptes tracés pour les autres questions, et surtout réfuter, par des conjectures, l’alternative qu’établit l’accusé. Vous y parviendrez, en assurant que ce qu’il regarde comme nécessaire ne serait point arrivé s’il n’eût point agi comme il a fait, ou en démontrant que sa conduite a eu d’autres motifs que ceux qu’il avoue, et qu’elle est fondée réellement sur d’autres causes. La défense et la réfutation se prennent également dans la question de conjecture ; ou bien, si l’on qualifie le délit, comme dans cet exemple ou le général est accusé de lèse-majesté, il faut employer la définition et suivre les préceptes que nous avons donnés à ce sujet.

      XXV. Il arrive souvent que, dans les causes de cette nature, on est obligé d’employer à la fois les conjectures et la définition. S’il s’y rencontre encore quelque autre genre, il faut également suivre les préceptes de ce genre. En effet, le but principal de l’accusateur est de réunir le plus de moyens qu’il pourra contre le fait que l’accusé veut justifier, et il lui sera facile d’y réussir, en multipliant le nombre des questions.

      L’alternative, isolée des autres genres, peut être considérée en elle-même ; et alors vous démontrerez que le fait dont il s’agit n’était ni utile, ni honnête, ni nécessaire, ou du moins ne l’était réellement pas à un si haut degré.

      Sachez ensuite distinguer le fait que vous imputez à l’accusé, de celui que le défenseur présente comme alternative, et démontrez que l’usage ne permet point de se conduire ainsi, et que nulle raison ne peut autoriser à livrer à l’ennemi, pour le salut d’une armée, les armes qui font son salut. Il faudra comparer ensuite les avantages et les inconvénients, opposer nettement ce que vous attaquez aux choses que le défenseur prétend justifier, ou dont il vent prouver la nécessité ; et, en affaiblissant l’avantage, exagérer le tort. Vous y réussirez en prouvant qu’il a pris le plus mauvais parti, au lieu de prendre le plus honorable, le plus utile et le plus nécessaire. Les règles de la délibération vous apprendront à connaître la nature et le pouvoir de l’honneur, de l’intérêt et de la nécessité.

      Exposez ensuite cette cause d’alternative comme une cause délibérative, et suivez les règles du genre délibératif ; car, pour nous servir toujours du même exemple : « Toute l’armée devait périr, si l’on n’eût signé ce traité ; valait-il mieux la laisser périr que de le signer ? » Question qu’il faut développer suivant les règles du genre délibératif, comme une chose sur laquelle on vous demande votre avis.

      XXVI. Les lieux dans lesquels l’accusateur a puisé les questions qu’il ramène à sa cause, fourniront aussi des armes au défenseur pour réfuter ces mêmes questions ; seulement il suivra une marche opposée à celle de son adversaire dans les lieux qui naîtront de l’alternative elle-même.

      Les lieux communs seront, pour l’accusateur, d’exhaler son indignation contre la bassesse ou les inconvénients d’une action que l’accusé avoue honteuse ou funeste, on l’un et l’autre à la fois, en cherchant toutefois à la justifier. Le défenseur répondra qu’on ne peut juger des avantages, des inconvénients, de la bassesse ou de la gloire d’une action, sans en connaître la cause, le temps et l’intention. Ce lieu commun, bien développé, est, dans cette cause, un des plus puissants moyens de persuasion. Le développement de l’importance du service, qui se tire ordinairement de la nécessité, de l’honneur ou de l’utilité de l’action, vous offre un second lieu commun. Un troisième met sous les yeux de l’auditoire une peinture animée, qui lui persuade que, dans les mêmes circonstances, à la même époque et avec les mêmes motifs, il n’aurait pas agi autrement que vous. La récrimination a lieu lorsqu’en avouant le délit on se justifie, en montrant qu’on a été entraîné à le commettre par la faute d’un autre. Par exemple : « Horace, vainqueur des trois Curiaces, après la mort de ses deux frères rentre en triomphe dans la ville. Il voit que sa sœur, sans être affligée de la perte de ses frères, prononce de temps en temps, avec des pleurs et des sanglots, le nom d’un des Curiaces, auquel elle était fiancée. Dans le transport de son indignation,« il la tue. On le cite en justice. »

      On l’accuse « d’avoir, sans aucun droit, tué sa soeur. » Il répond « qu’il en avait le droit. » C’est ce qu’il s’agit de décider. Voici son motif : « Elle pleurait la mort d’un ennemi, sans songer à celle de ses frères ; elle détestait ma victoire et celle du peuple romain. » On le réfute, en disant « que son frère ne devait pas néanmoins la tuer, sans qu’elle fût condamnée. » Voici le point à juger : « Horatia, indifférente à la mort de ses frères, pleurait celle des ennemis, et ne se réjouissait point de la victoire de son frère et du peuple romain : son frère avait-il le droit de la tuer, sans qu’elle fût condamnée ? »

      XXVII. Dans ce genre de cause, on peut, ainsi que nous l’avons dit pour l’alternative, emprunter aux autres questions ce qui convient à celle que nous discutons. Il faut ensuite trouver, s’il est possible, quelque question qui puisse servir à la défense de celui sur qui l’accusé rejette le crime. On montre d’abord qu’il est moins grave que celui dont l’accusé est coupable. Ensuite, par la récrimination, on fait voir par qui, devant qui, de quelle manière, dans quel temps l’action devait être intentée, le jugement rendu ou la décision de cette affaire prononcée ; on prouve surtout qu’il ne fallait pas que la punition devançât le jugement. Puis on développe les lois et les jugements qui pouvaient punir légalement une faute dont l’accusé s’est déclaré le vengeur de sa pleine autorité. Dites ensuite qu’on doit rejeter toute accusation fondée sur un délit dont l’accusateur lui-même n’a pas voulu attendre le jugement, et regarder comme non avenu ce qui n’a pas été jugé. Insistez sur l’impudence de ceux qui accusent aujourd’hui devant les juges, celui qu’ils ont eux-mêmes condamné sans l’entendre, qui demandent un jugement contre celui qu’ils ont déjà puni. Prouvez qu’il n’y aura plus d’ordre dans les jugements, que les juges excéderont leur pouvoir, s’ils prononcent à la fois et sur l’accusé, et sur celui dont il vient devant eux se faire l’accusateur. Quels désordres ne produira point ce principe, une fois établi, de punir une faute par une autre faute, une injustice par une injustice ! Si l’auteur de l’accusation présente avait voulu suivre l’exemple de l’accusé, il n’aurait pas besoin non plus de jugement ; et si chacun agissait de même, il n’y aurait plus de tribunaux.

      Voici un raisonnement que vous pouvez développer encore : Quand même Horatia, sur qui l’accusé rejette son crime, eût été légalement condamnée, était-ce à lui de la punir ? Et s’il ne l’a pas dû, quand elle eût été condamnée, combien est-il coupable de l’avoir fait, sans que personne ait jamais appelé sur elle la justice des tribunaux ! Demandez ensuite qu’il vous montre la loi qui le justifie.

      Nous avons dit, en parlant (le l’alternative, que l’accusateur devait mettre tous ses soins à atténuer ce qu’on donne pour alternative. Il faut encore ici comparer la faute de celui sur qui l’on rejette l’accusation, avec le crime de celui qui prétend avoir suivi les règles de la justice. Alors vous aurez soin de démontrer que cette faute n’est point de nature à justifier le crime de l’accusé. Enfin, comme dans l’alternative, arrêtez-vous au point à juger, et développez-le, par l’amplification, suivant les règles du genre délibératif.