La diva. Édouard Cadol. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Édouard Cadol
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066327057
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gagnèrent deux fauteuils isolés, au centre d’une rangée de sièges disposés en demi–cercle.

      Leurs hôtes se glissèrent en silence, aux places qui leur étaient réservées, puis tout le monde s’assit dans la loge impériale, tandis que le reste des spectateurs restaient debout, le dos tourné à la scène.

      Le jeune compositeur ressentait une impression pénible au spectacle de cette cour étrange, et comme, d’autre part, il éprouvait de l’embarras à assister à la représentation de son œuvre, il quitta la place et gagna les coulisses.

      La scène était pleine de monde: des employés du ministère, des fonctionnaires du château, quelques hauts personnages amateurs de la société des actrices, mêlés à des gens qui se tenaient un peu partout, silencieux, très attentifs et à qui personne ne parlait: la police d’Hirvoy. Dans le manteau d’Arlequin, deux grenadiers de la garde, le fusil au pied.

      Louis traversa la scène pendant qu’on jouait l’ouverture et pénétra dans le petit foyer.

      Adrienne y était seule.

      C’est elle qui jouait la première scène après le chœur d’introduction.

      Tous deux avaient bien envie de revenir sur la conversation interrompue au moment de leur arrivée. Mais le temps manquait.

      D’un tacite accord, ils remirent la conférence à un moment plus favorable, et Adrienne étant sortie sur l’appel du régisseur, Louis poussa une porte au hasard, espérant découvrir quelque issue qui lui permît de respirer un moment l’air extérieur.

      En effet, une petite pièce traversée, il se trouva dans un escalier assez sombre, qui conduisait aux chambres où les comédiens s’habillaient. L’un d’eux, qui descendait en costume, le rencontra.

      –Oh! cher maître, lui dit–il, vous vous dérobez au triomphe.

      –Je cherche tout simplement quelque endroit où l’on puisse fumer une cigarette.

      –Dans ma loge, si vous voulez.

      –Merci, non; j’aimerais mieux le grand air.

      –Descendez en ce cas.

      Louis suivit le conseil.

      Après quelques marches, il vit une grosse porte d’allée. Elle était seulement fermée au loquet. Il ouvrit et aperçut devant lui une rue obscure et déserte.

      Quel contraste avec l’affluence de là–haut! A peine une ou deux fenêtres faiblement éclairées; le silence particulier à la province.

      Le vent, qui soufflait de l’est, avait nettoyé le ciel, où les étoiles brillaient dans leur éternel arrangement.

      Au lointain, le roulement d’une voiture; un chien gémissant, dans la solitude d’une maison.

      Sans plus de souci de sa tenue de soirée, Louis s’assit sur le pas de la porte, fumant, en suivant ses pensées; songeant à cet empereur dont la couronne semblait accabler le front; à cette souveraine, officiellement si adulée, et qui, tous deux, lui avaient paru si isolés, si retranchés du reste des hommes; engoncés dans un décorum maussade, qui ne les mettait pas même à l’abri des quolibets de tout un monde de comparses gorgés et ingrats.

      Puis, réfléchissant à la facilité avec laquelle il avait passé de la salle de spectacle à ce coin de rue désert, il lui vint à l’esprit une espèce de roman bizarre.

      –Comme il serait aisé pourtant de tirer sur l’empereur! se dit–il. Tandis que les issues principales du château sont hérissées de gardes, d’huissiers, de mouchards, il n’y a qu’à pousser cette porte, monter un entresol, attendre l’entr’acte sur la scène, puis, par le trou du rideau, viser, et.

      –Mais voilà, se dit–il encore, c’est trop simple pour venir à l’idée d’un conspirateur.

      Comment de telles imaginations se présentaient–elles à son esprit? On ne sait.

      La vie est pleine de ces influences mystérieuses sur le cours des réflexions. Qui dira si, dans l’air des milieux où l’on est tout à coup transplanté, il n’y a pas des éléments innommés qui s’imposent à la réflexion?

      Ce qui est certain, c’est que, malgré lui, absorbé dans une suite d’idées de cette nature, il n’aperçut pas tout de suite, des ombres qui longeaient les maisons, se rapprochant de lui avec une extrême prudence.

      Séparées d’abord, elles se réunirent bientôt dans l’enfoncement d’une porte cochère. Puis un temps passa.

      Louis, qui avait seulement remarqué l’arrivée de la dernière, ne s’en étonna pas, croyant à quelque habitant de Compiègne qui rentrait chez lui, après le domino de famille, ou la poule au billard au café de la Cloche.

      Cependant, quelqu’un se détacha de cet enfoncement, et gagnant le milieu de la rue, vint droit au jeune homme.

      –C’est vous, Charles? lui demanda l’inconnu, en s’arrêtant à distance.

      –Non, monsieur, répondit Louis.

      –Pardon! fit l’autre avec un peu de précipitation.

      Puis, comme troublé, il donna une explication qu’on ne lui demandait pas. On eût dit qu’il eût à cœur de détourner des soupçons possibles.

      –Charles est mon beau–frère, dit–il, le chef machiniste du château, et pendant l’acte, il devait venir prendre un café avec nous. C’est qu’il n’aura pas pu sortir. Bonsoir, monsieur.

      Tout en rendant le bonsoir, Louis dont la cigarette s’était éteinte, frotta une allumette, et l’éclat du fulminate jeta un éclair de vive lumière sur les traits de l’individu.

      Cela, de la part de Louis, était sans dessein, et il ne doutait pas de ce que l’autre lui avait dit.

      Néanmoins, le visage de son interlocuteur le frappa. Il n’avait rien du cachet populaire, et les habits, le linge ne se rapportaient guère à la qualité de parent d’un machiniste, que se donnait celui qui les portait.

      Malgré cela, Skébel n’en tira aucune conséquence, sur le moment.

      L’homme avait rebroussé chemin. Louis le suivit des yeux et, de nouveau, le vit rentrer dans l’ombre de la porte cochère.

      Alors, il lui sembla entendre des chuchotements; après quoi, deux ombres surgirent du même point, s’éloignèrent et se séparèrent au bout de la rue.

      Il écouta: le même murmure se faisait entendre dans le silence de la nuit.

      Influence de l’obscurité peut–être, de son isolement dans un endroit inconnu, ou encore de ses réflexions précédentes sur la facilité d’un attentat contre la vie du souverain, Louis fut pris d’un frisson de terreur.

      Sans raisonner, il jeta sa cigarette, et rentra, en fermant vivement la porte.

      Plus encore poussé par un effroi instinctif, au moment de remonter au théâtre, il colla son oreille à la serrure et attendit, en retenant son souffle.

      Des minutes se passèrent ainsi.

      L’imagination peuplée de fantômes, il crut entendre des pas, un conciliabule, quelqu’un qui appelait:

      –«Charles?…»

      C’était comme une hallucination, que le silence exagérait à ce degré, qu’il fut sur le point de crier à l’aide, en entendant distinctement deux coups de sifflet au dehors; lesquels furent suivis d’un bruit de pas précipités.

      Il lui semblait qu’il courût lui–même un danger; il se sentait anéanti, égaré d’épouvante, quand, apercevant un énorme verrou, il le poussa, par un mouvement fiévreux, et faillit tomber en faiblesse.