A Rome, la tension qui existait entre la personne du pape et son gouvernement, depuis le commencement de la guerre, avait augmenté au fur et à mesure des événements. Déjà, après la reprise de Vicence par les Autrichiens, le pape Pie IX, en réponse à l’adresse de la chambre des députés, délibérant sur le discours de Mamiani, avait affirmé personnellement que «le moyen de réussir, malgré les désirs de guerre qui éclataient de toute part, ne pouvait être de sa part une déclaration de guerre». La nouvelle de la défaite de Custozza amena la démission de Mamiani (2 août), qui avait voulu entraîner le pape contre l’Autriche, et il fut remplacé par Fabri. Quand l’Autrichien Welden, sur l’ordre peut-être de Radetzki, malgré son désaveu ultérieur, se jeta sur Bologne dans les États de l’Église, le peuple romain; par des manifestations, chercha encore à entraîner le pape. Les autorités de Bologne, ne voulant pas exposer la ville aux horreurs de la guerre, avaient laissé entrer les bataillons autrichiens; mais le peuple s’était jeté au-devant d’eux, le 9 août, et les avait repoussés avec perte au-delà du Pô. Le pape se contenta de protester contre la violation de son territoire, et de faire une convention avec Welden . Satisfait de voir les Autrichiens partis, il refusa de ratifier les propositions énergiques faites par les députés romains, qui demandaient (25 août) la réunion à Rome d’un congrès national italien, et il profita de la prorogation du parlement pour constituer un nouveau ministère et attendre les événements.
On allait bientôt découvrir ce qui se cachait derrière cette proposition d’un congrès national italien. Dans la Toscane, le ministère constitutionnel de Ridolfi avait déjà été plusieurs fois ébranlé par les premiers échecs de la petite armée et des volontaires de la Toscane. Quand le général Welden, après Bologne, parut menacer aussi la frontière toscane, Ridolfi voulut se raffermir; il déploya quelque vigueur, ferma les clubs, emprisonna les agitateurs. Mais Livourne, peuplée d’ouvriers, et où les bourgeois faisaient monter la garde par les prolétaires, était un foyer difficile à éteindre. Déjà, plusieurs fois, le célèbre romancier Guerrazzi l’avait soulevée au cri d’une constituante italienne. Nommé récemment député, il parlait avec plus d’autorité ; selon lui, les princes étaient au moins convaincus d’impuissance; le soulèvement en masse de toute l’Italie réussirait seul à la délivrer. On voulut l’emprisonner. Il s’échappa. La ville de Livourne était en pleine insurrection; les soldats mettaient bas les armes et fraternisaient avec les ouvriers. Capponi, nommé à la place de Ridolfi, était déjà si débordé, qu’il voulait envoyer pour calmer Livourne Guerrazzi lui-même. C’était faire de l’ordre avec du désordre (20-30 août). Le grand-duc Léopold II ne savait quel parti prendre. A Naples, il trouvait d’autres exemples.
Là, le roi Ferdinand II tirait résolument parti de la défaite du Piémont. Depuis les derniers événements, le nouveau ministère (prince Cariati, Bozzeli) avait de la peine à s’entendre avec la nouvelle assemblée, réunie le 1er juillet. La Sicile, qui maintenait son indépendance, la Calabre soulevée, rendaient l’accord difficile. Mais on reprochait surtout au gouvernement le rappel de l’armée du Nord. Les nouvelles arrivées de la Lombardie lui donnèrent la force et l’audace qui lui manquaient. D’une part, Charles-Albert, après Custozza, n’osait plus accepter pour son fils la couronne que les Siciliens lui avaient offerte; d’autre part, Ferdinand pouvait agir à Naples et dans les Calabres, sans crainte de l’opinion découragée. Ferdinand II, le 3 septembre, fit donc partir huit bateaux à vapeur et six mille hommes pour la Sicile, et, le 5, il prorogea encore son parlement.
Le gouvernement de la Sicile, déjà fort divisé avant l’élection du duc de Gênes, l’était encore plus après le refus de celui-ci. Il n’était pas encore parvenu à mettre une armée raisonnable sur pied; la garde nationale seule était organisée, et on s’était résigné à accepter le service des forçats, que le gouvernement napolitain avait lâchés pour compromettre la révolution sicilienne. Le marquis de Torearsa et Joseph Lafarina formèrent un nouveau gouvernement; ils firent leur possible, mais il était trop tard. La ville de Messine, toujours surveillée par les quatre mille Napolitains de Pronio, dans la citadelle, n’avait guère d’autres défenseurs que ses habitants, qui s’étaient courageusement armés et enrégimentés; et les feux de la citadelle, située sur une langue de terre qui commande le port, lui faisaient beaucoup de mal, quand Filangieri avec la flotte napolitaine parut. Une sortie de Pronio permit aux troupes napolitaines de s’établir et de commencer les opérations dès le 4. Messine envoya demander des secours au parlement sicilien; mais la ville républicaine fut peu secourue par la royaliste Palerme.
Pendant la lutte, les Suisses et les Napolitains de Ferdinand, au nombre de quinze mille hommes, furent soutenus et ravitaillés par le camp établi de l’autre côté du détroit; Messine ne reçut par terre que des renforts insignifiants et tardifs. Ce combat inégal dura cependant huit jours. La citadelle, la flotte et les batteries inondèrent la ville d’une pluie de bombes et de fusées, qui fit les plus grands ravages et alluma plusieurs incendies. Les forts restés encore au pouvoir des Messinois essayèrent quelque temps de répondre au feu, mais furent bientôt éteints. Après avoir perdu les fortifications et les barricades élevées hors de la ville, les Messinois se battirent encore avec acharnement dans les faubourgs, au milieu des décombres des maisons en feu; et le sac commença. Les rues se jonchaient de cadavres, quand les amiraux anglais et français, Parker et Baudin, intervinrent pour faire cesser la boucherie et sauver le reste de la ville, le 3 septembre au soir. Un armistice entre le roi Ferdinand et le parlement sicilien suspendit même la guerre, et établit une zone neutre entre l’armée napolitaine et celle de Sicile, venue trop tard au secours de Messine.
La liberté, dans les imaginations italiennes frappées par tant de coups divers, n’existait plus et ne se défendait plus qu’à Venise. Les Autrichiens étaient entrés à Modène, et ils y avaient ramené le duc François V; ils étaient rentrés à Parme et ils y gouvernaient en maîtres (26); Venise seule résistait, et elle résistait républicaine. En effet, le jour même où les commissaires de Charles-Albert devaient recevoir l’investiture de la cité et province de Venise (9 août), on avait appris la nouvelle de l’armistice de Milan et de l’abandon des troupes de terre et de mer que Charles-Albert avait envoyées dans la lagune. Le peuple était réuni sur la place Saint-Marc en tumulte, quand Manin, en paraissant à la fenêtre du palais du gouvernement, s’écria: «Après-demain, les députés de la ville et du territoire de Venise seront assemblés; jusque-là je gouverne.» Le même jour, il avait envoyé au gouvernement français une demande de secours; le surlendemain, la république avait été de nouveau proclamée, le pouvoir confié à un triumvirat avec Manin pour président, la défense militaire à Guillaume Pepe, ce vétéran du libéralisme, dont le patriotisme classique ne s’était jamais démenti; et, favorisée par sa position même, la république vénitienne se défendait.
La Lagune ou l’Estuario est, comme on le sait, une sorte de lac oblong, formé par les cours d’eau qui se jettent au fond de l’Adriatique, et séparé seulement de cette mer par des îles longues et étroites, coupées de canaux où les gros vaisseaux ne peuvent pénétrer. Elle couvre un arc de cercle de près de quarante lieues, et renferme deux cent mille habitants. Vers le sommet de l’arc s’élève Venise, et çà et là de gros bourgs tels que Chioggia et Mestre, autrefois bien plus considérables; du côté de la terre et de la mer, quarante forts, avantageusement situés, et dont les principaux sont ceux de Lido, de Malghera, de Brondolo et Treporti, protégent cette situation admirable pour la défense. Manin, pour les frais de défense, avait fait un emprunt de 100,000 livres, et fait apporter toute la vaisselle d’or et d’argent contre des billets de remboursement à 5 pour 100 de bénéfice. Pepe, depuis