Ces précautions prises, Charles-Albert, le matin du 29, fit sortir ses bataillons des positions de Villa Franca et de Somma Campagna entre Peschiera et Vérone, et marcha sur la hauteur de Pastrengo qui protégeait Vérone. Le roi, sur son armée de quarante mille hommes, en mit à peu près en mouvement vingt-quatre mille. Il montra dans le combat, conduit par un de ses généraux, autant de hardiesse que de sang-froid et mit un instant l’épée à la main pour ramener un régiment. Le président du ministère, Balbo, était présent à la bataille. Après un combat de six heures, avec perte de quatre cents hommes de part et d’autre, les Autrichiens abandonnèrent la position, laissèrent Peschiera isolé, et commencèrent à découvrir, mais en partie seulement, Vérone. Radetzki ne voulait point encore de bataille.
On n’eut pas le loisir de s’applaudir de ce succès. Le même jour 29, Pie IX, en désaccord depuis quelque temps, avec son ministre, le cardinal Aldobrandini, sur le rôle de son armée, apprenant le passage du Pô par Durando le 25, sans avoir prévenu même ses plus intimes, dit-on, rompit tout à coup avec le rôle qu’on avait espéré lui voir jouer.
D’une part, on avait voulu par des manifestations de la place publique peser sur lui, le 27, pour l’amener à rappeler son nonce de Vienne; d’autre part, quelques représentants du parti grégorien, peut-être les ambassadeurs d’Autriche et de Russie, lui avaient fait craindre un schisme en Autriche, même en Allemagne. Invoquant la conduite de ses prédécesseurs et la sienne, au commencement de son pontificat, il dégageait donc sa responsabilité de toute participation aux derniers événements; il se refusait, comme père de tous les chrétiens, à se mêler à la guerre entreprise contre les Autrichiens, puisqu’il était dans l’impossibilité d’empêcher ses sujets d’y prendre part. Se rappelant qu’il était pontife et oubliant qu’il était souverain, il protestait que tous ses efforts «tendraient à étendre chaque jour davantage le royaume de Jésus-Christ qui est l’Église, et non à reculer les limites de la souveraineté temporelle ». Cette encyclique, témoignage certain d’une grande hésitation, sinon d’une retraite définitive, n’en était pas moins de nature à décourager les modérés et à exaspérer les exaltés. Si quelques radicaux, comme Fiorentino, traitaient déjà Pie IX de traître, des modérés, comme M. d’Azeglio, s’écriaient: «Cette encyclique est tombée au milieu de nous comme une bombe; l’armée en a été presque dissoute.» «Vous avez effacé,» s’écria le père Ventura en s’adressant aux conseillers du Saint-Père, «les plus belles pages de l’histoire ecclésiastique du dix-neuvième siècle; vous avez empêché le pontife d’accomplir sa plus magnifique mission temporelle, vous avez arraché à Pie IX la gloire de donner son nom à son siècle.»
Plus triste fut encore la prise d’Udine par l’Autrichien Nugent sur l’Italien Zucchi et sa marche sur la Piave avec trente mille hommes de réserve. Elle donnait de l’espoir à Radetzki.
Le 1er mai l’émeute, grondant pour la première fois sous le balcon du Quirinal, tenta d’enlever Pie IX aux influences qui lui avaient dicté l’allocution du 29 avril ou même de lui arracher le gouvernement. Mais Mamiani se jeta au-devant des émeutiers, en promettant un ministère libéral sans prêtres et un programme de guerre. En effet, Pie IX écrivit à l’empereur d’Autriche, le 3, pour l’engager à renoncer volontairement à une domination «qui ne pouvait être ni durable ni glorieuse». Tout en laissant la présidence du conseil au cardinal Soglia, il appela décidément un laïque (4 mai) au département des affaires étrangères. C’était Mamiani, écrivain distingué et proscrit depuis 1831, auteur d’ouvrages philosophiques mis à l’index, esprit fin, assez résolu, qui s’adjoignit des ministres laïques et prit pour sous-secrétaire d’État l’historien Farini. Pie IX allait-il laisser le gouvernement temporel en des mains laïques pour se résoudre à n’être que pontife et, comme tel, à gouverner sans régner dans ses États? Le célèbre Gioberti, après avoir traversé au milieu de triomphes toute l’Italie, arriva alors à Rome. Reçu avec transport, il recommanda la conciliation des devoirs du prince et de ceux du père des croyants. «On verrait, disait-il, les miracles de la parole achever ceux que commençait l’épée.», Le pape, effrayé déjà de se voir érigé en glorieux réformateur, en protecteur religieux d’une république italienne et universelle, le reçut avec la complaisance un peu ironique qui lui était familière . En attendant et non sans difficulté, Mamiani obtint la convocation des corps représentatifs pour le 5 juin et s’occupa d’organiser une ligue des princes italiens.
Le gouvernement resta deux mois au pouvoir de ce ministère; Pie IX, se contentant de régner, laissait les troupes faire la guerre. Le roi de Naples, entraîné par le même mouvement, autorisa Pepe à partir à la tête de seize mille hommes et promit de le faire suivre bientôt d’un autre corps de vingt-quatre mille hommes; il accrédita des chargés d’affaires auprès du pape et auprès du roi de Sardaigne pour une ligue, et convoqua l’assemblée des députés de son royaume pour le 15 mai, tout en enjoignant à Pepe, décidé peut-être à n’en rien faire, de ne pas dépasser le Pô sans ses ordres.
Le moment décisif approchait. Parme, qui chassait son duc, et Modène, qui l’avait déjà chassé, se donnaient définitivement à Charles-Albert. A Milan, le gouvernement provisoire albertiste, malgré quelques républicains qui voulaient attendre, essayait de discipliner les volontaires pour constituer une réserve et appelait la Lombardie à voter à la fin du mois (29 mai) sur ses destinées. Charles-Albert sentait le besoin de décider le vote par quelques succès avant l’arrivée du corps de réserve autrichien; les émigrés à Milan, Mazzini entre autres, quoiqu’il mît d’abord beaucoup de modération dans sa propagande, commençaient à se plaindre des circonspections et des lenteurs de cette guerre royale. Le roi résolut encore d’agir. «Les politiques et les stratégistes de café,» dit plus tard Balbo, «en lui montrant Venise délivrée, l’arrivée des volontaires de Durando et l’approche des autres, croyaient facile la délivrance de l’Italie jusqu’à l’Adriatique, la chute de l’Autriche.»
Il fallait ou battre ou tourner Radetzki, qui occupait devant la ville de Vérone une suite de collines qui lui permettaient de couvrir la ville et de rester maître du haut Adige. Charles-Albert attaqua, le 6 mai au matin, aimant mieux aller droit à l’ennemi, le petit village de Santa-Lucia situé à l’extrémité sud-ouest de cette ligne, pour couper les Autrichiens de la ville ou les y rejeter en partie. La position des Autrichiens était bonne, défendue par cinq mille hommes, et le village de difficile accès, à cause des bois d’oliviers et des jardins entourés de murs qui le rendaient aisé à défendre. Le dixième bataillon de chasseurs et un bataillon de grenadiers de l’armée italienne y firent bravement leurs preuves; le duc de Savoie, héritier présomptif du roi, Victor-Emmanuel, les menait intrépidement au feu. Après un combat de trois heures, ils s’emparèrent du cimetière et arrivèrent au centre du village. Radetzki envoya d’abord pour le reprendre des secours pris de la forteresse; ceux-ci n’ayant pas suffi, il engagea toute son infanterie disponible. Celle-ci regagna tout le terrain perdu, et, le soir, à quatre heures, Charles-Albert était obligé de donner le signal