La gouvernante avait le cœur trop haut placé pour se rendre coupable d’une pareille bassesse. Elle trouvait Geneviève ce qu’elle était, une délicieuse petite fille; et elle trouvait aussi que la plupart des défauts que Mme de Béyanes lui reprochait n’existaient que dans son imagination de belle-mère sévère et injuste.
La raison de Mlle Smith ne pouvait, par exemple, lui faire admettre comme chose sérieuse la coquetterie d’une enfant de huit ans. Elle .trouvait que le mot n’aurait même jamais dû être prononcé devant Geneviève, de peur de faire travailler son esprit à deviner ce qu’il voulait dire et la coquetterie était tout bas, bien entendu, le grief du moment.
M. Hartmann avait un fils. Le comte l’avait engagé à l’amener avec lui, et naturellement il lui avait fait un accueil tout paternel; la comtesse avait renchéri. Geneviève aussi se montra aimable et prévenante avec le jeune Axel Hartmann, comme elle l’était avec tout le monde. Elle était séduisante, elle était adorable, même avec les petits pauvres; elle donnait avec tant de gentillesse qu’ils avaient autant de satisfaction à la voir et à l’entendre qu’à recevoir son aumône.
Axel était un joli garçon de douze ans, blond, frais, joufflu, ayant encore une timidité de fille. Son père le faisait travailler auprès de lui et dirigeait ses études. Quelquefois, le dimanche, il venait jouer et goûter avec Geneviève. La comtesse qui avait elle-même arrangé ces goûters, s’y opposa tout à coup.
Elle prit des airs de réticence et de componction, et assura qu’elle trouvait les plus sérieux inconvénients à ce que les enfants se vissent aussi librement.
Les jeux, les goûters, les promenades auxquels Mlle Smith présidait toujours furent donc interdits. La gouvernante se trouva blessée sans le laisser voir.
Geneviève réclama. Axel s’affligea.
M. Hartmann, afin de mettre fin à cette situation délicate, avança le moment fixé par lui pour le départ d’Axel. Il l’envoya en Allemagne pour y achever de s’instruire.
Mme de Béyanes était plus respectée qu’aimée par ce qui formait le personnel du château. Mais à la fabrique, il en allait autrement: on y subissait en plein l’influence de la petite pose.
Mlle Smith souffrait vivement de toutes ces tracasseries et des contraintes qui lui étaient imposées. La contention d’esprit que lui causait la nécessité de peser ses moindres paroles, de peur de les voir mal interprétées; l’obligation d’en référer pour beaucoup de choses graves, relatives à son élève, à une personne dont elle n’estimait point le caractère; l’impossibilité de risquer la moindre observation, même quand elle sentait que le devoir lui en faisait une loi; la dure nécessité de cacher à l’enfant la tendresse qu’elle lui portait, de peur d’exciter la jalousie de la belle-mère.
La nécessité non moins douloureuse de forcer la nature tendre et expansive de Geneviève à se contraindre, car Mme de Béyanes, qui ne voulait pas lui permettre de l’aimer, ne lui permettait pas de témoigner de l’affection à qui que ce fût, si ce n’est à son père et à sa sœur; et encore, si elle eût osé, elle aurait même interdit à Geneviève de montrer une aussi grande tendresse au comte. Toutes ces difficultés réunies firent prendre à l’institutrice la résolution de quitter le château.
En se promenant dans le parc, Mlle Smith cherchait comment elle ferait part de sa résolution au comte, quand elle le vit venir à elle. M. de Béyanes l’ayant aperçue, avait changé le but de sa promenade. Jamais il ne laissait passer l’occasion de lui faire comprendre combien il était touché du sincère intérêt qu’elle portait à sa fille.
Il se mit tout de suite à l’entretenir de Geneviève, de ses progrès, de la satisfaction qu’il en ressentait, de son aimable caractère, qui gagnait chaque jour par la réforme de certains défauts; il lui parla encore de ses projets pour l’avenir.
Le cœur du comte s’épanouissait en disant toutes ces choses qui l’intéressaient si vivement, et celui de la gouvernante, peu à peu, se réconfortait en l’écoutant. Le père, en lui témoignant sa déférence pour son opinion, en lui montrant combien elle comptait pour lui, la rattachait à la fille.
Insensiblement la résolution que Mlle Smith croyait si fermement arrêtée s’évanouit. Elle se mit à parler de Geneviève, de ce cœur d’enfant si bon, si tendre, de ce gentil esprit qui faisait la petite fille si charmante, et qui promettait de faire la jeune femme bien plus charmante encore, de ces qualités aimables qui se révélaient chaque jour.
Cependant elle connaissait aussi les côtés faibles du caractère de son élève, sa facilité à s’enthousiasmer, sa sensibilité excessive, sa susceptibilité, la violence de son premier mouvement et la rapidité avec laquelle la tête l’emportait sur la raison.
Elle lui dit tout ce qu’elle faisait pour la corriger, et elle reconnut que son plus puissant moyen était de s’adresser au cœur qui, chez Geneviève, était le grand redresseur de ses défauts.
M. de Béyanes, à son tour, écoutait avec le plus vif intérêt. C’était une si profonde satisfaction pour lui de voir sa chère Geneviève si bien comprise et si bien dirigée.
Le père et la gouvernante se séparèrent enchantés l’un de l’autre.
Le premier mouvement de Mlle Smith, en se retrouvant vis-à-vis d’elle-même, fut de se reprocher sévèrement la pensée qu’elle avait eue d’abandonner Geneviève; elle s’accusa de lâcheté, elle s’accusa d’avoir un moment méconnu son devoir. N’y avait-il pas dans la vie de l’enfant un côté si triste qu’il lui imposait de rester près d’elle, à tout prix, afin de la veiller et de la défendre au besoin.
Que deviendrait cette chère Geneviève, si une gouvernante nouvelle, par ignorance ou par une complaisance coupable, se laissait aller à complaire à la belle-mère? Mlle Smith pensa avec épouvante à la révolution funeste qu’un pareil changement pourrait opérer dans le moral de la chère petite, et elle se jura qu’aucune considération personnelle ne pourrait l’éloigner de son élève avant que la mission qu’elle avait acceptée fût remplie.
Le nom de la comtesse n’avait point été prononcé –pendant l’entretien que la gouvernante avait eu avec M. de Béyanes.
Ainsi que le sentait très-bien Mlle Smith, la belle-mère ne pouvait la souffrir. Elle la trouvait susceptible, dissimulée, compassée, arriérée, insupportablement arrêtée dans ses idées, triste et ennuyeuse au-delà du possible. Elle ne pouvait comprendre l’engouement de M. de Béyanes pour cette barre de fer, comme elle l’appelait, et elle s’était bien promis de ne pas lui confier Armande. Il y avait d’ailleurs entre ses deux filles, – petite pose, dont la force de l’habitude la faisait quelquefois user vis-à-vis d’elle-même, – une trop grande différence d’âge; ce serait un inconvénient pour les études. Ceci serait la raison à donner; mais en dehors de cette raison, elle avait fermement arrêté que sa fille aurait une gouvernante à elle.
Charlotte néanmoins traitait en public Mlle Smith avec de grands égards. Elle était d’une politesse irréprochable; elle lui faisait de nombreux cadeaux, et en public aussi elle lui prodiguait les compliments et les témoignages de sa considération. Mais elle ne l’admettait pas dans ses conseils, et, en particulier, elle lui prodiguait les contrariétés et les sous-entendus piquants,
Forte de ses nouvelles résolutions, la gouvernante ne s’attristait plus de rien, et se soumettait à tout avec une parfaite égalité de caractère.
Il lui en coûtait uniquement de s’obliger à être froide avec sa chère élève. Mais, forcée de paraître telle devant la comtesse, elle se fût trouvée répréhensible d’avoir,