Rosa. Élise de Pressensé. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Élise de Pressensé
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066331993
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ne veut rien écouter de ce que je lui dis pour la consoler, répondit Madame Darcy d’une voix qui exprimait le plus profond découragement.

      –Est-ce que je resterai des années sans revoir papa? demanda Rosa en levant sur Marthe des yeux qui interrogeaient avidement les siens.

      –Qui est-ce qui parle d’années? occupons-nous des jours qui passent vite quand on sait les remplir. Voici bientôt l’heure du dîner, et nous n’aurons rien fait. Il est temps que nous allions voir votre petite chambre qui est tout près de la mienne, et mettre un peu en ordre vos affaires.

      Cette diversion venait à propos. Rosa, qui avait d’ailleurs épuisé son chagrin à force de violence, se leva et suivit Marthe. Celle-ci, en passant devant la cuisine, lui montra la chatte grise couchée dans un panier, qui lui servait de lit, avec deux petits qu’elle avait mis au monde peu de temps auparavant.

      –Allez faire connaissance avec Grisette, lui dit-elle. Elle ne vous fera pas de mal. C’est la douceur même.

      Oubliant tout à la vue de cette intéressante famille, Rosa s’élança vers le panier, et pendant qu’elle jetait les bases d’une liaison intime avec ses habitants, Marthe rentra un instant dans la chambre de sa maîtresse.

      –Ecoutez, Madame, dit-elle, vous n’avez pas l’habitude des enfants. Laissez-moi le soin d’apprivoiser cette petite, ne vous en mêlez pas, vous gâteriez tout. Je vous promets que dans quelques jours elle se trouvera heureuse ici.

      –Je n’ai pas l’habitude des enfants, c’est vrai, dit Madame Darcy d’un ton un peu piqué; mais vous, Marthe, l’avez-vous plus que moi? Je ne sais vraiment où vous l’auriez prise?

      –Ni moi non plus, mais il y a des personnes, voyez-vous, qui ont le don de leur parler.

      Un moment après Madame Darcy eut l’idée d’aller voir comment les choses se passaient. Elle n’était pas encore au bas du petit escalier qu’un bruit de voix, des exclamations et même un joyeux éclat de rire vinrent frapper son oreille.

      –Eh bien, disait Marthe, la trouvez-vous jolie, cette petite chambre?

      –Oh! oui, je n’ai jamais eu de chambre pour moi toute seule. Je veux la tenir bien en ordre. Il faudra qu’il y ait toujours des fleurs comme à présent. C’est si joli, les fleurs!

      –Des fleurs, se dit Madame Darcy, où est-ce que Marthe a pris des fleurs? Ce ne peut pas être au jardin.

      Mais lorsqu’elle arriva sur le seuil de la chambre que Marthe avait cédée de si bonne grâce à la nouvelle arrivée, son étonnement fut bien plus grand. Elle ne l’avait jamais vue que sous l’aspect le moins agréable, car, dans un étroit espace, outre le lit, deux chaises, une commode, une grande armoire et une petite table surchargée d’objets de toute espèce, Marthe y avait entassé plusieurs caisses dont elle n’avait pas consenti à se séparer, bien qu’il eût été facile de leur trouver une autre place. Et maintenant c’était une jolie petite chambre, simple, proprette et tout à fait appropriée à l’âge de celle qui devait l’occuper. En face de la cheminée était une commode surmontée d’une petite glace, à côté de la fenêtre une table sur laquelle on voyait un beau rosier tout couvert de fleurs et de boutons. C’était une emplette que Marthe avait faite le matin de sa propre bourse. Elle était, de même que Rosa, fort occupée à défaire la malle et à ranger dans les tiroirs son contenu. Ni l’une ni l’autre ne s’aperçurent de l’arrivée de Madame Darcy.

      Lorsque tout fut en ordre, Marthe observa qu’il était temps de songer à son dîner, qui n’aurait pas eu l’obligeance de se faire tout seul.–Heureusement, ajouta-t-elle, que pour aujourd’hui il ne me prendra pas beaucoup de temps. Nous avons de la viande froide et je vais faire de la soupe et une omelette. Voulez-vous me casser mes œufs? je vous mettrai un grand tablier blanc afin que vous ne salissiez pas votre jolie robe de mérinos bleu.

      Les yeux de Rosa brillèrent de plaisir à cette proposition, et elle s’élança vers la porte où elle se trouva tout à coup arrêtée par la présence de sa tante. Madame Darcy se pencha vers elle avec bonté, et lui donna un baiser sur le front:

      –Je suis bien aise que votre chambre vous plaise, ma chère enfant. Ne pensez-vous pas que vous pourrez être heureuse avec nous, et ne voulez-vous pas tâcher d’être plus raisonnable que vous ne l’étiez en arrivant?

      –Oui, Madame, répondit Rosa tout bas et les yeux déjà remplis de larmes, car ces paroles lui rappelaient qu’elle était avec des étrangers.

      –Il ne faut plus m’appeler Madame; vous savez que je suis votre tante; appelez-moi ma tante. Ne le voulez-vous pas?

      –Oui, ma tante.

      Et cette fois l’enfant parlait plus bas encore que la première.

      –Eh bien, c’est convenu, et quand vous serez sage, vous serez ma chère petite fille que j’aimerai beaucoup.

      Ces paroles d’affection trouvèrent le chemin du cœur de Rosa qui se dressa sur la pointe des pieds et jeta ses bras autour du cou de la vieille dame.

      –Je vous aimerai aussi, lui dit-elle.

      Madame Darcy se sentit heureuse de ce témoignage spontané, car elle venait de comprendre qu’en aimant elle-même elle trouverait du retour.

      L’omelette réussit parfaitement. Rosa avait cassé les œufs; aussi lui parut-elle excellente, et elle prit pour elle tout l’honneur du succès. Les petits chats remplirent une partie de son après-midi, puis elle alla chercher sa tapisserie, et s’asseyant comme une personne très raisonnable à côté du fauteuil de sa tante, elle s’occupa activement de son travail, si attentive, si tranquille, que la bonne dame s’endormit comme cela lui arrivait souvent quand elle était seule.

      Rosa la regarda plusieurs fois, et, quand elle fut sûre que sa tante était réellement tombée dans un profond sommeil, elle jeta son ouvrage loin d’elle et se glissa tout doucement hors de la chambre.

      IV

      Où donc s’en allait ainsi notre petite aventurière? Elle ouvrit et referma si doucement la porte que le sommeil de la vieille dame n’en fut point troublé. Elle passa avec le même succès devant la cuisine, où Marthe, qui était occupée à polir une casserole avec autant de conscience que si c’eût été un ustensile d’argent, ne se retourna point au bruit léger de ses pas. Les yeux de Rosa brillaient comme des escarboucles. D’où leur venait donc cette étincelle? Etait-ce bien la même enfant qui la veille s’était endormie et réveillée dans les larmes, et qui le matin même repoussait toute consolation et sanglotait comme si son petit cœur eût été brisé? Sa nature était vivace, mobile, prompte aux sentiments violents, mais vite fatiguée des impressions pénibles, et revenant à la gaieté par une pente naturelle comme une branche que l’on a courbée et qui se redresse d’un élan en secouant autour d’elle une pluie de rosée. Active, remuante, elle était toujours pleine de projets, de désirs, d’inventions. Dans la maison paternelle on lui avait laissé faire tout ce qui lui plaisait; elle ignorait qu’il y eût au monde des devoirs difficiles à accomplir. Sa bonne et franche nature avait supporté mieux que d’autres ce régime dangereux, mais sa vivacité naturelle avait été redoublée par l’absence de tout frein salutaire. Pauvre petite hirondelle, dans quelle cage voulait-on l’enfermer? mais surtout pauvre Madame Darcy! Puisse son doux et paisible sommeil durer longtemps encore! Ses plus sombres prévisions n’avaient rien entrevu de pire que les tribulations qui l’attendaient. Peut-être avait-elle un peu oublié son enfance, mais ce qui est certain c’est qu’elle se figurait de bonne foi avoir toujours été soumise à la règle et docile à l’habitude comme elle l’était alors.

      Un rayon de soleil qui avait entr’ouvert les nuages, en tombant sur le canevas de Rosa, avait triomphé de ses bonnes résolutions de tranquillité et de travail, On était aux premiers jours du printemps. Les arbres commençaient à se feuiller, les violettes à fleurir. La porte