Je vous envoie l'espèce de protestation qu'il a faite à ce sujet: je l'ai reçue purement et simplement sans même lui en accuser la réception.
Il paraît qu'en traitant avec le Roi de France, l'empereur ne donnait point l'initiative: cela est pour ce prince d'une importance singulière; ses plénipotentiaires allèguent que le roi de Prusse agirait comme agira la France, et que l'empereur serait dégradé de son rang et déshonoré.
Comme l'empereur met à cela autant d'importance qu'au traité du Rhin, je vous prie de me marquer l'importance que vous y mettrez vous-mêmes.
Peut-être serait-ce une sottise de notre part d'insister sur une pure formalité qui nous maintiendrait en Europe au rang où nous étions, contre des avantages réels.
J'aimerais beaucoup mieux que l'on continuât à agir dans toutes les transactions comme a agi le roi de France, et ensuite, d'ici à deux ou trois ans, lorsque la circonstance se présentera de passer une transaction nécessaire à l'empereur, déclarer, au nom du corps législatif, que les peuples sont indépendans et égaux en droits; que la France reconnaît pour ses égaux tous les souverains qu'elle a conquis, et qu'elle n'en reconnaît point de supérieur. Cette manière de faire tomber une étiquette qui s'écroule d'elle-même par sa vétusté, me paraît plus digne de nous et surtout plus conforme à nos intérêts dans le moment actuel: car, s'il est prouvé que l'empereur veut plutôt persister dans cette étiquette, que de nous empêcher d'avoir deux ou trois villages, ce serait un mauvais calcul que de s'y refuser.
Je vous ai expédié hier, par un courrier d'occasion, la tournure que nous prétendions donner à la négociation: vous avez dû recevoir l'original, je vous en envoie une copie.
M. de Gallo est à la fois le favori de l'impératrice, de l'empereur et de Thugut, dont il est le vieil ami: il paraît jouir d'un grand crédit à Vienne.
Nous avons eu aujourd'hui la première conférence sur le traité définitif. Nous nous sommes résumés et nous sommes convenus d'écrire réciproquement pour présenter les projets suivans:
1°. La ligne du Rhin à la France; 2°. Salzbourg, Passau, à l'empereur; 3°. au roi de Prusse, l'équivalent du duché de Clèves en Allemagne, et, en cas qu'il ne voulût pas de cet arrangement, la restitution du duché de Clèves; 4°. le maintien du corps germanique, aux changemens ci-dessus près; 5°. la garantie réciproque desdits articles.
Pour l'Italie: 1°. Venise à l'empereur; 2°. Mantoue, Brescia, jusqu'à l'Adige, à la nouvelle république.
L'empereur paraît désirer des indemnités pour le duc de Modène: cela n'est pas facile à arranger, à moins qu'on ne lui donne et qu'il ne se contente de l'île de Zante.
Aucun de ces articles n'est convenu, et c'est seulement ce qui m'a paru le plus raisonnable de part et d'autre: c'est d'ailleurs dans ce sens que M. de Gallo a écrit à Vienne.
Dans quinze jours, la négociation prendra véritablement une tournure sérieuse; car jusqu'à cette heure le cabinet de Vienne a été conduit par un seul homme, qui paraît être fort peu habile, pas du tout prévoyant, et divaguant sur tout; il est même sans système, flottant au milieu des intrigues de toute l'Europe, et n'ayant, en dernière analyse, qu'une idée, que je crois de bonne foi, c'est de ne plus renouveler la guerre.
Il m'a paru aussi que c'était moins à nous accorder les limites du Rhin que l'on avait répugnance, qu'à faire aucun changement qui accrût la puissance du roi de Prusse, ou qui culbuterait entièrement le corps germanique.
Nous avons besoin: 1°. des articles secrets faits avec le roi de Prusse; 2°. de connaître si vous adoptez le système posé pour la limite du Rhin, c'est-à-dire le faire garantir par l'empereur; garantir le corps germanique, en lui accordant Salzbourg et Passau; offrir au roi de Prusse une compensation à ce qu'il a sur la rive gauche du Rhin, et même, s'il veut s'en servir de prétexte pour se fâcher, le lui restituer. Culbuter le corps d'Allemagne, c'est perdre l'avantage de la Belgique, de la limite du Rhin: car c'est mettre dix ou douze millions d'habitans dans la main de deux puissances dont nous nous soucions également.
Si le corps germanique n'existait pas, il faudrait le créer tout exprès pour nos convenances.
Approuvez-vous notre système pour l'Italie?
Venise, qui va en décadence depuis la découverte du cap de Bonne-Espérance et la naissance de Trieste et d'Ancône, peut difficilement survivre aux coups que nous venons de lui porter. Population inepte, lâche et nullement faite pour la liberté; sans terre, sans eau, il paraît naturel qu'elle soit laissée à ceux à qui nous donnons le continent.
Nous prendrons les vaisseaux, nous dépouillerons l'arsenal, nous enlèverons tous les canons, nous détruirons la banque, et nous garderons Corfou et Ancône. Le premier sera stipulé dans le traité; le second, que nous avons, devient tous les jours plus redoutable, et nous le conserverons jusqu'à ce que les nouvelles affaires de Rome nous le donnent sans retour.
On dira que l'empereur va devenir puissance maritime; mais il lui faudra bien des années, il dépensera beaucoup d'argent, ne sera jamais que du troisième ordre, et il aura effectivement diminué sa puissance.
Si l'on persiste, à Vienne, à s'en tenir aux préliminaires, alors nous réunirons tout en une seule république; en cas de guerre, nous filerons derrière le Pô par les états de Modène et de Ferrare; nous nous porterons à Venise, et nous attaquerons le Frioul et la Carinthie sans nous embarrasser ni de Mantoue, ni de l'Adige, ni de la Brenta.
Il me faudrait tous les décrets de la convention relatifs aux pays réunis. Je désirerais encore que vous m'envoyassiez en poste quelqu'un qui connût jusqu'aux villages et aux moindres circonstances des nouvelles frontières que nous accepterions, si l'on en adoptait d'autres que celle du Rhin.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Milan, le 7 prairial an 5 (26 mai 1797).
Au ministre des relations extérieures.
J'ai reçu, citoyen ministre, toutes les lettres que vous m'avez écrites; comme j'écris aujourd'hui au directoire sur l'objet qui regarde les négociations, je me dispense de vous répéter les mêmes détails. Je crois qu'il est très-essentiel que vous m'envoyiez les descriptions que vous avez fait faire du pays entre Meuse et Rhin; je demande aussi que vous m'envoyiez les traités secrets conclus avec le roi de Prusse.
Je crois qu'il faut que nous gardions l'île de Corfou, nous trouverons à avoir l'île d'Elbe, lors de l'héritage du pape, qui est moribond. Le Roi de Naples m'a même déjà fait faire des propositions d'arrangement: sa majesté ne voudrait avoir rien moins que la Marche d'Ancône; mais il faut bien se garder de donner un aussi bel accroissement à un prince aussi mal intentionné et si évidemment notre ennemi le plus acharné.
Je vous remercie, citoyen ministre, de la promotion de mon frère au ministère, à Rome.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Montebello, le 7 prairial an 5 (26 mai 1797).
Au général de division Gentili.
L'état-major a dû vous donner, citoyen général, des ordres pour vous rendre à Venise.
Le général Baraguay d'Hilliers mettra à votre disposition deux bataillons de la soixante-dix-neuvième demi-brigade, cinquante canonniers, quatre pièces de campagne, un officier du génie et cent cinquante mille cartouches.
Vous trouverez à Venise cinq frégates commandées par le citoyen Bourdet; vous vous embarquerez avec votre troupe sur ces frégates et sur quelques autres bâtimens de transport, s'il est nécessaire; et vous partirez le plus promptement et le plus secrètement possible, pour vous rendre à Corfou et vous emparer de tous les établissemens vénitiens au Levant.
Vous