Amitié amoureuse. Hermine Oudinot Lecomte du Noüy. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Hermine Oudinot Lecomte du Noüy
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066081638
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href="#ulink_e0802c06-96be-5eba-a6e6-a03544428a9e">Table des matières

      20 janvier.

      Moquez-vous, ironique! Ma nièce a bien raison de vous étiqueter le plus décevant d'entre tous ses flirts. Savez-vous qu'elle est un peu jalouse de vos fréquentes visites avenue Montaigne? Elle est venue me voir tout à l'heure «espérant vous rencontrer»; j'ai souri; la chatte aiguise, sans trop oser pourtant, sur la petite tante, ses fines griffes roses. Elle allait au cercle, patiner avec son père; elle aurait voulu vous trouver là et vous emmener.

      Quel cocasse amalgame elle faisait de son inquisition sur vous, d'une rage contre un pli malencontreux de sa jupe, d'un triomphe de son chapeau, tout cela mêlé de termes techniques empruntés à la solennité de ses débuts sur la glace, au cercle; ce mot prend, dans sa bouche, toute l'importance la plus select!

      D'ailleurs, cette lettre n'est pas pour vous dire cela, mais ceci: Mère me charge de vous inviter à dîner chez elle samedi. Viendrez-vous? Et serez-vous ce soir chez ma belle-sœur? Madame d'Aulnet et Suzon comptent sur vous... moi aussi.

       Philippe à Denise.

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      21 janvier.

      J'ai eu beau vous dire, hier, que j'acceptais avec enthousiasme l'invitation de votre chère mère, il me faut encore vous l'écrire pour avoir le prétexte de vous conter la joie ressentie de cette rencontre imprévue, au Bois, aujourd'hui.

      Vous veniez vers moi, légère, marchant vite, de ce pas rythmé que j'adore, blottie dans vos fourrures; vous ne me voyiez pas. Votre robe flottante s'est tout à coup collée sur votre corps gracile, par un caprice du vent. J'en ai été ému artistement, ma chère statuette, et plus troublé que par la nudité absolue.

      Voilà l'homme fort que je suis: quelques courbes ont sur mon imagination bien de la puissance et y sèment bien du désarroi. Rien n'est vulgaire qui me vient de vous. Vous êtes le réveil de mes énergies; vous peuplez ma vie de sensations. Et quelle jolie mine éveillée vous avez eue en me reconnaissant! Votre manière d'être timide et résolue m'enchante.

      Non, non, tous les plaisirs ne sont pas au-dessous de ce que l'imagination nous les fait; les miens sont vifs et pénétrants quand, de temps en temps, je m'oublie à savourer mes souvenirs. Et il ne faut ni me gronder, ni m'en vouloir quand, de loin en loin, je m'enhardis à vous envoyer ainsi la «joyeuse envolée des pensées...»

       Denise à Philippe.

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      22 janvier.

      «D'amour»... c'est bien ça, pas vrai? Oh! le poltron qui n'ose finir sa citation! Oh! le laid monsieur mon ami, que je surprends en flagrant délit de marivaudage! car vous marivaudez. Marivaux marivaudant sans le savoir, a là son excuse; mais vous, le sachant, n'en avez aucune; c'est une infériorité notoire. Ramagez d'autre sorte si vous voulez continuer de plaire à votre amie.

      Ma belle-mère m'offre sa loge à l'Opéra pour vendredi. Voulez-vous y venir? On y joue Sigurd. Germaine Dalvillers entre; elle accepte deux places pour elle et son mari. Serez-vous mon Mentor? Je vous quitte, elle bavarde, lit par-dessus mon épaule, je ne sais plus ce que je vous dis!

       Philippe à Denise.

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      23 janvier.

      Impossible, à mon très grand regret, madame mon amie. Une mission tombe sur ma nonchalance; plaignez-moi. Je dois aller à Bruxelles pour une conférence sur des choses fort techniques. Je vous prie en grâce de ne pas me faire vous les expliquer.

      Soyez bonne, écrivez-moi. Je m'engage à commencer.

       Philippe à Denise.

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      25 janvier.

      Déplorable, madame, ma première impression de voyage! Je n'avais pas eu le temps de dîner, en vous quittant, avant de prendre le train. A Compiègne, première station, je veux voir si je trouve au moins des cigares. Je commence par lutter un bout de temps contre la portière du wagon qui ne veut pas s'ouvrir. Enfin je saute sur le quai; mais à peine avais-je fait dix pas, voilà mon train qui se remet en marche. Je me précipite; une casquette galonnée me saisit par le bras—poliment, je dois le reconnaître—et me dit: «Monsieur, vous allez vous faire casser une jambe.» Je lui réponds: «Mon bon monsieur, laissez-moi remonter, je vous en supplie...» La casquette resserre son étreinte et le train fiche le camp de plus en plus, si j'ose m'exprimer ainsi.—«Mais, monsieur, c'est épouvantable ce qui m'arrive... Ma valise! Ma canne! mon sac de voyage! Ma couverture!»—La casquette, bienveillante, me conduit au bureau du télégraphe, et j'envoie une dépêche au chef de gare de Tergnier, (Tergnier est, paraît-il, la prochaine station), pour qu'il repince mes accessoires; je les reprendrai en passant.

      Conclusion: j'ai deux heures à tuer à Compiègne; je repartirai par le train de neuf heures quarante-sept et j'arriverai tranquillement à Bruxelles vers quatre heures du matin.

      J'ai commencé par dîner plutôt mal que bien à l'hôtel de Flandres. Puis, j'ai passé une demi-heure dans un café-concert à soldats, bondé d'artilleurs, où il y a des chanteurs extraordinaires, et qui s'appelle le café Jeanne d'Arc. Enfin j'ai pénétré dans l'intérieur de la ville et c'est du café de la Cloche, le plus chic de Compiègne, que je vous écris ce billet résigné. La remarque la plus profonde que j'aie faite jusqu'ici, c'est que cette ville est fertile en artilleurs. J'éprouve le besoin de me rendre cette justice que j'ai pris mon aventure avec une sérénité, un détachement, une patience, une douceur, éminemment philosophiques. Si je ne retrouve pas ma valise (tout arrive), je raconterai mon malheur aux bons Belges, et je ferai une conférence en veston, voilà tout. Mon voyage s'annonce bien, comme vous voyez. Mais ce début me donne droit à des compensations, et je les attends avec confiance.

      Adieu, chère madame mon amie. Je ne veux pas, cette fois, manquer mon train, et je n'ai que le temps de vous baiser les mains.

      PHILIPPE.

      Observations: Compiègne est traversé par un cours d'eau. Il y a un pont. Il y a aussi quelques becs de gaz dans les rues. La grande majorité des habitants est dans l'artillerie. La bière y est médiocre. J'ai entendu dire qu'il y avait un château. Il n'y a ni buffet ni cigares à la gare. On s'instruit en voyageant.

       Philippe à Denise.

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      26 janvier.

       Grand-Hôtel, boulevard Anspach.

      Suite de mes «impressions de voyage». Donc, j'ai repris, madame Nisette, le train de neuf heures quarante-sept à Compiègne. Mais on m'avait trompé en me disant que j'arriverais à Bruxelles à quatre heures du matin. J'ai dû attendre encore deux heures à Tergnier, port de mer de quatre mille âmes.

      Buffet modeste, où j'ai jeté les bases d'une amitié solide avec un employé