La Robe brodée d'argent. M. Maryan. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: M. Maryan
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066082529
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modernes, nos usages, qui sont sains et respectables, nos qualités physiques elles-mêmes, et, si je puis le dire, une part d'attachement à la religion. Le Breton qui aime son costume et ses habitudes n'émigrera pas vers les villes, où l'on perd trop souvent la santé et la foi. La Bretonne qui respecte les traditions de sa mère et conserve les atours chastes, des aïeules, sera moins vaniteuse, moins coquette et moins dépensière que d'autres. Et comme il souffle chez nous un vent dangereux de changement et de prétendu progrès, il est bon que les plus instruits et les plus riches donnent l'exemple. J'ai gardé à ce sol maints bras robustes parce que je cultive ma terre, et beaucoup de filles sont restées honnêtes et bonnes ménagères parce que mes nièces portent une coiffe et font leur beurre...

      Landry l'écoutait, intéressé. Le regard de Goulven reflétait des idées toutes semblables à celles de son père, et une joyeuse approbation se lisait sur le frais visage de Loïzik. Seule, Léna demeurait secrètement hostile, bien que le respect auquel elle était pliée ne lui permît pas de discuter les paroles de son oncle.

      —Ceux du pays, reprit le maire, posant sa lourde cuiller d'argent dans son assiette vide, parlent de m'envoyer quelque jour à la Chambre.... Et pourquoi pas, s'il n'y en a pas de meilleur? dit-il, regardant son hôte avec une expression de défi.

      Mais comme il ne vit sur la figure du jeune homme qu'une attention sympathique dénuée de surprise, il continua plus doucement:

      —Eh bien! si je vais jamais là-bas, ce sera avec ma veste et mon chapeau rond, comme mon vieil ami Soubigou, qui siégea des années dans notre costume, et qui fut respecté de tous. Je leur montrerai, moi aussi, qu'un vrai Breton reste immuable, et que non seulement ses principes et ses idées, mais encore les sages coutumes qu'il tient de ses pères sont comme le granit de son sol....

      —J'admire de tout mon cœur cette fidélité! s'écria Landry, et je fais des vœux pour qu'on voie de nouveau le costume breton sous les voûtes du Palais-Bourbon... Je le souhaite d'autant plus, qu'un homme de votre valeur trouverait dans une situation législative des objets et des occupations mieux en rapport avec son éducation et son intelligence....

      —Que dites-vous là? s'écria brusquement le maire. Croyez-vous donc que l'agriculture n'offre pas un aliment suffisant à l'activité et à l'intelligence? Améliorer ce sol, atténuer la pauvreté de cette race, lui conserver ses forces vives, c'est un but, cela, et digne d'un homme!

      —Oh! certes! répliqua Landry, de plus en plus intéressé par la sphère inconnue qui lui était révélée. Mais, même au point de vue du bien à faire, votre cadre n'est-il point restreint? Les soins domestiques, par exemple, suffisent-ils toujours aux aspirations des jeunes femmes et des jeunes filles élevées comme celles des villes?

      Un sourire paisible errait sur les lèvres de Loïzik, qui échangea un regard avec Goulven, tandis que Léna baissait les yeux.

      —Mon jeune Monsieur, dit le vieux paysan avec la même brusquerie, nous ne sommes pas en ce monde pour satisfaire les fantaisies de notre imagination, mais tout simplement pour servir Dieu. Or, on le sert surtout là où il vous a placé. Sauf certaines exceptions, il est bon, il est sage de rester à l'endroit que la Providence a choisi pour nous. On ne transplante guère les arbres sans dommage; le sol qui nourrit les chênes n'est pas clément aux palmiers, ni les climats exotiques aux bruyères. Il y a partout du bien à faire; l'âme d'un paysan vaut celle d'un prince ou d'un savant, et Dieu même a enseigné que ce que l'on fait «à l'un de ces petits» est fait à lui-même.... Mais je vais vous ennuyer de mes théories.... Quand je parle de mon pays, je radote un peu.... Si ce n'est pas indiscret de vous le demander, dites-nous ce que vous faites, et où vous habitez.

      Landry sourit, et répondit de bonne grâce qu'il habitait Paris, avec une mère veuve dont il était l'unique fils; qu'il venait de faire son service militaire, et qu'il allait achever son doctorat, puis se faire inscrire au barreau. Ceci lui attira une spéciale sympathie de la part du maire, qui gardait de sa race maternelle un respect marqué pour les hommes de loi.

      La conversation prit ensuite un tour général, Landry s'émerveilla de voir ces deux hommes au courant de la politique, des plus récentes découvertes scientifiques, des publications sérieuses.

      L'enthousiasme, auquel sa nature était prédisposée, s'éveillait en lui. Il admirait ces vies cachées, mais utiles, fertilisantes, ces intelligences un peu frustes qui, enchaînées à un labeur modeste, ne se désintéressaient point de ce qui touchait l'humanité. Il trouvait superbes cet attachement au sol, ce mépris de l'opinion, cette fidélité à d'antiques et respectables coutumes, et il se proposait de faire partager son enthousiasme à son ami Séverin, et même à sa mère, demeurée facile à émouvoir.

      Dans son admiration exaltée, il pensait que M. de Coatlanguy et son fils étaient certes les égaux, en intelligence, des gens qu'il avait fréquentés jusque-là, et qu'ils les dépassaient en valeur morale. Et combien Loïzik et Léna, différaient des jeunes filles banales, toutes pareilles en apparence, un peu émancipées, un peu fin de siècle, qu'il rencontrait à Paris! Cette réserve, cette gravité le charmaient, et les paroles rares, mais pleines de sens qu'il les avait entendues prononcer, lui donnaient l'idée de facultés développées par la solitude et la réflexion.

      L'excitation de ces pensées ne lui permettait évidemment pas de se rendre compte qu'il venait de passer quinze ou vingt jours sans communications intellectuelles, et que la reprise de ses relations avec le monde civilisé, ce monde fût-il tout petit, devait lui paraître doublement agréable. Il était porté—et c'était naturel,—à s'exagérer le charme de sa découverte. Enfin le cadre, le costume, les habitudes des Coatlanguy mettaient en lumières leurs qualités très réelles, et leur donnaient une note de pittoresque et d'inattendu. Landry ne songeait pas à se demander si, transportés hors de leur milieu et privés de cet entourage spécial qui leur prêtait son charme et sa rude poésie, ils lui auraient paru aussi remarquables.

      Rencontrés dans un salon, ne les aurait-il pas trouvés rustiques, brusques, dépourvus de la distinction convenue que donne seule l'habitude d'un certain monde? Encore une fois, il était sans arrière-pensée, tout à la joie de sa découverte en pleine Bretagne sauvage.

       Table des matières

      Après le dîner de midi, le maire le condamna au repos pour le reste de la journée, et fit descendre du grenier dans le salon un vieux canapé aux pieds fragiles, revêtu d'un brocart usé jusqu'à la corde. On lui apporta d'autres livres de prix, une histoire de la Vendée, deux ou trois journaux datant de plusieurs jours; puis les jeunes filles, prenant un ouvrage de couture, s'installèrent près de la fenêtre, laissant grande ouverte la porte de la salle et celle de la cuisine, pour surveiller Marianna qui avait des tendances à s'endormir trop près du feu.

      Naturellement les livres ne furent pas ouverts, et quand Landry eut jeté un coup d'œil languissant sur les journaux, il trouva délicieux de causer avec les deux cousines.

      Il ressentait maintenant un certain bien-être, malgré sa fatigue; mais le calme qui l'enveloppait était vraiment reposant. Le soleil avait tourné autour de la maison, et c'était du côté du jardin qu'il éclairait maintenant la chambre soudain égayée. De grandes plaques de lumières luisaient sur les bahuts de chêne noir, un rayon rempli d'atomes dansants tremblait sur le vieux plancher; devant la fenêtre ouverte, une branche de passiflore se balançait lentement, et Landry se surprenait épiant l'apparition de la grande fleur violette qui s'abaissait par instants dans le cadre de pierre. Au loin, par-delà les pommiers noueux et les carrés de légumes, le sol remontait en pente douce, d'abord tapissé de champs qui ressemblaient aux carrés d'un échiquier, puis prenant les teintes brunes de la bruyère fanée. Plus loin encore, la chaîne aux cimes rondes et lourdes s'estompait dans un brouillard doré. Et sur tout cela un grand silence planait, mais ce silence frémissant et mystérieux qui recèle la vie.

      Évidemment, les nièces du maire vivaient dans un grand isolement. Le manoir