IRÈNE. Selon vous ?
LE DOCTEUR. Mais comment ?
IRÈNE. (À travers des larmes.) Et vous osez demander comment ? Vous m’aviez fait très bonne impression, mieux encore, vous m’aviez plu. Il m’avait même semblé que vous aussi étiez, en quelque mesure, bien disposée à mon égard… Je suis venue vers vous le cœur à découvert, et comment suis-je reçue en fait ? Avec froideur, méfiance, soumise à un interrogatoire humiliant… (Elle sanglote.)
LE DOCTEUR. Calmez-vous…
IRÈNE. Laissez-moi partir.
LE DOCTEUR. (La retenant.) Vous ne connaissez pas toutes les circonstances. Le fait est qu’en votre absence est venue… C’est sans importance.
IRÈNE. Qui est venu ? Une autre femme ?
LE DOCTEUR garde le silence, troublé.
Et elle aussi a dit qu’elle était sa femme ?
LE DOCTEUR. Oui.
IRÈNE. Et alors ? Ne me dites pas que vous l’avez crue ? Arrivez-vous à tenir un compte des fous qui viennent vous voir ?
LE DOCTEUR. Oui mais voilà, Michel l’a reconnue comme étant sa femme.
IRÈNE. Vous ignorez qu’il n’a pas de mémoire ? Et puis, est-elle vraiment venue ?
LE DOCTEUR. Oui, bien sûr.
IRÈNE. (Elle s’approche de la porte et appelle Michel.) Chéri, viens.
Entre MICHEL.
Dis-moi, est-ce qu’une femme est venue ici en mon absence ?
MICHEL. (Le plus tranquillement du monde.) Je n’ai vu personne.
IRÈNE. A-t-elle dit qu’elle était ta femme ?
MICHEL. Comment aurait-elle pu le dire, si elle n’est pas du tout venue ?
IRÈNE. Et toi, tu as dit qu’elle était ta femme ?
MICHEL Je n’ai que toi au monde, et tu le sais très bien. (Il l’embrasse.)
IRÈNE. Merci, chéri. (Au docteur.) Eh bien, me croyez-vous maintenant ?
LE DOCTEUR. Je ne sais pas quoi penser… d’ailleurs, il y a encore une circonstance… Outre la femme, un homme aussi est venu…
IRÈNE. Et alors ?
LE DOCTEUR. Il a affirmé qu’il… qu’il était votre mari.
IRÈNE. Mon mari ? (Elle rit bruyamment.) Mon Dieu, quel dur métier que celui de psychiatre ! Qui ne voyez-vous pas défiler ! (Elle continue de rire.)
LE DOCTEUR. Je ne vois pas ce qu’il y a de risible.
IRÈNE. Mais le voici, mon mari, là, devant vous ! Il vous faut d’autres preuves ? Qu’à cela ne tienne. (À Michel.) Chéri, ôte ta chemise et montre au docteur ton grain de beauté sous ton omoplate gauche.
MICHEL, obéissant, ôte sa chemise. LE DOCTEUR examine le grain de beauté. IRÈNE s’adresse au DOCTEUR.
Vous en êtes-vous convaincu ?
MICHEL. Docteur, ce grain de beauté n’est-il pas dangereux ?
LE DOCTEUR. Non.
MICHEL. (S’accrochant.) Malgré tout, je vous demanderai de me l’enlever. Je crains qu’il dégénère en une tumeur maligne.
LE DOCTEUR. Je vous assure qu’elle est inoffensive. Et de plus, je ne suis pas chirurgien.
MICHEL. Êtes-vous urologue ? Ça tombe bien, j’ai justement de gros problèmes de ce côté-là. Je vais vous montrer… (Il porte la main à la ceinture.)
LE DOCTEUR. Ce n’est pas la peine !
MICHEL. Je vous montre, quand même. Puisque vous êtes urologue…
IRÈNE. (L’interrompant.) Merci, chéri, ce n’est pas la peine. Attends-moi, s’il te plaît, dans la salle d’attente. Mais ne t’en va pas. (Avec insistance.) Tu as retenu ? Ne t’en va pas. Nous n’allons pas tarder à rentrer à la maison ensemble.
MICHEL sort.
LE DOCTEUR. Excusez-moi, si je me suis permis de douter de vous. Je dois l’avouer, cet homme m’a fait perdre le sens.
IRÈNE. Mais vous êtes certain qu’il est vraiment venu ?
LE DOCTEUR. Que signifie « certain » ? Bien sûr, qu’il est venu ! (Déconcerté.) Ou il n’est pas venu ? Bon, admettons, qu’il soit, comme vous dites, fou. Mais la femme m’a montré ses papiers d’identité, alors que vous, excusez-moi, je ne sais même pas comment vous vous appelez.
IRÈNE. Comment ça, vous ne savez pas ? Pas plus tard que ce matin, vous m’avez téléphoné deux fois en m’appelant Irène.
LE DOCTEUR. (Au bout du rouleau.) Ah ! oui, c’est vrai… J’avais oublié…
Pendant ce temps, IRÈNE range son mouchoir, prend son poudrier et se refait une beauté. Rangeant le poudrier dans son sac, elle pousse un cri de joie.
IRÈNE. Oh ! Finalement, j’ai un document. Et en plus avec photo. Mon permis de conduire. Tenez, regardez, je vous prie.
LE DOCTEUR. Pas la peine, je vous crois.
IRÈNE. Là, vous me croyez, mais dans cinq minutes vous cesserez à nouveau de me croire. Comme tous les hommes. Regardez, quand même.
LE DOCTEUR prend le permis à contrecœur.
Que lisez-vous ?
LE DOCTEUR. « Irène Grelot ».
IRÈNE. Tout est en règle ?
LE DOCTEUR. Oui.
LE DOCTEUR rend le document à IRÈNE. Elle le fait disparaître dans son sac et en prend des photographies.
IRÈNE. Mon mari vous a-t-il dit que nous étions à la même école ?
LE DOCTEUR. Quel mari ? Michel ? Oui.
IRÈNE. Tenez, regardez, comment nous étions, enfants. Rigolos, n’est-ce pas ?
LE DOCTEUR. Vous n’avez pas beaucoup changé.
IRÈNE. Merci. Et là, nous sommes déjà adultes.
LE DOCTEUR. C’est sûrement peu de temps avant le mariage ?
IRÈNE. Oui.
LE DOCTEUR. Comme vous êtes belle ici !
IRÈNE. (Coquette.) Vous voulez dire que maintenant je ne le suis plus ?
LE DOCTEUR. Maintenant, vous l’êtes encore plus.
IRÈNE. Merci. (Faisant disparaître les photographies.) Je vois que vous êtes un homme à femmes. Je ne sais pas si une femme est venue ici, mais ce dont je suis sûre, c’est que vous l’avez invitée à dîner.
LE DOCTEUR. Je vous jure que je n’ai invité personne ! Et, en gros, personne n’est venu ! (Perplexe.) Ou il est venu quelqu’un ? Maudite mémoire… (Il se verse à nouveau une dose de gouttes.)
IRÈNE. (Elle lui confisque la fiole.) Cessez de prendre des gouttes. Avez-vous un alcool ?
LE DOCTEUR. Je dois avoir une bouteille de cognac.
IRÈNE. Eh bien, buvez double dose. Ça aide instantanément.
LE DOCTEUR. Nous allons vérifier. (Il ouvre le bar.) Oui, j’en ai ! (Il prend une bouteille.) Vous m’accompagnez ?
IRÈNE. Buvez, vous dis-je, l’effet est instantané.
LE DOCTEUR. Nous allons vérifier. (Il ouvre le bar.) J’ai beaucoup de cognac. (La mine réjouie.)