Cadio. George Sand. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: George Sand
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066082918
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      LE CAPITAINE. Tâchez de le confesser.

      HENRI, (à Cadio.) Combien as-tu déjà tué de bleus pour contenter Dieu ou le diable?

      CADIO. Tuer? moi? Jamais! je ne saurais pas.

      HENRI. Tu avoues pourtant que ta croyance te le commande.

      CADIO. Oui; mais je suis mauvais chrétien, et je n'ai pu obéir.

      HENRI. Pourquoi?

      CADIO. Je suis poltron.

      HENRI. Tu t'en vantes? Je ne te crois pas. Ton nom?

      CADIO. Cadio.

      HENRI. C'est ton nom de famille?

      CADIO. De famille? Je n'en ai pas.

      HENRI. Tu es un champi?

      CADIO. Il faut croire.

      HENRI. Tu as un sobriquet?

      CADIO. Carnac.

      HENRI. Tu es de ce pays-là?

      CADIO. Je ne sais pas. On m'a trouvé dans les géantes.

      LE CAPITAINE. Qu'est-ce que ça veut dire?

      CADIO. Ça veut dire les grandes pierres, pas loin de la baie de Quiberon, au pays des anciens hommes qui dressaient sur tranche des pierres plus grosses que des tours.

      HENRI. Qui t'a élevé?

      CADIO. Personne et tout le monde.

      HENRI. Mais qui t'a enseigné le français et le latin?

      CADIO. Les moines du couvent. J'allais chez eux chanter au lutrin. J'aurais voulu savoir la musique. Ils ne la savaient pas et voulaient me faire moine. Ils m'avaient déjà coupé les cheveux, et, comme je m'en allais souvent seul dans la lande pour jouer d'un méchant pipeau que je m'étais fabriqué, ils ont prétendu que je me donnais au diable. Ce n'était pas vrai; mais, à force de me le dire, ils me l'ont mis dans la tête, et le diable s'est mis à me tourmenter; je m'en suis confessé. Alors, ils m'ont fait jeûner et souffrir dans le caveau des morts. C'est pourquoi je me suis sauvé du couvent et du pays.

      LE CAPITAINE. Qu'es-tu devenu, alors?

      CADIO. J'ai tâché de gagner ma vie en faisant danser le monde avec mon pipeau, et j'ai passé bien des journées sans manger, afin de pouvoir m'acheter un biniou!

      HENRI. Qu'as-tu à pleurer?

      CADIO. Vos soldats me l'ont pris.

      LE CAPITAINE, (bas, à Henri.) Il ne paraît pas se douter qu'il puisse lui arriver pire. Continuez à le questionner.

      HENRI. Pourquoi as-tu quitté la Bretagne?

      CADIO. Je ne pouvais plus y rester. Comme j'avais la tête rasée, on courait après moi dans les villages en m'appelant renégat. Alors, j'ai été devant moi au hasard, et, un jour, les brigands m'ont pris--du côté d'ici. Ils m'ont mis dans la main une quenouille, et ils m'ont amené dans ce château où nous voilà, en me disant: «Donne ça au vieux seigneur qui est là, devant toi.»

      HENRI. A M. de Sauvières, une quenouille?

      CADIO. Oui. Ça l'a fâché! Moi, je ne savais pas pourquoi; on me l'a expliqué ensuite.

      HENRI. Il y a de cela trois mois?

      CADIO. A peu près quatre.

      HENRI. Et, comme cette offense a décidé M. de Sauvières à suivre les brigands, tu les as suivis aussi?

      CADIO. Ils m'y ont obligé.

      HENRI. Malgré toi?

      CADIO. Malgré moi d'abord. Et puis elle m'a dit: «On ne danse plus, Cadio. Tu vas mourir de faim, reste avec nous; tu sonneras ta cornemuse à l'élévation, quand nos bons prêtres nous diront la vraie messe dans les champs.»

      HENRI. Qui t'a dit cela?

      CADIO. Elle!

      HENRI. La demoiselle de Sauvières? (Cadio fait signe que oui.) Tu la connais? Parle-moi d'elle! Où est-elle à présent? (Cadio secoue la tête.) Tu ne sais pas, ou tu ne veux pas dire?

      CADIO. Je ne veux pas.

      HENRI. Je suis son parent et son ami.

      CADIO. Ça ne se peut pas.

      HENRI. Tu peux me dire au moins si elle est en lieu sûr; c'est tout ce que je désire.

      CADIO. Je ne dirai rien.

      HENRI. Nous diras-tu depuis combien de temps tu l'as quittée?

      CADIO. Non.

      HENRI. Eh bien, ne le dis pas; mais apprends-moi si son amie, mademoiselle Hoche, est toujours auprès d'elle...

      CADIO. Cela ne vous regarde pas.

      HENRI. Que viens-tu faire ici?

      CADIO. Je ne veux pas le dire.

      HENRI. Avec qui es-tu venu de l'armée catholique?

      CADIO. Je ne dirai plus rien.

      HENRI. Alors, tu es un espion.

      CADIO. Moi? Jamais!

      LE CAPITAINE. Il faut pourtant nous expliquer votre présence, ou vous allez être fusillé dans cinq minutes.

      CADIO, (tombant sur ses genoux.) Fusillé, moi? Ah! bon saint Cornéli, bon saint Maxire et bon saint Loup, sauvez-moi de la mort! Me fusiller! Un prêtre au moins, un prêtre! Laissez-moi racheter ma pauvre âme!

      HENRI. Tu tiens donc bien à vive?

      CADIO. Hélas! ma vie est bien mauvaise. Je suis un maudit, un rebut, une famine, une guenille, vous voyez! Dieu et les saints ne veulent plus de moi; mais je ferai pénitence. Laissez-moi vivre pour me repentir!

      HENRI. Parle, et on te laissera vivre.

      CADIO, (se relevant.) Tuez-moi, je ne parlerai pas.

      LE CAPITAINE, (qui a été appeler Motus.) Prends-moi ce gaillard-là, et quinze balles dans la poitrine. (L'arrêtant et lui parlant bas.) N'y touche pas, c'est pour voir.

      MOTUS, affectant un air terrible. On est prêt, mon Capitaine!

      CADIO. Une grâce, messieurs les bleus! Laissez-moi jouer un air de biniou avant de mourir! C'est ma prière, à moi!

      MOTUS. Ou ton signal pour appeler les autres brigands? Dis donc, blanc-bec, on n'est pas dupe comme ça dans les bleus!

      CADIO. Vous me refusez ça? Allons! la volonté de Dieu soit faite! Bandez-moi les yeux que je ne voie pas les fusils! Oh! les fusils!... Bandez-moi les yeux!

      LE CAPITAINE, (à Henri.) Singulier mélange de peur et de courage! (A Motus.) Bande-lui les yeux.

      CADIO, les yeux bandés, à genoux. O mon bon Dieu du ciel, me ferez-vous grâce? Je n'ai ni trahi ni menti! Je n'ai pas voulu tuer, on me tue! Prenez ma vie en expiation de ma peur! Adieu, mon biniou et les beaux airs de ma musique! adieu, les grands bois et les grandes bruyères! adieu, les étoiles de la nuit, le bruit des ruisseaux et du vent dans les feuilles! Je ne verrai plus la belle plage et les grosses pierres de Carnac, où je cueillais des gentianes bleues comme la mer!

      HENRI, (au capitaine.) Artiste et poëte!

      LE CAPITAINE. Hélas! oui, mais fanatique et espion!

      HENRI, (à part, triste.) Au service de mon oncle probablement!

      LE CAPITAINE. Voyons, essayons encore. (A Motus un signe d'intelligence. Motus arme sa carabine. Cadio frissonne et tombe la face contre terre.)

      HENRI, (s'approchant de lui.) Parleras-tu? Il est temps encore.

      CADIO. Parler? Jamais! Tuez-moi... Dieu m'a pardonné, je sens ça dans mon coeur, me voilà en état