Cadio. George Sand. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: George Sand
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066082918
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position, la surveillance est de rigueur.

      REBEC. Vous avez raison, commandant! Buvons pour nous réchauffer. Avec ce bon vin-là, on ne craint pas les surprises. Ça vous enflamme le coeur... J'ai envie de chanter!

      CHAILLAC. Chantez, monsieur le gardien du séquestre, chantez! Chantez-nous la prise de la Bastille.

      REBEC. Justement, c'était mon idée! (Il chante sur l'air O ma tendre musette.)

      Où nous devions périr,

      Sans un trait admirable

      Fait pour nous secourir!

      Des fastes de l'histoire

      Tu seras l'ornement.

      France, chante victoire.

      En cet heureux moment.

      (Les deux autres reprennent le refrain.)

      Éli, rempli de zèle,

      Brave officier français!

      La couronne immortelle

      Est due à ton succès.

      Au bout de ton épée

      Conserve cet écrit

      Qui fait ta renommée

      Que chacun applaudit.

      Cette affreuse Bastille

      N'existe déjà plus.

      D'ardeur chacun pétille...

      Permettez,... j'oublie!

      Fuis, honteux esclavage...

      MOUCHON, (bâillant.) Ah bah! compère, tu t'embrouilles et tu chantes faux! Et puis la prise de la Bastille, c'est vieux! On a dépassé tout ça!

      CHAILLAC. Permettez, permettez, citoyen Mouchon. Dépasser la prise de la Bastille n'est pas aisé. Il n'y a rien de si grand dans l'histoire!

      MOUCHON. Je ne veux pas vous dire non, vous en étiez.

      REBEC. Oui, il en était, lui, et je porte la santé d'Harmodius Chaillac, ci-devant vainqueur de la Bastille!

      CHAILLAC. Comment ci-devant? ci-devant vous-même!

      REBEC. Pardonnez, j'ai la langue un peu épaisse. Je dis le brave Chaillac, vainqueur de la ci-devant Bastille et commandant actuel de l'héroïque garde nationale de Puy-la-Guerche, élu sur le champ de bataille, il y a quatre mois, en remplacement du traître Sauvières, passé à l'ennemi. En voilà, des titres de gloire!

      CHAILLAC, (trinquant.) Merci; à la vôtre! Mais la modestie me force à dire que la défense de Puy-la-Guerche n'est pas un fait d'armes comparable à la prise de la Bastille, et que, si M. Sauvières, le ci-devant comte, ne se fût interposé entre nous et les royalistes...

      MOUCHON, aviné. Et moi, je vous dis... je vous dis que si! La Bastille, c'était la Bastille. Y avait du monde, y avait tout Paris pour prendre ça, tandis que notre ville, nous n'étions pas seulement deux cents hommes armés contre des mille et des mille brigands!

      CHAILLAC. Vous n'en savez rien. Vous n'y étiez pas!

      MOUCHON. Je n'y étais pas, je n'y étais pas... Ça vous plaît à dire!

      REBEC. Allons, compère Mouchon, faut pas tergiverser; nous n'y étions pas!

      CHAILLAC. Vous étiez ici avec bien d'autres, et vous vous cachiez!

      REBEC. Comme des imbéciles que nous sommes,--que nous étions! pensant que le Sauvières était pour nous, tandis que l'oppresseur nous tenait dans les fers et nous livrait aux sicaires royalistes.

      CHAILLAC. Il ne faut rien exagérer, c'est inutile. Le citoyen Sauvières n'était pas oppresseur, et il ne vous a pas livrés, puisqu'on vous a retrouvés ici sains et saufs le lendemain de la chasse que nous avons donnée à l'avant garde de Saint-Gueltas!

      MOUCHON. Grande action, action sublime, commandant Chaillac, et qui burine votre nom au frontispice de la renommée!

      CHAILLAC. Oui, oui, vous me flattez pour que je ne vous reproche pas votre couardise! Si vous aviez eu un peu de coeur au ventre, ce jour-là, on n'aurait pas massacré sous vos yeux ce malheureux Le Moreau.

      REBEC. Commandant, les portes étaient fermées entre nous et ce forfait exécrable.

      CHAILLAC. Il fallait les enfoncer! Celles de la Bastille étaient plus solides! Pauvre municipal! un homme de coeur, celui-là, et qui parlait bien!

      REBEC. Un peu emphatique.

      MOUCHON. Ah! il était empha... Comment dites-vous?

      REBEC. Je maintiens le mot, il s'écoutait parler, c'était son défaut! Il aura fait des phrases au vieux Sauvières,--ça l'aura ennuyé...

      CHAILLAC. Qu'est-ce que vous dites donc? Vous donneriez à penser que Sauvières a ordonné sa mort?

      REBEC. Dame! est-ce que les aristocrates ne sont pas capables de tout?

      CHAILLAC. Vous ne savez pas ce que vous dites! On a trouvé les deux assassins enchaînés dans le cachot de la tour neuve avec cet écriteau: «Sauvières abandonne ces deux criminels au châtiment qu'ils méritent.»

      REBEC. Très-bien! mais vous n'en avez fait fusiller qu'un; l'autre, un certain Tirefeuille, un coquin fini, a réussi à s'évader... Et quand on pense qu'un scélérat comme ça rôde peut-être encore dans les environs! Vous m'avouerez que ce n'est pas rassurant, la vie que nous menons ici, Mouchon et moi.

      CHAILLAC. Vous voilà bien malades d'être préposés à la garde de ce château! Vous y faites chère lie, car on n'a pas mis les scellés sur la cave, à ce que je vois.

      REBEC. Ni sur la volaille, heureusement! Encore un peu de ce tokay? il est gentil!

      CHAILLAC. Non, j'en ai assez. Je suis triste. Il me semble que je vois le sang de Le Moreau sur le pavé... et jusque sur la nappe!

      REBEC. Sacredieu! taisez-vous donc, commandant! Ça fait frémir, des paroles comme ça! Ah! oui, vous avez le vin triste, vous! (Il se lève.)

      MOUCHON, (qui écoute.) Chut!

      CHAILLAC. Quoi donc?

      MOUCHON. Vous n'avez rien entendu?

      REBEC. Si fait, j'entends!

      CHAILLAC. Qu'est-ce que vous entendez?

      MADELON, (qui est au fond.) C'est comme des cris et des gémissements!

      JAVOTTE. Eh non! c'est comme des cris de joie au loin.

      CHAILLAC, (au fond.) Êtes-vous bêtes! C'est une trompette à la porte du donjon. (Aux servantes.) Courez ouvrir! m'entendez-vous?

      REBEC. Mais un instant, un instant! Si c'est les brigands de Saint-Gueltas qui reviennent se venger! Vous n'avez pas avec vous la moindre escorte, et ici nous ne pouvons pas compter sur les habitants.

      CHAILLAC, (écoutant.) Soyez donc tranquille! C'est une sommation militaire en règle, et les brigands ne procèdent pas comme ça. Allons! c'est de la troupe, recevons-la fraternellement. Suivez-moi. (Aux servantes.) Éclairez-nous! (Il sort avec Mouchon et Madelon.)

      SCÈNE II.--REBEC et JAVOTTE.

      REBEC. Moi, je ne suis pas un héros du 14 juillet, ce n'est pas mon état. Ma mie Javotte, donne-moi la clef.

      JAVOTTE. La clef de la cache? Je ne l'ai pas.

      REBEC. Si fait, je te l'ai confiée ce matin pour balayer. Donne donc! (Javotte