De nos jours, des dessins de la totalité de ces grandes scènes historiques, qui s'éclairent les unes par les autres, et surtout des copies exactes des inscriptions hiéroglyphiques qu'on y a mêlées en si grand nombre, acquerraient un prix infini et réaliseraient, sinon en totalité, du moins en très-grande partie, les hautes espérances qu'y rattachent les sciences historiques. Les notions positives sur le mécanisme de l'écriture hiéroglyphique sont assez avancées, et l'on a reconnu le sens d'un nombre de caractères assez considérable, pour retirer sur-le-champ, avec une certitude entière, les faits principaux et les plus précieux contenus dans ces bas-reliefs ou dans ces inscriptions, et tous les documents utiles qu'ils renferment; enfin, avec les connaissances nouvellement acquises sur les écritures de l'ancienne Égypte, un voyage entrepris maintenant sur cette terre classique, par un petit nombre de personnes bien préparées, produira incontestablement des résultats scientifiques tels qu'on eût en vain osé les espérer dans le temps même que l'Égypte, au pouvoir d'une armée française, était livrée aux recherches d'une foule de savants qui ont beaucoup fait pour les sciences physiques, naturelles et mathématiques, mais qui manquaient de l'instrument essentiel et indispensable pour exploiter convenablement la mine si riche de documents historiques que la fortune des armes livrait à leur examen. La France guerrière a fait connaître à fond l'Égypte moderne, sa constitution physique, ses productions naturelles, et les différents genres de monuments qui la couvrent: c'est aussi à la France, jouissant de la faveur de la paix, si propice au progrès des sciences et de la civilisation nouvelle, à recueillir les souvenirs gravés sur ces monuments témoins d'une civilisation primitive et des efforts progressifs des sciences sur une terre qui en fut le berceau: elles en sortirent pour éclairer l'Europe encore à demi sauvage lorsque l'Égypte était déjà déchue de sa première splendeur: l'Europe remontera donc ainsi vers ses plus antiques origines.
Après cet exposé sommaire des motifs généraux du voyage, il reste à indiquer l'ordre détaillé des travaux que doivent exécuter les personnes chargées de cette entreprise littéraire.
1° Visiter un à un tous les monuments antiques de style égyptien, en faire dessiner l'ensemble, et lever le plan du petit nombre de ceux que les voyageurs ont négligés ou n'ont point suffisamment étudiés.
2° Rechercher sur chaque temple les inscriptions dédicatoires donnant l'époque précise de leur fondation, et celles qui indiquent toujours l'époque où ont été exécutées les différentes parties de la décoration. C'est, en d'autres termes, recueillir les éléments positifs de l'histoire et de la chronologie de l'art en Égypte.
3° Copier avec soin, dans tous leurs détails et avec leurs couleurs propres, les images des différentes divinités auxquelles chaque temple était dédié. Recueillir les inscriptions religieuses relatives à ces divinités, et tous les titres divers qui leur sont donnés.
4° Copier surtout les tableaux mythologiques où plusieurs divinités sont mises en scène.
5° Dessiner les bas-reliefs représentant les diverses cérémonies religieuses, et tous les instruments de culte.
Ces divers travaux auront pour résultat de faire connaître à fond l'ensemble du culte égyptien, source de toutes les religions païennes de l'Occident, et serviront à démontrer les nombreux emprunts que la religion des Grecs fit à celle de l'Égypte. On terminera ainsi les dissidences qui partagent les savants sur une matière mise en discussion avant de posséder les éléments indispensables pour en éclaircir les difficultés.
6° Prendre, dans les temples, des calques exacts des figures représentant les divers souverains de l'Égypte, et avec tous les détails de costume, afin de former ainsi l'iconographie des rois et des reines; ces bas-reliefs, surtout ceux de l'époque la plus ancienne, offrant le portrait des Pharaons, de leurs femmes et de leurs enfants.
7° Rechercher dans les palais de Thèbes, d'Ahydos, de Sohleb, et dans tous les genres d'édifices, tous les bas-reliefs historiques; les dessiner avec soin, figures et légendes, et copier les longues inscriptions historiques qui les suivent ou les séparent.
8° Recueillir dans les palais et les tombeaux des rois tout ce qui se rapporte à la vie publique et privée des Pharaons.
9° Dessiner dans les catacombes de Thèbes ou des autres villes égyptiennes les tableaux et les inscriptions relatives à la vie civile des diverses classes de la nation, surtout ceux qui retracent les arts, les métiers et la vie intérieure des Égyptiens; faire le recueil des costumes des diverses castes, etc.
10° Copier les inscriptions votives, gravées sur la plate-forme des temples, sur les rochers environnants et dans les catacombes, toutes les fois que ces inscriptions porteront une date clairement exprimée.
11° Recueillir toutes les légendes royales, sculptées sur les édifices, avec leurs diverses variantes, et préciser le lieu où elles se lisent, pour déterminer ainsi l'ancienneté relative de chaque portion d'un même édifice, et l'état soit progressif, soit rétrograde de l'art.
12° Rechercher et faire dessiner avec soin tous les bas-reliefs et tableaux astronomiques, prendre les dates exprimées soit sur ces mêmes sculptures, soit dans leur voisinage, pour démontrer sans réplique l'époque assez récente de ces compositions, que l'esprit de système s'obstine encore, malgré des démonstrations palpables, à considérer comme remontant à des siècles fort antérieurs aux temps véritablement historiques. On fixera également ainsi l'opinion encore incertaine des savants à l'égard du point réel d'avancement auquel les Égyptiens avaient porté la science de l'astronomie.
13° On devra recueillir avec un soin scrupuleux tous les caractères hiéroglyphiques de formes différentes, en notant les couleurs de chacun d'eux, afin de former le tableau le plus approximativement complet qu'il sera possible de tous les caractères employés dans l'écriture sacrée des Égyptiens.
14° On dessinera toutes les inscriptions qui peuvent conduire soit à confirmer, soit à étendre nos connaissances, relativement à la langue et aux diverses écritures de l'ancienne Égypte.
15° Il est du plus pressant intérêt pour les études historiques et philologiques de chercher dans les ruines de l'Égypte des décrets bilingues, semblables à celui que porte la pierre de Rosette. Ces stèles existaient en très-grand nombre dans les temples égyptiens des trois ordres. Des fouilles seront donc dirigées dans l'enceinte de ces temples, pour découvrir de tels monuments, par le secours desquels le déchiffrement des textes hiéroglyphiques ferait un pas immense.
16° Le directeur du voyage ferait aussi exécuter des fouilles sur les points où il serait possible de rencontrer des monuments historiques de divers genres: ceux des objets trouvés et qui mériteraient quelque attention seraient emportés pour être placés au Musée royal du Louvre, si ces objets étaient d'ancien style égyptien, et au Cabinet des antiques de la Bibliothèque royale, si ces objets étaient des médailles et des pierres gravées, ou autres monuments de style grec ou romain. Les statues grecques ou romaines appartiendraient aussi au Musée des antiques du Louvre.
17° On pourrait faire également, à Thèbes et dans toutes les autres parties de l'Égypte,