—Il est venu ensuite... Ah! l'abonneur...
—Comment, à la bonne heure, qu'est-ce que tu me chantes-là?...
—Je prie Monsieur de m'excuser. Je veux dire l'abonneur, l'assureur, enfin l'individu qui veut inscrire Monsieur contre les accidents de sport.
—Ah! ce courtier que j'ai déjà mis trois fois à la porte! Il est entêté, l'animal. Je t'ai donné l'ordre de lui répondre que je n'y serais jamais pour lui.
—Je n'ai pas manqué de suivre les ordres de Monsieur, d'autant plus que Monsieur était réellement sorti.
—C'est tout?...
—Ah! Il est encore venu un gros, qui fait l'important et qui a une voix de centaure. Il m'a dit qu'il fallait absolument que vous alliez le voir le plus tôt possible, qu'il avait besoin de vous parler.
—Un gros, qui a une voix de stentor... T'a-t-il au moins dit son nom?...
—Certainement, et j'allais le dire à Monsieur quand Monsieur m'a coupé le fil...
—C'est?...
—Monsieur Fruscou, ingénieur!...
—Fruscou!... Le constructeur de mon aéronat!... Tu ne pouvais pas le dire plus vite, triple lambin!...
—Je ne pensais pas, Monsieur...
—Tu ne pensais pas!... Tu ne penses jamais rien d'ailleurs!... Il n'y a pas de place, dans la noisette qui te sert de tête, pour une idée tout entière, et il faut un maître aussi patient que je le suis pour endurer tes lenteurs, mon pauvre Firmin!...
—Alors, c'est vrai que Monsieur veut monter aussi en ballon comme Messieurs ses amis?...
—Oui, Firmin, et je t'emmènerai avec moi dans le voyage que je projette d'entreprendre. Tu me feras la cuisine sur le moteur du ballon et je te réserverai une cabine à l'intérieur du ballonnet compensateur.
Les rares cheveux du digne valet de chambre du Petit Biscuitier, Claude Réviliod,—car c'est dans l'appartement particulier de cet amateur fanatique d'aérostation que la conversation qui vient d'être rapportée s'échangeait,—se dressèrent sur son crâne dégarni.
—J'espère que Monsieur veut plaisanter!... balbutia-t-il.
—Est-ce que tu refuserais de me suivre, par hasard?...
—Monsieur connaît mon dévouement pour lui, depuis trois ans que je suis à ses ordres, après quatorze ans passés au service de la famille. Je suivrai Monsieur, mais ce sera ma mort sûre!...
—Comment ta morsure?... Tu n'as pas terminé avec tes continuels coq-à-l'âne, Firmin?... Je finirai par te mettre en disponibilité, comme un officier qui a commis une boulette!... En attendant, va t'informer si le déjeuner est prêt!
—Monsieur est servi!... s'empressa de répondre le domestique.
—Tant mieux, car il va me falloir mastiquer avec célérité et vigueur. Je suis extraordinairement occupé cette après-midi. J'ai au moins cent cinquante-trois rendez-vous, sans compter Fruscou qui m'attend, à ce que tu viens de me dire.
—Avec son auto, Monsieur y arrivera bien!...
—Que le ciel t'entende, Firmin, car il y va de la réussite de mes projets les plus chers!...
La conversation entre Claude Réviliod et son fidèle Firmin prit fin sur ces mots. Le jeune homme passa de son cabinet dans la salle à manger où il s'attabla hâtivement.
Trois mois s'étaient écoulés depuis la fondation de l'Aéro-tourist-club par le marquis de La Tour-Miranne, aidé d'une douzaine d'amis. On était dans la première quinzaine de janvier, ce qui expliquait le surmenage dont se plaignait le petit Biscuitier. Il avait, en effet, à satisfaire en même temps aux convenances mondaines, en cette période qui suit le renouvellement de l'année, et à suivre la réalisation de ses idées, car il n'avait pas renoncé, loin de là, à ses projets de navigation aérienne à l'aide de ballons dirigeables.
Dans diverses circonstances: au Salon de l'Aéronautique, à la quinzaine d'aviation de Juvisy et chez des amis communs, Réviliod avait eu l'occasion de rencontrer l'un ou l'autre des membres de l'Aéro-tourist-club. Après échange des politesses et lieux communs d'usage, il était obligatoire que la conversation tournât sur le chapitre, plus que jamais à l'ordre du jour, de la locomotion aérienne.
—Eh bien!... entamait d'un ton ironique Réviliod, ça marche votre Société? Combien êtes-vous maintenant d'adhérents?...
—Nous ne cherchons pas, pour l'instant, à augmenter le nombre des membres du Club, lui répondait l'interpellé. Nous tenons d'abord à faire nos preuves.
—Les accidents répétés causés par l'aéroplane, la mort de Selfridge, de Lefebvre, du capitaine Ferber ne vous refroidissent pas un peu?...
—Ils ne nous découragent pas, et nous espérons bien les éviter, en prenant les précautions indiquées par l'expérience.
—Bonne chance, dans ce cas. Pour ma part, je préfère m'en tenir au dirigeable. Au moins je disposerai toujours d'un flotteur de sûreté dans le cas d'une panne subite.
—Avez-vous oublié la catastrophe du République?... Voyez à quoi a servi le fameux flotteur de sûreté dans cette circonstance!...
—Oui, mais il y a moyen d'éviter un accident aussi ridicule que la rupture d'une branche d'hélice, et ce moyen je compte bien l'employer.
—Alors, vous comptez toujours faire du tourisme en dirigeable, cette année, Réviliod?...
—Certainement, je compte bien vous démontrer, par des preuves irréfutables, que le ballon, bien agencé, bien compris et bien conduit, peut fournir des résultats autrement intéressants que vos espèces de cerfs-volants-boîtes à moteur. Pendant que vous ferez de méchants sauts de crapaud, à deux ou trois mètres au-dessus des taupinières de la plaine, moi je planerai superbement à la hauteur qui me plaira, et je franchirai sans peine en une heure l'espace que vous mettrez une journée à parcourir, encore heureux si vos moteurs n'ont pas de ratés et ne vous obligent pas à prendre terre toutes les trois minutes.
—Vous êtes dur pour l'aéroplane, Réviliod, mais je vous trouve un peu partial; car il me semble que vous oubliez aussi les nombreux inconvénients de l'aéronat comparé à l'aéroplane, surtout dans un voyage par étapes. Il vous faudra des hangars d'abri à tous vos points d'arrêt et un personnel nombreux et expérimenté pour vous permettre d'atterrir sans danger.
—Vous exagérez la fragilité du ballon. D'ailleurs, pensez-vous que je vais prendre un aéronat de 4.000 mètres cubes de capacité comme le République?
—Que comptez-vous donc employer?...
—Je tiens à vous en faire la surprise. Vous verrez cela au mois de mai prochain, et vous serez forcé de reconnaître que j'avais raison dans mes assertions.
—Évidemment, vous pouvez avoir un appareil parfait en tous points. Votre fortune vous le permet. Il n'empêche que, jusqu'à plus ample informé, je conserve ma confiance dans le principe de l'aéroplane.
—Principe erroné et qui ne peut conduire à rien de bon vous le verrez. Mais il n'est, je le sais, pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et, puisque vous refusez de prêter l'oreille aux meilleures raisons théoriques, je vous donnerai la preuve expérimentale de la valeur de mes affirmations.
—Et je serai heureux, dans ce cas, de reconnaître que je me suis trompé! répondait courtoisement l'interlocuteur du Petit Biscuitier.
L'hiver, cependant, s'écoulait, et pendant que le président de l'Aéro-tourist-club et ses amis s'occupaient de la mise en chantier des véhicules aériens destinés, dans leur pensée, à remplacer les automobiles terrestres qui ne