Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon. Louis Constant Wairy. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Louis Constant Wairy
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083090
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premier consul traversa la ville au galop, et, suivi de quelques lanciers, il se rendit sur le terrain où il devait être attaqué; là, il fit une halte d'environ une demi-heure, y mangea quelques biscuits d'Abbeville et repartit. Les assassins furent trompés; ils ne s'étaient préparés que pour le lendemain.

      Le premier consul et madame Bonaparte continuèrent leur tournée à travers la Picardie, la Flandre et les Pays-Bas. Chaque jour arrivaient au premier consul des offres de bâtiments de guerre faites par les divers conseils généraux. On continuait à le haranguer, à lui présenter les clefs des villes comme s'il eût exercé la puissance royale. Amiens, Dunkerque, Lille, Bruges, Gand, Bruxelles, Liége, Namur se distinguèrent par l'éclat de la réception qu'ils firent aux illustres voyageurs. Les habitans de la ville d'Anvers firent présent au premier consul de six chevaux bais magnifiques. Partout aussi le premier consul laissa des marques utiles de son passage. Par ses ordres, des travaux furent aussitôt commencés pour nettoyer et améliorer le port d'Amiens. Il visita dans cette ville, et dans les autres lorsqu'il y avait lieu, l'exposition des produits de l'industrie, encourageant les fabricans par ses conseils et les favorisant par ses arrêtés. À Liége, il fit mettre à la disposition du préfet de l'Ourthe une somme de 300,000 francs pour la réparation des maisons brûlées par les Autrichiens, dans ce département, pendant les premières guerres de la révolution. Anvers lui dut son port intérieur, un bassin et des chantiers de construction. À Bruxelles, il ordonna la jonction du Rhin, de la Meuse et de l'Escaut par un canal. Il fit jeter à Givet un pont de pierre sur la Meuse, et, à Sedan, madame veuve Rousseau reçut de lui une somme de 60,000 francs pour le rétablissement de sa fabrique détruite par un incendie. Enfin, je ne saurais énumérer tous les bienfaits publics ou particuliers que le premier consul et madame Bonaparte semèrent sur leur route.

      Peu de temps après notre retour à Saint-Cloud, le premier consul, se promenant en voiture dans le parc avec sa femme et M. Cambacèrès, eut la fantaisie de conduire à grandes guides les quatre chevaux attelés à sa calèche, et qui étaient de ceux qui lui avaient été donnés par les habitans d'Anvers. Il se plaça donc sur le siége, et prit les rênes des mains de César, son cocher, qui monta derrière la voiture. Ils se trouvaient en ce moment dans l'allée du fer à cheval, qui conduit à la route du pavillon Breteuil et de Ville-d'Avray. Il est dit, dans le Mémorial de Sainte-Hélène, que l'aide-de-camp, ayant gauchement traversé les chevaux, les fit emporter. César, qui me conta en détail cette fâcheuse aventure, peu de minutes après que l'accident avait eu lieu, ne me dit pas un mot de l'aide-de-camp; et, en conscience, il n'était pas besoin, pour faire verser la calèche, d'une autre gaucherie que de celle d'un cocher aussi peu expérimenté que l'était le premier consul. D'ailleurs, les chevaux étaient jeunes et ardens, et César lui-même avait besoin de toute son adresse pour les conduire. Ne sentant plus sa main, ils partirent au galop; et César, voyant la nouvelle direction qu'ils prenaient vers la droite, se mit à crier, à gauche! d'une voix de stentor. Le consul Cambacèrès, encore plus pâle qu'à l'ordinaire, s'inquiétait peu de rassurer madame Bonaparte alarmée; mais il criait de toutes ses forces:—Arrêtez! arrêtez! vous allez nous briser! Cela pouvait fort bien arriver; mais le premier consul n'entendait rien, et d'ailleurs il n'était plus maître des chevaux. Arrivé, ou plutôt emporté avec une rapidité extrême jusqu'à la grille, il ne put prendre le milieu, accrocha une borne et versa lourdement. Heureusement les chevaux s'arrêtèrent. Le premier consul, jeté à dix pas sur le ventre, s'évanouit et ne revint à lui que lorsqu'on le toucha pour le relever. Madame Bonaparte et le second consul n'eurent que de légères contusions; mais la bonne Joséphine avait horriblement souffert d'inquiétude pour son mari. Pourtant, quoiqu'il eût été rudement froissé, il ne voulut point être saigné, et se contenta de quelques frictions d'eau de Cologne, son remède favori. Le soir, à son coucher, il parla avec gaîté de sa mésaventure, de la frayeur extrême qu'avait montrée son collègue, et finit en disant «Il faut rendre à César ce qui est à César; qu'il garde son fouet, et que chacun fasse son métier.» Il convenait toutefois, malgré ses plaisanteries, qu'il ne s'était jamais cru lui-même si près de la mort, et que même il se tenait pour avoir été bien mort pour quelques secondes. Je ne me souviens pas si c'est à cette occasion, ou dans un autre moment, que j'ai entendu dire à l'empereur que la mort n'était qu'un sommeil sans rêves.

      Au mois d'octobre de cette année, le premier consul reçut en audience publique Haled-Effendi, ambassadeur de la Porte Ottomane.

      L'arrivée de l'ambassadeur Turc fit sensation aux Tuileries, parce qu'il apportait une grande quantité de cachemires au premier consul, qu'on était sûr qu'ils seraient distribués, et que chaque femme se flattait d'être favorablement traitée. Je crois que sans son costume étranger, et surtout sans ses cachemires, il aurait produit peu d'effet sur des gens déjà habitués à voir des princes souverains faire la cour au chef du gouvernement, chez lui et chez eux. Son costume même n'était pas plus remarquable que celui de Roustan, auquel on était accoutumé, et quant à ses saluts, ils n'étaient guère plus bas que ceux des courtisans ordinaires du premier consul. À Paris, on dit que l'enthousiasme dura plus long-temps. C'est si drôle d'être Turc! Quelques dames eurent l'honneur de voir manger l'ambassadeur barbu; il fut poli et même galant avec elles, et leur fit quelques cadeaux qui furent très-vantés. Il n'avait pas les mœurs trop musulmanes et ne fut pas très-effrayé de voir, sans un voile sur le visage, nos jolies Parisiennes. Un jour, qu'il passa presque entier à Saint-Cloud, je le vis faire sa prière. C'était dans la cour d'honneur, sur un large parapet bordé d'une balustrade en pierre. L'ambassadeur fit étendre des tapis du côté des appartemens qui, depuis, furent ceux du roi de Rome, et là il fit ses génuflexions, aux yeux de plusieurs personnes de la maison qui, par discrétion, se tinrent derrière les croisées. Le soir il assista au spectacle. On donnait, je crois, Zaïre ou Mahomet; il n'y comprit rien.

       Table des matières

      Nouveau voyage à Boulogne.—Visite de la flottille, et revue des troupes.—Jalousie de la ligne contre la garde.—Le premier consul au camp.—Colère du général contre les soldats.—Ennuis des officiers et plaisirs du camp.—Timidité des Boulonnaises.—Jalousie des maris.—Visites des Parisiennes, des Abbevilloises, des Dunkerquoises et des Amiennoises, au camp de Boulogne.—Soirées chez la maîtresse du colonel Joseph Bonaparte.—Les généraux Soult, Saint-Hilaire et Andréossy.—La femme adroite et les deux amans heureux.—Curiosité du premier consul.—Le premier consul pris pour un commissaire des guerres.—Commencement de la faveur du général Bertrand.—L'ordonnateur Arcambal et les deux visiteurs.—Le premier consul épiant son frère, qui feint de ne pas le reconnaître.—Le premier consul et les jeux innocens.—Le premier consul n'a rien à donner pour gage.—Billet doux du premier consul.—Combat naval.—Le premier consul commande une manœuvre et se trompe.—Erreur reconnue et silence du général.—Le premier consul pointe les canons et fait rougir les boulets.—Combat de deux Picards.—Explosion continuelle.—Dîner au bruit du canon.—Frégate anglaise démâtée, et le brick coulé bas.

      Au mois de novembre de cette année, le premier consul retourna à Boulogne pour visiter la flottille et passer la revue des troupes qui s'y étaient déjà rassemblées, dans les camps destinés à l'armée avec laquelle il se proposait de descendre en Angleterre. J'ai conservé quelques notes, et encore plus de souvenirs sur mes différens séjours à Boulogne. Jamais l'empereur ne déploya autre part une plus grande puissance militaire. Jamais on ne vit réunies sur un même point, de plus belles troupes ni de plus prêtes à marcher au moindre signe de leur chef. Il n'est donc pas suprenant que j'aie retrouvé dans ma mémoire sur cette époque, des détails que personne, je crois, n'a encore imaginé de publier. Personne aussi, si je ne me trompe, n'a pu être mieux en état que moi de les connaître. Au reste, le lecteur va être à même d'en juger.

      Dans les différentes revues que passait le premier consul, il semblait vouloir exciter l'enthousiasme des soldats et leur attachement à sa personne, par l'attention avec laquelle il saisissait toutes les occasions de flatter leur amour-propre.