Georges Le Faure, H. de Graffigny
Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066084165
Table des matières
CHAPITRE PREMIER
OÙ NOS HÉROS ONT DES TIRAILLEMENTS D'ESTOMAC
Aussi, tout en applaudissant in petto à l'aventure qui soustrayait son ami Gontran à l'enfer du mariage, il ne pouvait s'empêcher, en même temps, de déplorer cette même aventure qui frappait si cruellement le comte de Flammermont.
Semblable à un fou, celui-ci criait et gesticulait, insultant Sharp, appelant Séléna, sondant en vain l'immensité où, dans l'irradiation solaire, aucune trace du véhicule n'apparaissait déjà plus.
—Gontran! cria l'ingénieur, Gontran!
Mais le jeune homme, tout entier à sa douleur, n'entendait pas et continuait à s'absorber dans sa recherche.
Fricoulet reporta alors son attention sur Ossipoff qui, sous la violence de l'émotion, s'était évanoui entre ses bras.
Les jambes molles, le corps inerte et la tête ballante, le vieillard demeurait sans mouvement, et sans le souffle pressé qui s'échappait de sa gorge contractée, il eût pu passer pour mort.
Fricoulet, le seul qui eût conservé son sang-froid—et pour cause, puisqu'il n'était ni le père, ni le fiancé de Séléna, Fricoulet sentait cependant la nécessité de prendre une décision.
—Je ne puis pas demeurer là éternellement, murmura-t-il, ce vieillard a besoin de soins; quant à Gontran, pour un peu il deviendrait fou.
Seulement alors, il s'aperçut que le cratère s'était peu à peu vidé des assistants qui le remplissaient au moment du congrès; dans le lointain, de longues files de Sélénites disparaissaient par les voies souterraines, semblables à une bande de lapins qu'un étranger vient troubler dans leurs ébats.
—Les égoïstes! pensa Fricoulet, pas un seul d'entre eux n'est venu s'enquérir de ce qui est arrivé.
À ce moment, une main se posa sur son épaule; il se retourna et reconnut Telingâ.
—Hein! s'écria l'ingénieur, vous seriez-vous jamais douté qu'il pût exister sur ce monde lumineux qui éclaire durant la nuit le pays des Subvolves, des gredins semblables!
Le sélénite hocha la tête sans répondre.
Puis, après un moment:
—Il faut vous hâter, dit-il.
—Me hâter! répliqua Fricoulet, me hâter de quoi faire?
—De partir d'ici.
L'ingénieur fixa sur son interlocuteur des yeux ahuris.
—Mais où voulez-vous que nous allions? demanda-t-il.
Telingâ posa son index sur le front du jeune homme.
—Non, non! exclama celui-ci, j'ai bien ma tête, rassurez-vous, seulement, je ne comprends pas pourquoi vous me dites de me hâter de partir d'ici.
—La nuit, répliqua laconiquement le sélénite.
Et il étendit le bras vers l'horizon.
Le sommet des montagnes et des cratères avoisinants s'estompait graduellement et l'ombre agrandie des dentelures volcaniques s'allongeait jusqu'aux Terriens.
En même temps, dans l'azur profond des cieux, dont aucun nuage ne troublait l'impassible et morne sérénité, les étoiles commençaient à scintiller.
—Brrr! fit tout à coup Fricoulet, on dirait qu'il vous tombe sur les épaules un manteau de glace.
—Il ne faudrait pas tarder, fit observer Telingâ; déjà les Sélénites, dont la constitution est cependant plus en rapport avec ces brusques changements de température, ont rejoint leurs chaudes demeures souterraines... croyez-moi, il serait dangereux pour vous et vos amis de demeurer plus longtemps ici...
—Vous avez raison, répliqua Fricoulet, je me sens déjà glacé jusqu'aux moelles.
Puis, avec autant de facilité que s'il n'eût pas plus pesé qu'une plume, l'ingénieur enleva Ossipoff et le jeta sur ses épaules; ensuite il courut à Gontran, le prit par le bras et l'entraîna vers la grande salle mise à leur disposition par le directeur de l'observatoire de Maoulideck.