Le destructeur de l'Amazonie. Alberto Vazquez-Figueroa. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Alberto Vazquez-Figueroa
Издательство: Bookwire
Серия: Novelas
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 9788418263538
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la chance qu’elle dise cul et pas autre chose.

      –J’avoue que vous êtes le couple le plus étrange que j’aie jamais embarqué.

      –Vous ne savez pas à quel point.

      ***

      CHAPITRE II

      Le singe tendit la main pour saisir la branche suivante, prêt à sauter, mais à ce moment-là il ressentit une piqûre dans le dos, sa vision se brouilla, et il s’écroula sans un gémissement.

      Kapoar se hâta de lui couper la gorge pour lui éviter de souffrir. Ce n’était pas seulement le geste de compassion que son père lui avait enseigné et qui devait être appliqué à tout être vivant en train de mourir, cela évitait que les muscles se contractent à cause de la douleur intense et que la chair ne durcisse.

      S’ils étaient correctement tués et rôtis au-dessus des braises à la bonne hauteur, les singes hurleurs étaient un mets comparable au jambon d’un cochon sauvage bien nourri.

      Il recouvrit la tache de sang d’une épaisse couche de terre afin que son odeur ne se propage pas à travers la forêt, chatouillant le fin odorat d’un jaguar qui n’hésiterait pas à suivre sa trace et à l’attaquer par derrière pour lui arracher cette appétissante proie. Et peut-être même le transformer lui-même en une autre proie tout aussi appétissante.

      Le chemin à parcourir était long; près d’une demi-journée de marche dans la forêt car une des premières règles qu’apprenaient les jeunes guerriers stipulait qu’ils devaient chercher leurs proies aussi loin que possible du village. S’ils chassaient trop près, les animaux comprenaient rapidement que la proximité des êtres humains était déconseillée et en peu de temps les pièces les plus appréciées disparaissaient.

      Et ce gibier était indispensable à proximité, car lorsque des pluies torrentielles tombaient et que le sol était inondé, ou lorsque les jeunes étaient loin, c’était les personnes âgées, les femmes et les enfants qui étaient chargés de se nourrir quotidiennement

      Ce qui était à portée de la main dans « le garde-manger » devait y être conservé le plus longtemps possible, même si ce garde-manger était une jungle presque impénétrable.

      Il ne fallut pas longtemps à Kapoar pour charger l’animal sur son dos et prendre rapidement le chemin du retour afin que sa famille puisse célébrer un festin autour du feu et que sa mère ait l’honneur de dépouiller et assaisonner le singe bien dodu.

      Le soir tombait quand il arriva au village.

      Il entendit des voix et comprit immédiatement qu’il ne s’agissait pas de voix « ahúnas » mais des voix détestées d’hommes blancs.

      Il laissa tomber sa charge sur le sol et se glissa à travers les broussailles aussi furtivement qu’il l’aurait fait sur les traces d’un troupeau de sangliers. Il savait très bien que ceux qui étaient à proximité –qu’ils soient « fogueiros », prospecteurs, éleveurs ou bûcherons– étaient beaucoup plus dangereux, cruels et perfides que le pire des jaguars.

      Quelques mètres plus loin une puanteur de vêtements sales et de pieds en sueur l’assaillit ainsi que l’odeur reconnaissable de la « cachaça ». De leurs rires tonitruants il déduisit qu’ils avaient trop bu. Il parvint à écarter soigneusement quelques branches et put les voir.

      Ils s’étaient installés dans la maison communale qui, comme la plupart des maisons communales, n’avait pas de murs et n’était composée que d’un toit en feuilles de palmier posé sur de hauts poteaux en bois. Un métis barbu qui semblait être le plus saoul, s’était allongé dans le hamac de son grand-père, ce qui était une offense et un manque de respect absolu.

      Il ne distinguait aucun membre de sa tribu, mais observa les traces qu’ils avaient laissées en s’éloignant, ce qui le rassura car il n’était pas étrange que des sauvages qui se considéraient civilisés aient l’odieuse habitude d’enlever des femmes pour en faire des esclaves.

      Apparemment il s’agissait d’ incendiaires: les « fogueiros ».

      ***

      –Et pourquoi y a-t-il moins d’incendies dans cette zone ?

      –Parce qu’il y a beaucoup d’acajou.

      –Qu’est-ce que ça a à voir ?

      –Les soi-disant « bois nobles », en particulier l’acajou, ont une croissance lente mais sont de grande qualité et très bien payés. –Le capitaine Andrade traça un demi-cercle de la main indiquant ce qui était devant lui–. À cause de cela les « fogueiros » attendent que l’acajou soit coupé avant de mettre le feu au reste.

      –Et vous, qu’en pensez-vous ?

      Le Brésilien la regarda comme si c’était la question la plus stupide qui lui ait jamais été posée, posa sa cuillère et s’éclaircit la gorge avec une gorgée de bière avant de répondre presque amèrement:

      –Que voulez-vous que j’en pense, mademoiselle ? Je suis marin de rivière et je sais très bien que lorsqu’il n’y aura plus de jungle, il n’y aura plus de rivière. La mer sera toujours là, plus propre ou plus sale, mais les rivières et les lacs disparaîtront, si bien qu’à ce rythme de destruction dans vingt ans nos bateaux seront échoués dans la boue.

      –Comme la Mer d’ Aral ?

      –Exactement! C’était l’un des plus grands lacs du monde et en moins d’un demi-siècle, ils l’ont transformé en terre aride.

      –Et pensez-vous vraiment que cela peut arriver à l’Amazone ?

      –A l’Amazone, non, mais certains affluents par lesquels nous naviguions autrefois sans problème n’ont plus d’eau, pas même pour un canoë.

      –C’est triste.

      –C’est comme assister à l’agonie d’un géant, dont le sang ne circule plus à travers les doigts puis à travers les mains jusqu’à ce que vous compreniez qu’à la fin il va perdre ses jambes et ses bras.

      Ils dînaient sur le pont supérieur, sous un ciel rougeoyant, mais cette fois ce n’était pas à cause des incendies, mais parce que la dernière lumière d’un soleil qui se cachait semblait vouloir transmettre un avertissement sur ce que serait le sort des êtres humains s’ils ne changeaient pas d’attitude.

      Des milliers d’oiseaux les survolaient, certains vers le nord, d’autres vers le sud, à l’est ou à l’ouest, la plupart passaient à tire d’aile, d’autres se laissaient porter par les courants, mais tous retournaient à leurs nids, désireux de se reposer et d’abandonner le ciel nocturne qui allait devenir le champ de bataille des insectes et des chauves-souris.

      Ces dernières gagneraient toujours, provoquant des massacres parmi les rangs ennemis, mais ceux-ci étaient si nombreux que les effets d’un carnage aussi féroce ne se ferait même pas remarquer.

      Nuit après nuit, année après année, millénaire après millénaire, le ciel amazonien bouillonnait d’une vie qui engendrait de nouvelles vies, et il n’y avait qu’un seul ennemi pouvant mettre en danger un cycle essentiel à la subsistance de millions d ‘êtres vivants: le feu.

      –Êtes-vous de ceux qui pensent que les incendiaires devraient être exécutés ?

      Le capitaine Claudio Andrade plissa les yeux pour observer cette femme belle et intrigante qui lui avait posé une question aussi compromettante et répondit simplement.

      –Vous aimez la soupe ?

      –Elle est délicieuse.

      –Elle est faite de « mange-gens ».

      –Et qu’est-ce qu’un « mange-gens » ?

      –Un piranha.

      – Quoi ? –s’écria Bernardo Aicardi, horrifié.