“Vous êtes en vacances ? Vous travaillez, vous faites des études ?”
“Je suis à la recherche de quelqu'un,” avoua péniblement Cassie, elle se demandait si elle n'avait pas parlé trop vite.
Il fronça ses épais sourcils.
“Comment ça, à la recherche ? Vous recherchez quelqu'un en particulier ?”
“Oui. Ma sœur.”
“Elle a disparu ?”
"Oui. J'ai suivi une piste qui, je l'espérais, me conduirait jusqu'à elle. Elle a contacté mon ami aux États-Unis voilà quelque temps, on l'a retrouvée grâce à son numéro."
"Vous avez réussi à la retrouver et êtes venue jusqu'ici ? Un vrai boulot de détective," Vadim était admiratif, le serveur déposa son café sur le comptoir.
"Non, j'ai mis un temps fou. Elle a appelé deux fois, elle voulait me parler. Le premier numéro n'a rien donné. J'ai réalisé la semaine dernière seulement que le second appel avait été passé d'un autre numéro."
Vadim me coula un regard sympathique.
"Et maintenant, la Cartoleria est fermée," dit Cassie.
"Le magasin d'à côté ?"
"Oui. C'est de là qu'elle a téléphoné. J'espérais trouver le propriétaire."
Il fronça les sourcils.
"La Cartoleria est une chaîne de magasins. Il y en a d'autres à Milan. C'est un cybercafé, on y trouve des stylos, des crayons, ce genre de trucs."
"De la papeterie," suggéra Cassie.
"Oui, voilà. Si vous contactez un autre magasin, ils vous aideront peut-être à retrouver le gérant."
Cassie se jeta sur l'assiette que le serveur venait de déposer.
"Vous voyagez seule ?"
"Oui, je suis seule, j'espérais trouver Jacqui."
"Vous êtes à sa recherche mais elle pas, pourquoi ?"
"Nous avons eu une enfance difficile. Ma mère est morte quand elle était jeune et mon père ne s'en sortait pas. Il était très coléreux, il en voulait au monde entier."
Vadim compatit.
"Jacqui était plus âgée que moi, un jour, elle est partie. Je pense qu'elle ne pouvait plus le supporter. Sa colère, les cris, les assiettes cassées, presque chaque jour. Il a eu plusieurs petites amies, il y avait souvent des étrangers à la maison."
Un souvenir désagréable lui revint en mémoire, elle se cachait sous le lit tard le soir, elle dressait l'oreille, écoutant les pas pesants monter les escaliers et chercher la porte à tâtons. Jacqui l'avait sauvée. Elle avait crié si fort que les voisins avaient accouru, l'homme avait redescendu les escaliers à la hâte. Cassie se souvint de la terreur qu'elle avait éprouvée en l'entendant gratter à la porte de sa chambre. Jacqui avait été sa protectrice, jusqu'à ce qu'elle s'enfuie.
"Après son départ, j'ai déménagé, mon père a été expulsé et a dû trouver un nouveau logement. J'avais un nouveau téléphone. Lui aussi. Elle avait plus aucun moyen de nous contacter. Je crois qu'elle essaie de nous joindre mais elle a peur, je ne sais pas pourquoi. Elle me croit peut-être en colère parce qu'elle s'est enfuie."
Vadim secoua la tête.
"Alors vous êtes seule au monde ?"
Cassie acquiesça, elle se sentait triste.
"Je vous offre un verre ?"
Cassie refusa.
"Merci beaucoup, mais je conduis."
Sa voiture était à quarante-cinq minutes de marche. Elle ne savait où aller ni où dormir. Elle espérait arriver plus tôt, que le magasin lui fournirait un indice sur l'endroit où se trouvait Jacqui, qu'elle passerait à l'étape suivante dans ses recherches. Il faisait nuit et ignorait où trouver un hôtel ou une auberge de jeunesse. Elle risquait de dormir dans sa voiture, dans le parking.
"Vous savez où dormir ce soir ?" demanda Vadim, comme s'il lisait dans ses pensées.
Cassie secoua la tête.
"Pas encore."
"Il y a une auberge de jeunesse pas loin. Ça s'appelle une pensione en Italie. Ça peut-être une idée. C'est sur mon chemin ; je peux vous montrer si vous voulez."
Cassie sourit timidement, inquiète à propos du tarif, sa valise était restée dans sa voiture. Un hôtel à proximité lui paraissait tout de même plus pratique que refaire ce long trajet à pied jusqu'au parking. Jacqui était peut-être descendue dans cette auberge, vérifier ne coûtait rien.
Elle but son café et termina son panini jusqu'à la dernière miette, Vadim finissait son vin tout en envoyant des messages.
"Venez. C'est par ici."
Il pleuvait toujours, Vadim ouvrit un grand parapluie sous lequel Cassie se réfugia, reconnaissante. Il marchait d'un pas pressé, Cassie devait dépêchait pour le suivre. Elle était contente de ne pas traîner mais se demandait si cette auberge était sur son chemin, s'il ne faisait pas un détour pour elle.
Elle apercevait les bâtiments environnants, essayant de se faire une idée de l'endroit où ils se trouvaient. Les noms des restaurants, des magasins et des entreprises scintillaient sous la bruine et dans la brume ; la langue étrangère donnait le tournis à Cassie.
Ils traversèrent une rue, les embouteillages avaient cessé. Elle n'avait pas regardé l'heure depuis un moment, il devait être bien plus de dix-neuf heures. Elle était épuisée et se demandait où se trouvait l'auberge, ce qu'elle ferait s'ils étaient complet.
L'enseigne sur leur droite était celle d'un supermarché. Sur la gauche, une discothèque vraisemblablement. Le néon clignotait. Il ne s'agissait pas du quartier chaud – si tant est qu'un tel quartier existe à Milan – mais ça y ressemblait.
Elle réalisa soudainement qu'ils étaient allés trop loin, trop vite, sans échanger un mot.
Ils devaient marcher depuis près de deux kilomètres, une personne sensée n'aurait jamais considéré pareille distance comme 'à proximité'.
La mémoire lui revint.
Au premier carrefour, elle avait regardé sur sa gauche. Distraite et aveuglée par la pluie, elle n'avait pas prêté attention aux enseignes, elle s'imaginait une grande enseigne clignotante, mais vit alors une pancarte de dimension modeste avec des lettres noir sur blanc.
“Pensione.”
Le terme employé par Vadim. Le mot italien pour auberge de jeunesse où son équivalent.
"Pourquoi vous ralentissez ?" demanda-t-il, d'une voix coupante.
Devant, Cassie vit les phares d'un véhicule qui l'attendait. Une camionnette blanche était stationnée de l'autre côté de la rue. Vadim se dirigeait vers elle.
Il tendit la main vers elle, Cassie comprit, en une fraction de seconde de pure terreur, qu'il avait senti son hésitation, qu'il allait l'attraper.
CHAPITRE TROIS
Cassie comprit après coup qu'elle s'était montrée stupide, bavarde et trop confiante. Dans un moment de solitude, elle avait avoué à cet étranger être seule au monde, que personne ne savait où elle se trouvait.
Des scénarios d'enlèvement, de trafic et de viol lui traversèrent l'esprit. Elle devait fuir.
La main de Vadim se referma sur son poignet, elle tira dessus mais il agrippa la manche de sa veste.
Le tissu fragile et usé se déchira, il resta avec un bout de doublure en polyester en main. Elle était libre.
Cassie se retourna et prit ses jambes à son cou dans la direction d'où