The Complete Works of Oscar Wilde: 150+ Titles in One Edition. Oscar Wilde. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Oscar Wilde
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 9788027237197
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Enfin, ce n’est pas à nous qu’il faut vous adresser.

      SALOMÉ [regardant le jeune Syrien] Ah!

      LE PAGE D’HÉRODIAS. Oh! qu’est-ce qu’il va arriver? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.

      SALOMÉ [s’approchant du jeune Syrien] Vous ferez cela pour moi, n’est-ce pas, Narraboth? Vous ferez cela pour moi? J’ai toujours été douce pour vous. N’est-ce pas que vous ferez cela pour moi? Je veux seulement le regarder, cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. J’ai si souvent entendu le tétrarque parler de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque. Je suis sûre qu’il a peur de lui … Est-ce que vous aussi, Narraboth, est-ce que vous aussi vous en avez peur?

      LE JEUNE SYRIEN. Je n’ai pas peur de lui, princesse. Je n’ai peur de personne. Mais le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.

      SALOMÉ. Vous ferez cela pour moi, Narraboth, et demain quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, je laisserai tomber une petite fleur pour vous, une petite fleur verte.

      LE JEUNE SYRIEN. Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.

      SALOMÉ [souriant] Vous ferez cela pour moi, Narraboth. Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain quand je passerai dans ma litière sur le pont des acheteurs d’idoles je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, je vous regarderai, Narraboth, je vous sourirai, peut-être. Regardez-moi, Narraboth. Regardez-moi. Ah! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien, n’est-ce pas? … Moi, je sais bien.

      LE JEUNE SYRIEN [faisant un signe au troisième soldat] Faites sortir le prophète … La princesse Salomé veut le voir.

      SALOMÉ. Ah!

      LE PAGE D’HÉRODIAS. Oh! comme la lune a l’air étrange! On dirait la main d’une morte qui cherche à se couvrir avec un linceul.

      LE JEUNE SYRIEN. Elle a l’air très étrange. On dirait une petite princesse qui a des yeux d’ambre. A travers les nuages de mousseline elle sourit comme une petite princesse.

      [Le prophète sort de la citerne. Salomé le regarde et recule.]

      IOKANAAN. Où est celui dont la coupe d’abominations est déjà pleine? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.

      SALOMÉ. De qui parle-t-il?

      LE JEUNE SYRIEN. On ne sait jamais, princesse.

      IOKANAAN. Où est celle qui ayant vu des hommes peints sur la muraille, des images de Chaldéens tracées avec des couleurs, s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux, et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée?

      SALOMÉ. C’est de ma mère qu’il parle.

      LE JEUNE SYRIEN. Mais non, princesse.

      SALOMÉ. Si, c’est de ma mère.

      IOKANAAN. Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens, qui ont des baudriers sur les reins, et sur la tête des tiares de différentes couleurs? Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Égypte qui sont vêtus de lin et d’hyacinthe, et portent des boucliers d’or et des casques d’argent, et qui ont de grand corps? Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais, mais restera dans ses abominations, dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.

      SALOMÉ. Mais il est terrible, il est terrible.

      LE JEUNE SYRIEN. Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.

      SALOMÉ. Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des trous noirs laissés par des flambeaux sur une tapisserie de Tyr. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons, des cavernes noires d’Égypte où les dragons trouvent leur asile. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore?

      LE JEUNE SYRIEN. Ne restez pas ici, princesse! Je vous prie de ne pas rester ici.

      SALOMÉ. Comme il est maigre aussi! il ressemble à une mince image d’ivoire. On dirait une image d’argent. Je suis sûre qu’il est chaste, autant que la lune. Il ressemble à un rayon d’argent. Sa chair doit être très froide, comme de l’ivoire … Je veux le regarder de près.

      LE JEUNE SYRIEN. Non, non, princesse!

      SALOMÉ. Il faut que je le regarde de près.

      LE JEUNE SYRIEN. Princesse! Princesse!

      IOKANAAN. Qui est cette femme qui me regarde? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regardet-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.

      SALOMÉ. Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.

      IOKANAAN. Arrière! Fille de Babylone! N’approchez pas de l’élu du Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.

      SALOMÉ. Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.

      LE JEUNE SYRIEN. Princesse! Princesse! Princesse!

      SALOMÉ. Mais parle encore. Parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.

      IOKANAAN. Ne m’approchez pas, fille de Sodome, mais couvrez votre visage avec un voile, et mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.

      SALOMÉ. Qui est-ce, le fils de l’Homme? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan?

      IOKANAAN. Arrière! Arrière! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort.

      LE JEUNE SYRIEN. Princesse, je vous supplie de rentrer!

      IOKANAAN. Ange du Seigneur Dieu, que fais-tu ici avec ton glaive? Qui cherches-tu dans cet immonde palais? … Le jour de celui qui mourra en robe d’argent n’est pas venu

      SALOMÉ. Iokanaan.

      IOKANAAN. Qui parle?

      SALOMÉ. Iokanaan! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes, comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judée, et descendent dans les vallées. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses du jardin de la reine d’Arabie, ni les pieds de l’aurore qui trépignent sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer … Il n’y a rien au monde d’aussi blanc que ton corps. — Laisse-moi toucher ton corps!

      IOKANAAN. Arrière, fille de Babylone! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.

      SALOMÉ. Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi, et qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible, il est horrible ton corps! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, à des grappes de raisins noirs qui pendent des vignes d’Edom dans le pays des Edomites. Tes cheveux sont comme les cèdres du Liban, comme les grands cèdres du Liban qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs qui veulent se cacher pendant la journée. Les longues