Les Chants de Maldoror. Comte de Lautréamont. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Comte de Lautréamont
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Поэзия
Год издания: 0
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qu'au contraire je te hais: pourquoi insistes-tu? Quand ta conduite voudra-t-elle cesser de s'envelopper des apparences de la bizarrerie? Parle-moi franchement, comme à un ami: est-ce que tu ne te doutes pas, enfin, que tu montres, dans ta persécution odieuse, un empressement naïf, dont aucun de tes séraphins n'oserait faire ressortir le complet ridicule? Quelle colère te prend? Sache que, si tu me laissais vivre à l'abri de tes poursuites, ma reconnaissance t'appartiendrait … Allons, Sultan, avec ta langue, débarrasse-moi de ce sang qui salit le parquet. Le bandage est fini: mon front étanché a été lavé avec de l'eau salée, et j'ai croisé des bandelettes à travers mon visage. Le résultat n'est pas infini: quatre chemises, pleines de sang et deux mouchoirs. On ne croirait pas, au premier abord, que Maldoror contînt tant de sang dans ses artères; car, sur sa figure, ne brillent que les reflets du cadavre. Mais, enfin, c'est comme ça. Peut-être que c'est à peu près tout le sang que pût contenir son corps, et il est probable qu'il n'y en reste pas beaucoup. Assez, assez, chien avide; laisse le parquet tel qu'il est: tu as le ventre rempli. Il ne faut pas continuer de boire: car, tu ne tarderais pas à vomir. Tu es convenablement repu, va te coucher dans le chenil; estime-toi nager dans le bonheur; car, tu ne penseras pas à la faim, pendant trois jours immenses, grâce aux globules que tu as descendues dans ton gosier, avec une satisfaction solennellement visible. Toi, Léman, prends un balai: je voudrais aussi en prendre un, mais je n'en ai pas la force. Tu comprends, n'est-ce pas, que je n'en ai pas la force? Remets tes pleurs dans leur fourreau; sinon, je croirai que tu n'as pas le courage de contempler, avec sang-froid, la grande balafre, occasionnée par un supplice déjà perdu pour moi dans la nuit des temps passés. Tu iras chercher à la fontaine deux seaux d'eau. Une fois le parquet lavé, tu mettras ces linges dans la chambre voisine. Si la blanchisseuse revient ce soir, comme elle doit le faire, tu les lui remettras; mais, comme il a plu beaucoup depuis une heure, et qu'il continue de pleuvoir, je ne crois pas qu'elle sorte de chez elle; alors, elle viendra demain matin. Si elle te demande d'où vient tout ce sang, tu n'es pas obligé de lui répondre. Oh! que je suis faible! N'importe: j'aurai cependant la force de soulever le porte-plume et le courage de creuser ma pensée. Qu'a-t-il rapporté au Créateur de me tracasser, comme si j'étais un enfant, par un orage qui porte la foudre? Je n'en persiste pas moins dans ma résolution d'écrire. Ces bandelettes m'embêtent, et l'atmosphère de ma chambre respire le sang …

      Qu'il n'arrive pas le jour où, Lohengrin et moi, nous passerons dans la rue, l'un à côté de l'autre, sans nous regarder, en nous frôlant le coude, comme deux passants pressés! Oh! qu'on me laisse fuir à jamais loin de cette supposition! L'Éternel a créé le monde tel qu'il est: il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps strictement nécessaire pour briser d'un coup de marteau la tête d'une femme, il oubliait sa majesté sidérale, afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond d'une barque. Mais, il est grand et noble; il l'emporte sur nous par la puissance de ses conceptions; s'il parlementait avec les hommes, toutes les hontes rejailliraient jusqu'à son visage. Mais … misérable que tu es! pourquoi ne rougis-tu pas? Ce n'est pas assez que l'armée des douleurs physiques et morales, qui nous entoure, ait été enfantée: le secret de notre destinée en haillons ne nous est pas divulgué. Je le connais, le Tout-Puissant … et lui, aussi, doit me connaître. Si, par hasard, nous marchons sur le même sentier, sa vue perçante me voit arriver de loin: il prend un chemin de traverse, afin d'éviter le triple dard de platine que la nature me donna comme une langue! Tu me feras plaisir, ô Créateur, de me laisser épancher mes sentiments. Maniant les ironies terribles, d'une main ferme et froide, je t'avertis que mon cœur en contiendra suffisamment, pour m'attaquer à toi, jusqu'à la fin de mon existence. Je frapperai ta carcasse creuse: mais, si fort, que je me charge d'en faire sortir les parcelles restantes d'intelligence que tu n'as pas voulu donner à l'homme, parce que tu aurais été jaloux de le faire égal à toi, et que tu avais effrontément cachées dans tes boyaux, rusé bandit, comme si tu ne savais pas qu'un jour ou l'autre je les aurais découvertes de mon œil toujours ouvert, les aurais enlevées, et les aurais partagées avec mes semblables. J'ai fait ainsi que je parle, et, maintenant, ils ne te craignent plus; ils traitent de puissance à puissance avec toi. Donne-moi la mort, pour faire repentir mon audace: je découvre ma poitrine et j'attends avec humilité. Apparaissez donc, envergures dérisoires de châtiments éternels!… déploiements emphatiques d'attributs trop vantés! Il a manifesté l'incapacité d'arrêter la circulation de mon sang qui le nargue. Cependant, j'ai des preuves qu'il n'hésite pas d'éteindre, à la fleur de l'âge, le souffle d'autres humains, quand ils ont à peine goûté les jouissances de la vie. C'est simplement atroce; mais, seulement, d'après la faiblesse de mon opinion! J'ai vu le Créateur, aiguillonnant sa cruauté inutile, embraser des incendies où périssaient les vieillards et les enfants! Ce n'est pas moi qui commence l'attaque: c'est lui qui me force à le faire tourner, ainsi qu'une toupie, avec le fouet aux cordes d'acier. N'est-ce pas lui qui me fournit des accusations contre lui-même? Ne tarira point ma verve épouvantable! Elle se nourrit des cauchemars insensés qui tourmentent mes insomnies. C'est à cause de Lohengrin que ce qui précède a été écrit; revenons donc à lui. Dans la crainte qu'il ne devînt plus tard comme les autres hommes, j'avais d'abord résolu de le tuer à coups de couteau, lorsqu'il aurait dépassé l'âge d'innocence. Mais, j'ai réfléchi, et j'ai abandonné sagement ma résolution à temps. Il ne se doute pas que sa vie a été en péril pendant un quart d'heure. Tout était prêt, et le couteau avait été acheté. Ce stylet était mignon, car j'aime la grâce et l'élégance jusque dans les appareils de la mort: mais il était long et pointu. Une seule blessure au cou, en perçant avec soin une des artères carotides, et je crois que ç'aurait suffi. Je suis content de ma conduite; je me serais repenti plus tard. Donc, Lohengrin, fais ce que tu voudras, agis comme il te plaira, enferme-moi toute la vie dans une prison obscure, avec des scorpions pour compagnons de ma captivité, ou arrache-moi un œil jusqu'à ce qu'il tombe à terre, je ne te ferai jamais le moindre reproche: je suis à toi, je t'appartiens, je ne vis plus pour moi. La douleur que tu me causeras ne sera pas comparable au bonheur de savoir, que celui qui me blesse, de ses mains meurtrières, est trempé dans une essence plus divine que celle de ses semblables! Oui, c'est encore beau de donner sa vie pour un être humain, et de conserver ainsi l'espérance que tous les hommes ne sont pas méchants, puisqu'il y en a eu un, enfin, qui a su attirer, de force, vers soi, les répugnances défiantes de ma sympathie amère!…

      Il est minuit; on ne voit pas un seul omnibus de la Bastille à la Madeleine. Je me trompe; en voilà un qui apparaît subitement, comme s'il sortait de dessous terre. Les quelques passants attardés le regardent attentivement; car il paraît ne ressembler à aucun autre. Sont assis, à l'impériale, des hommes qui ont l'œil immobile, comme celui d'un poisson mort. Ils sont pressés les uns contre les autres, et paraissent avoir perdu la vie; au reste, le nombre réglementaire n'est pas dépassé. Lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux, on dirait que c'est le fouet qui fait remuer son bras, et non son bras le fouet. Que doit être cet assemblage d'êtres bizarres et muets? Sont-ce des habitants de la lune? Il y a des moments où on serait tenté de le croire; mais, ils ressemblent plutôt à des cadavres. L'omnibus, pressé d'arriver à la dernière station, dévore l'espace et fait craquer le pavé … Il s'enfuit!… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. «Arrêtez, je vous en supplie; arrêtez … mes jambes sont gonflées d'avoir marché pendant la journée … je n'ai pas mangé depuis hier … mes parents m'ont abandonné … je ne sais plus, que faire … je suis résolu de retourner chez moi, et j'y serais vite arrivé, si vous m'accordiez une place … je suis un petit enfant de huit ans, et j'ai confiance en vous …» Il s'enfuit!… Il s'enfuit!… Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Un de ces hommes, à l'œil froid, donne un coup de coude à son voisin, et paraît lui exprimer son mécontentement de ces gémissements, au timbre argentin, qui parviennent jusqu'à son oreille. L'autre baisse la tête d'une manière imperceptible, en forme d'acquiescement, et se replonge ensuite dans l'immobilité de son égoïsme, comme une tortue dans sa carapace. Tout indique dans les traits des autres voyageurs les mêmes sentiments que ceux des deux premiers. Les cris se font encore entendre pendant deux ou trois minutes, plus perçants de seconde en seconde. L'on voit des fenêtres s'ouvrir sur le boulevard, et une figure effarée, une lumière à la main, après avoir jeté les yeux sur la chaussée, refermer