Les Chants de Maldoror. Comte de Lautréamont. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Comte de Lautréamont
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Поэзия
Год издания: 0
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beau en toi, ma raison s'est agrandie, et je puis te parler. Je suis venu vers toi, afin de te retirer de l'abîme. Ceux qui s'intitulent tes amis te regardent, frappés de consternation, chaque fois qu'ils te rencontrent, pâle et voûté, dans les théâtres, dans les places publiques, dans les églises, ou pressant, de deux cuisses nerveuses, ce cheval qui ne galope que pendant la nuit, tandis qu'il porte son maître-fantôme, enveloppé dans un long manteau noir. Abandonne ces pensées, qui rendent ton cœur vide comme un désert; elles sont plus brûlantes que le feu. Ton esprit est tellement malade que tu ne t'en aperçois pas, et que tu crois être dans ton naturel, chaque fois qu'il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d'une infernale grandeur. Malheureux! qu'as-tu dit depuis le jour de ta naissance? O triste reste d'une intelligence immortelle, que Dieu avait créée avec tant d'amour! Tu n'as engendré que des malédictions plus affreuses que la vue de panthères affamées! Moi, je préférerais avoir les paupières collées, mon corps manquant des jambes et des bras, avoir assassiné un homme, que ne pas être toi! Parce que je te hais. Pourquoi avoir ce caractère qui m'étonne? De quel droit viens-tu sur cette terre, pour tourner en dérision ceux qui l'habitent, épave pourrie, ballottée par le scepticisme? Si tu ne t'y plais pas, il faut retourner dans les sphères d'où tu viens. Un habitant des cités ne doit pas résider dans les villages, pareil à un étranger. Nous savons que, dans les espaces, il existe des sphères plus spacieuses que la nôtre, et dont les esprits ont une intelligence que nous ne pouvons même pas concevoir. Eh bien, va-t'en!… retire-toi de ce sol mobile!… montre enfin ton essence divine, que tu as cachée jusqu'ici; et, le plus tôt possible, dirige ton vol ascendant vers ta sphère, que nous n'envions point, orgueilleux que tu es! car, je ne suis pas parvenu à reconnaître si tu es un homme ou plus qu'un homme! Adieu donc; n'espère plus retrouver le crapaud sur ton passage. Tu as été la cause de ma mort. Moi, je pars pour l'éternité, afin d'implorer ton pardon!»

      S'il est quelquefois logique de s'en rapporter à l'apparence des phénomènes, ce premier chant finit ici. Ne soyez pas sévère pour celui qui ne fait encore qu'essayer sa lyre: elle rend un son si étrange! Cependant, si vous voulez être impartial, vous reconnaîtrez déjà une empreinte forte, au milieu des imperfections. Quant à moi, je vais me remettre au travail, pour faire paraître un deuxième chant, dans un laps de temps qui ne soit pas trop retardé. La fin du dix-neuvième siècle verra son poëte (cependant, au début, il ne doit pas commencer par un chef-d'œuvre, mais suivre la loi de la nature): il est né sur les rives américaines, à l'embouchure de la Plata, là où deux peuples, jadis rivaux, s'efforcent actuellement de se surpasser par le progrès matériel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, à travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre éternelle a placé son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses. Adieu, vieillard, et pense à moi, si tu m'as lu. Toi, jeune homme, ne te désespère point; car, tu as un ami dans le vampire, malgré ton opinion contraire. En comptant l'acarus sarcopte qui produit la gale, tu auras deux amis.

FIN DU PREMIER CHANT

      CHANT DEUXIÈME

      Où est-il passé ce premier chant de Maldoror, depuis que sa bouche, pleine des feuilles de la belladone, le laissa échapper, à travers les royaumes de la colère, dans un moment de réflexion? Où est passé ce chant … On ne le sait pas au juste. Ce ne sont pas les arbres, ni les vents qui l'ont gardé. Et la morale, qui passait en cet endroit, ne présageant pas qu'elle avait, dans ces pages incandescentes, un défenseur énergique, l'a vu se diriger, d'un pas ferme et droit, vers les recoins obscurs et les fibres secrètes des consciences. Ce qui est du moins acquis à la science, c'est que, depuis ce temps, l'homme, à la figure de crapaud, ne se reconnaît plus lui-même, et tombe souvent dans des accès de fureur qui le font ressembler à une bête des bois. Ce n'est pas sa faute. Dans tous les temps, il avait cru, les paupières ployant sous les résédas de la modestie, qu'il n'était composé que de bien et d'une quantité minime de mal. Brusquement je lui appris, en découvrant au plein jour son cœur et ses trames, qu'au contraire il n'est composé que de mal, et d'une quantité minime de bien que les législateurs ont de la peine à ne pas laisser évaporer. Je voudrais qu'il ne ressente pas, moi, qui ne lui apprends rien de nouveau, une honte éternelle pour mes amères vérités; mais, la réalisation de ce souhait ne serait pas conforme aux lois de la nature. En effet, j'arrache le masque à sa figure traîtresse et pleine de boue, et je fais tomber un à un, comme des boules d'ivoire sur un bassin d'argent, les mensonges sublimes avec lesquels il se trompe lui-même: il est alors compréhensible qu'il n'ordonne pas au calme d'imposer les mains sur son visage, même quand la raison disperse les ténèbres de l'orgueil. C'est pourquoi, le héros que je mets en scène s'est attiré une haine irréconciliable, en attaquant l'humanité, qui se croyait invulnérable, par la brèche d'absurdes tirades philanthropiques; elles sont entassées, comme des grains de sable, dans ses livres, dont je suis quelquefois sur le point, quand la raison m'abandonne, d'estimer le comique si cocasse, mais ennuyant. Il l'avait prévu. Il ne suffit pas de sculpter la statue de la bonté sur le fronton des parchemins que contiennent les bibliothèques. O être humain! te voilà, maintenant, nu comme un ver, en présence de mon glaive de diamant! Abandonne ta méthode: il n'est plus temps de faire l'orgueilleux: j'élance vers toi ma prière, dans l'attitude de la prosternation. Il y a quelqu'un qui observe les moindres mouvements de ta coupable vie; tu es enveloppé par les réseaux subtils de sa perspicacité acharnée. Ne te fie pas à lui, quand il tourne les reins; car, il te regarde; ne te fie pas à lui, quand il ferme les yeux; car, il te regarde encore. Il est difficile de supposer que, touchant les ruses et la méchanceté, ta redoutable résolution soit de surpasser l'enfant de mon imagination. Ses moindres coups portent. Avec des précautions, il est possible d'apprendre à celui qui croit l'ignorer que les loups et les brigands ne se dévorent pas entre eux: ce n'est peut-être pas leur coutume. Par conséquent, remets sans peur, entre ses mains, le soin de ton existence: il la conduira d'une manière qu'il connaît. Ne crois pas à l'intention qu'il fait reluire au soleil de te corriger; car, tu l'intéresses médiocrement, pour ne pas dire moins; encore n'approché-je pas, de la vérité totale, la bienveillante mesure de ma vérification. Mais, c'est qu'il aime à te faire du mal, dans la légitime persuasion que tu deviennes aussi méchant que lui, et que tu l'accompagnes dans le gouffre béant de l'enfer, quand son heure sonnera. Sa place est depuis longtemps marquée, à l'endroit où l'on remarque une potence en fer, à laquelle sont suspendus des chaînes et des carcans. Quand la destinée l'y portera, le funèbre entonnoir n'aura jamais goûté de proie plus savoureuse, ni lui contemplé de demeure plus convenable. Il me semble que je parle d'une manière intentionnellement paternelle, et que l'humanité n'a pas le droit de se plaindre.

      Je saisis la plume qui va construire le deuxième chant … instrument arraché aux ailes de quelque pygargue roux! Mais … qu'ont-ils donc mes doigts? Les articulations demeurent paralysées, dès que je commence mon travail. Cependant, j'ai besoin d'écrire … C'est impose cible! Eh bien, je répète que j'ai besoin d'écrire ma pensée: j'ai le droit, comme un autre, de me soumettre à cette loi naturelle … Mais non, mais non, la plume reste inerte!… Tenez, voyez, à travers les campagnes, l'éclair qui brille au loin. L'orage parcourt l'espace. Il pleut … Il pleut toujours … Comme il pleut!… La foudre a éclaté … elle s'est abattue sur ma fenêtre entr'ouverte, et m'a étendu sur le carreau, frappé au front. Pauvre jeune homme! ton visage était déjà assez maquillé par les rides précoces et la difformité de naissance, pour ne pas avoir besoin, en outre, de cette longue cicatrice sulfureuse! (Je viens de supposer que la blessure est guérie, ce qui n'arrivera pas de sitôt.) Pourquoi cet orage, et pourquoi la paralysie de mes doigts? Est-ce un avertissement d'en haut pour m'empêcher d'écrire, et de mieux considérer ce à quoi je m'expose, en distillant la bave de ma bouche carrée? Mais, cet orage ne m'a pas causé la crainte. Que m'importerait une légion d'orages! Ces agents de la police céleste accomplissent avec zèle leur pénible devoir, si j'en juge sommairement par mon front blessé. Je n'ai pas à remercier le Tout-Puissant de son adresse remarquable; il a envoyé la foudre de manière à couper précisément mon visage en deux, à partir du front, endroit où la blessure a été le plus dangereuse: qu'un autre le félicite! Mais, les orages attaquent quelqu'un de plus fort qu'eux. Ainsi donc, horrible Éternel, à la figure de vipère, il a fallu que non-content d'avoir placé mon âme entre les frontières