Les mystères d'Udolphe. Анна Радклиф. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Анна Радклиф
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Ужасы и Мистика
Год издания: 0
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Le vieillard parlait de sa famille, et Saint-Aubert ne disait rien. Je n'ai plus qu'une fille, dit Voisin; mais elle est heureusement mariée, et me tient lieu de tout. Quand je perdis ma femme, ajouta-t-il en soupirant, j'allai me réunir avec Agnès et sa famille. Elle a plusieurs enfants que vous voyez danser là-bas, gais et dispos comme des pinsons. Puissent-ils être toujours ainsi! J'espère mourir au milieu d'eux, monsieur; je suis vieux maintenant, je n'ai pas bien longtemps à vivre; mais il y a de la consolation à mourir parmi ses enfants.

      –Mon bon ami, dit Saint-Aubert d'une voix tremblante, vous vivrez, je l'espère, longtemps au milieu d'eux.

      –Ah! monsieur, à mon âge je ne dois pas m'attendre à cela. Le vieillard fit une pause. C'est à peine si je le désire, reprit-il ensuite. J'ai confiance que si je meurs, j'irai tout droit au ciel; ma pauvre femme y est avant moi. Le soir, au clair de la lune, je crois la voir errer près de ces bois qu'elle aimait tant. Croyez-vous, monsieur, que nous puissions visiter la terre, quand nous aurons quitté nos corps?

      –N'en doutez pas, lui répliqua Saint-Aubert; les séparations seraient trop douloureuses, si nous les croyions éternelles. Oui, ma chère Emilie, nous nous retrouverons un jour. Il leva les yeux au ciel, et les rayons de la lune, qui tombaient sur lui, montrèrent toute la paix et la résignation de son âme, malgré l'expression de la tristesse.

      Voisin sentit qu'il avait trop prolongé le sujet; il coupa court, en disant: Nous sommes dans l'obscurité, il nous faudrait une lumière.

      –Non, lui dit Saint-Aubert, j'aime cette clarté; remettez-vous, mon cher ami. Emilie, mon amour, je me trouve mieux à présent que je n'ai été de tout le jour. Cet air me rafraîchit, je goûte ce repos, je me plais à cette musique qu'on entend dans l'éloignement. Laissez-moi vous voir sourire! Qui touche si bien cette guitare? dit-il ensuite; sont-ce deux instruments, ou bien est-ce un écho?

      –C'est un écho, monsieur, du moins je l'imagine. J'ai souvent entendu cet instrument la nuit, quand tout était calme; mais personne ne connaît celui qui le touche. Quelquefois une voix l'accompagne, mais une voix si douce et si triste, qu'on pourrait croire qu'il revient dans les bois.—Il y revient sans doute, dit Saint-Aubert en souriant, mais ce sont des vivants.—Quelquefois, à minuit, quand je ne pouvais dormir, dit Voisin qui ne remarqua pas l'observation, quelquefois je l'ai entendue presque sous ma fenêtre, et jamais je n'entendis musique semblable. Elle me faisait penser à ma pauvre femme, et je pleurais. J'ai quelquefois ouvert ma fenêtre, pour voir si j'apercevrais quelqu'un; mais au même instant l'harmonie cessait, et l'on ne voyait personne. J'écoutais, j'écoutais avec tant de recueillement, que le bruit d'une feuille ou le moindre vent finissait par me faire frémir. On disait que cette musique était une annonce de mort; mais il y a bien des années que je l'entends, j'ai toujours survécu à ce triste présage.

      Emilie sourit à une superstition si ridicule; et pourtant, dans l'état où était son esprit, elle ne put tout à fait résister à son impression contagieuse.

      –C'est fort bien, mon cher ami, dit Saint-Aubert; mais personne n'a-t-il jamais eu le courage de suivre le son? si on l'eût fait, le musicien eût été connu.—Oui, monsieur, on l'a tenté, on a suivi jusque dans les bois, mais la musique se retirait et semblait toujours dans le même éloignement; nos gens ont eu peur, et n'ont pas voulu aller plus loin. Il est rare qu'on l'entende d'aussi bonne heure qu'aujourd'hui, c'est ordinairement vers minuit, quand cette brillante planète, qui est maintenant au-dessus de ces tourelles, descend au-dessous des bois à gauche.

      –Quelles tourelles? demanda vivement Saint-Aubert, je n'en vois point.

      –Pardonnez-moi, monsieur, vous en voyez une, la lune donne dessus; vous voyez l'avenue, et le château est caché presque entièrement dans les arbres.

      –Oui, mon papa, dit Emilie en regardant; ne voyez-vous pas quelque chose qui brille au-dessus du bois? C'est une girouette, je pense, sur laquelle se portent les rayons.

      –Oui, je vois ce que vous voulez dire. A qui est ce château?

      –Le marquis de Villeroi en était possesseur, dit Voisin avec un air important.

      –Ah! dit Saint-Aubert fort agité, sommes-nous donc si près de Blangy?

      –C'était la demeure favorite du marquis, reprit Voisin; mais il l'avait en aversion, et n'y est pas revenu depuis bien des années: on nous a dit qu'il était mort depuis peu, et que cette terre était passée en d'autres mains.—Saint-Aubert, qui était tombé dans la rêverie, en sortit à ces derniers mots: Mort! s'écria-t-il, grand Dieu! et quand est-il mort?

      –On nous a dit qu'il y avait environ quatre semaines, répliqua Voisin: connaissez-vous le marquis, monsieur?

      –Cela est bien extraordinaire, dit Saint-Aubert sans s'arrêter à la question.—Pourquoi cela est-il si extraordinaire? dit Emilie avec une curiosité timide.—Il ne répondit pas, et retomba dans sa méditation; quelques moments après il parut en sortir, et demanda quel était son héritier.—J'ai oublié son nom, dit Voisin; mais je sais que ce seigneur habite Paris, et je n'entends pas dire qu'il songe à venir dans son château.

      –Le château est-il encore fermé?

      –A peu près, monsieur; la vieille femme de charge et son mari en ont soin; mais ils vivent dans une chaumière qui n'en est pas éloignée.

      –Le château est spacieux, dit Emilie; il doit être désert s'il n'a que deux habitants.

      –Désert! oh oui, mademoiselle, répondit Voisin: je ne voudrais pas y passer la nuit pour le monde entier.

      –Que dites-vous? reprit Saint-Aubert en sortant de sa rêverie; l'hôte répéta. Saint-Aubert ne put retenir une espèce de sanglot; mais comme s'il eût voulu prévenir les remarques, il demanda promptement à Voisin combien de temps il avait passé dans le pays?—Presque depuis mon enfance, répondit l'hôte.

      –Vous rappelez-vous la feue marquise? dit Saint-Aubert d'une voix altérée.

      –Ah! monsieur, si je me la rappelle; il y en a bien d'autres que moi qui ne l'ont pas oubliée.

      –Oui, reprit Saint-Aubert, et je suis un de ceux-là.

      –Hélas! monsieur, vous vous souvenez alors d'une belle et excellente dame; elle méritait un meilleur sort.

      Des larmes coulèrent des yeux de Saint-Aubert: C'est assez, dit-il d'une voix presque étouffée, c'est assez, mon ami.

      Emilie, quoique extrêmement surprise, ne se permit de manifester ses sentiments par aucune question.—Voisin voulut s'excuser, mais Saint-Aubert l'interrompit: L'apologie est inutile, lui dit-il, changeons plutôt de conversation. Vous parliez de la musique que nous venons d'entendre.

      –Oui, monsieur: mais chut, elle revient; écoutez cette voix. Ils entendirent, en effet, une voix douce, harmonieuse et tendre, mais dont les sons faiblement articulés ne permettaient de rien distinguer qui ressemblât à des mots. Bientôt elle s'arrêta, et l'instrument qu'on avait entendu fit entendre les accords les plus doux.—Saint-Aubert observa que les tons en étaient plus pleins, plus mélodieux que ceux d'une guitare, et encore plus mélancoliques que ceux d'un luth. Ils continuèrent d'écouter, mais les sons ne revinrent plus.

      –Cela est étrange, dit Saint-Aubert, qui rompit enfin le silence.—Très-étrange, dit Emilie.—Cela est vrai, dit Voisin. Et ils restèrent en silence.

      Après une longue pause, Voisin reprit: Il y a environ dix-huit ans que, pour la première fois, j'entendis cette musique; c'était, je m'en souviens, par une belle nuit d'été comme celle-ci, mais il était plus tard. Je me promenais dans les bois, j'étais seul; je me souviens aussi que j'étais fort affecté, j'avais un de mes enfants malade, et nous craignions beaucoup de le perdre; j'avais veillé près de son lit toute la soirée pendant que sa mère dormait, car elle l'avait veillé toute la nuit précédente. Je sortis pour prendre un peu l'air: la journée avait été fort chaude; je me promenais sous ces arbres, et je rêvais; j'entendis une musique dans l'éloignement, et je pensai que c'était Claude qui jouait de son chalumeau; il s'en amusait fort souvent. Quand la soirée était belle, il restait à jouer sur sa porte; mais quand je vins à un endroit où les arbres s'ouvraient (de