«Les nations, dit-il, ne sont pas créées pour la gloire des rois, et vous n'avez vu dans les trophées que des sanglants fardeaux pour les peuples.....
«Jusqu'à ce jour l'Europe a présenté un spectacle affligeant de grandeur apparente et de misère réelle: on n'y comptait que des maisons de princes et des intérêts de familles; les nations n'y avaient qu'une existence accessoire et précaire. On possédait un empire comme des troupeaux; pour les menus plaisirs d'une fête, on ruinait une contrée; pour les pactes de quelques individus, on privait un pays de ses avantages naturels; la paix du monde dépendait d'une pleurésie, d'une chute de cheval; l'Inde et l'Amérique étaient plongées dans les calamités de la guerre pour la mort d'un enfant, et les rois, se disputant son héritage, vidaient leur querelle par le duel des nations.»
Il finit par proposer un décret remarquable qui se terminait par ces mots:
«La nation française s'interdit dès ce moment d'entreprendre aucune guerre tendante à accroître son territoire.»
Cette proposition fait honneur au patriotisme éclairé de Volney, et l'assemblée se hâta d'en consacrer le principe dans la loi qui intervint. Ce fut cette même année que, sur la proposition de Mirabeau, on s'occupa de la vente des domaines nationaux; Volney publia dans le Moniteur quelques réflexions où il pose ces principes:
«La puissance d'un état est en raison de sa population; la population est en raison de l'abondance; l'abondance est en raison de l'activité de la culture, et celle-ci en raison de l'intérêt personnel et direct, c'est-à-dire de l'esprit de propriété: d'où il suit que plus le cultivateur se rapproche de l'état passif de mercenaire, moins il a d'industrie et d'activité; au contraire, plus il est près de la condition de propriétaire libre et plénier, plus il développe les forces et les produits de la terre et la richesse générale de l'État.»
En suivant ce raisonnement si juste et si péremptoire, on arrive naturellement à cette conséquence, qu'un État est d'autant plus puissant qu'il compte un plus grand nombre de propriétaires, c'est-à-dire, une plus grande division de propriétés.
Jamais aucune assemblée législative n'avait offert une plus belle réunion d'orateurs célèbres. Dans les discussions importantes, ils se pressaient en foule à la tribune; tous brûlaient du désir de soutenir la cause de la liberté, mais de cette liberté sage et limitée, premier droit des peuples.
Tout le monde connaît ce mouvement oratoire de Mirabeau dans une discussion relative au clergé:.... Je vois d'ici la fenêtre d'où la main sacrilège d'un de nos rois, etc.;..... mais peu de personnes savent à qui ce mouvement oratoire fut emprunté. Vingt députés assiégeaient les degrés de la tribune nationale. «Vous aussi! dit Mirabeau à Volney qui tenait un discours à la main.—Je ne vous retarderai pas long-temps;—Montrez-moi ce que vous avez à dire.... Cela est beau, sublime;.... mais ce n'est pas avec une voix faible, une physionomie calme, qu'on tire parti de ces choses-là; donnez-les moi.» Mirabeau fondit dans son discours le passage relatif à Charles IX, et en tira un des plus grands effets qu'ait jamais produits l'éloquence.
C'était peu pour le représentant du peuple de se dévouer tout entier aux intérêts de son pays, il sacrifiait encore ses veilles à l'instruction de ses concitoyens.
Amant passionné de la liberté, ennemi déclaré de tout pouvoir absolu, Volney reconnut qu'il n'y avait que la raison qui pût terrasser le despotisme militaire et religieux. Dans le cours de ses longs voyages, il avait toujours vu la tyrannie croître en raison directe de l'ignorance. Il avait parcouru ces brûlantes contrées, asile des premiers chrétiens, et maintenant patrie des enfants de Mahomet. Il avait suivi avec terreur les traces profondes des maux enfantés par un fanatisme aveugle; il avait vu les peuples d'autant plus ignorants qu'ils étaient plus religieux, d'autant plus esclaves et victimes de préjugés absurdes qu'ils étaient plus attachés à la foi mensongère de leurs aïeux. Il avait vu les hommes plus ou moins plongés dans d'épaisses ténèbres; il conçut le hardi projet de les éclairer du flambeau de la saine philosophie. C'était s'imposer la tâche de saper jusque dans sa base le monstrueux édifice des préjugés et des superstitions; il fallait pulvériser les traditions absurdes, les prophéties mensongères, réfuter toutes les saintes fables, et parler enfin aux hommes le langage de la raison. Il médita long-temps ce sujet important, et publia8 le fruit de ses réflexions sous le titre de Ruines, ou Méditation sur les révolutions des empires.
Dans ce bel ouvrage9 «il nous ramène à l'état primitif de l'homme, à sa condition nécessaire dans l'ordre général de l'univers; il recherche l'origine des sociétés civiles et les causes de leurs formations, remonte jusqu'aux principes de l'élévation des peuples et de leur abaissement, développe les obstacles qui peuvent s'opposer à l'amélioration de l'homme.» En philosophe habile, en profond connaisseur du cœur humain, il ne se borne pas à émettre des préceptes arides; il sait captiver l'attention et s'attacher à rendre attrayante l'austère vérité; il anime ses tableaux. Tout-à-coup il dévoile à nos regards une immense carrière, il représente à nos yeux étonnés une assemblée générale de tous les peuples. Toutes les passions, toutes les sectes religieuses sont en présence; c'est un combat terrible de la vérité contre l'erreur. Il dépouille d'une main hardie le fanatisme de son masque hypocrite, il brise les fers honteux forgés par des hommes sacriléges; il les montre toujours guidés par un vil intérêt, établissant leurs jouissances égoïstes sur le malheur des humains, et s'appliquant exclusivement à les maintenir dans une ignorance profonde. Il leur fait apparaître la liberté comme une déesse vengeresse; et comme la tête de Méduse, son nom seul frappe d'effroi tous les oppresseurs, et réveille l'espoir dans le cœur des opprimés. Le premier élan des peuples éclairés est pour la vengeance; mais le sage législateur calme leur fureur, réprime leur impétuosité, en leur apprenant que la liberté n'existe que par la justice, ne s'obtient que par la soumission aux lois, et ne se conserve que par l'observation de ses devoirs.
Dès 1790, il avait pressenti les conséquences terribles qu'auraient sur nos colonies les principes, et surtout la conduite de quelques soi-disant amis des noirs. Il conçut que ce pourrait être une entreprise d'un grand avantage public et privé, d'établir dans la Méditerranée la culture des productions du tropique; et parce que plusieurs plages de la Corse sont assez chaudes pour nourrir en pleine terre des orangers de 20 pieds de hauteur, des bananiers, des dattiers, et que des échantillons de coton avaient déja réussi, il conçut le projet d'y cultiver et de susciter par son exemple ce genre d'industrie.
Volney se rendit en Corse en 1792, et y acheta le domaine de la Confina, près d'Ajaccio; il y fit faire à ses frais des essais dispendieux, et bientôt des productions nouvelles vinrent attester que la France, plus que tout autre pays, pourrait prétendre à l'indépendance commerciale, puisque déja si riche de ses propres produits, elle pourrait encore offrir ceux du Nouveau-Monde. Mais ce n'était pas seulement vers l'amélioration de l'agriculture que se dirigeaient les efforts de Volney: il méditait sur la Corse un ouvrage dont la perfection aurait sans doute égalé l'importance, si nous en jugeons toutefois par les fragments qu'il en a laissés.
Les troubles que Pascal Paoli suscita en Corse, forcèrent Volney d'interrompre ses travaux et de quitter cette île. Le domaine de la Confina, que l'auteur des Ruines appelait ses Petites-Indes, fut mis à l'encan par ce même Paoli, qui lui avait donné tant de fois l'assurance d'une sincère amitié.
C'est pendant ce voyage en Corse qu'il fit la connaissance du jeune Bonaparte, qui n'était encore qu'officier d'artillerie. Le jugement qu'il émit dès lors est un de ceux qui démontrent le plus à quel haut degré il portait le génie de l'observation. Quelques années après, ayant appris en Amérique que le commandement de l'armée d'Italie venait de lui être confié: «Pour peu que les circonstances le secondent, dit-il en présence de plusieurs réfugiés français, ce sera la tête de César sur les épaules d'Alexandre.»
Cependant la liberté