Les moments perdus de John Shag. Auguste Gilbert de Voisins. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Auguste Gilbert de Voisins
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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d'un herboriste assurément… parfum médicinal de vieille prairie… parfum de fenaison conservée. Les bottes de verdure sont pendues au plafond, je pense. On doit vendre, là, des onguents, des drogues brevetées, du papier gommé pour tuer les mouches… Sans doute la patronne est-elle sage-femme… Et voici une odeur matinale de linge humide.

      Je me déplace à travers ces odeurs. Chaque pas que je fais m'en livre une nouvelle. Il me semble que je les rencontre, comme l'on rencontre des personnes.—Je tiens certaines d'entre elles pour des amies, certaines ont seulement des traits connus,—certaines sont étrangères et me surprennent.

      Ce parfum violent! je l'ai respiré, il y a quelque temps, sur la gorge d'une fille du port. Cela s'achète au bazar… cinq sous le flacon… C'est un peu graisseux.—La fille s'achète aussi, quelques pas plus loin, à prix modique.

      Oh! les fruits, encore! les fruits de tout à l'heure! Un étalage s'ouvrait là durant le jour.

      Tandis que je change ainsi d'odeurs, ma mémoire va et vient, me rapportant des analogies, me rappelant des odeurs de même vertu, de même couleur,—des odeurs parentes.

      Vous connaissez l'enivrante odeur de feuilles mortes et mouillées que l'on découvre parfois en forêt? Je l'aime. Sous les branches, elle croupit, chargée d'éther, s'exhalant lourdement, lente et génératrice. Elle s'attache aux mousses d'alentour et les brises la portent mal… Je viens de la rencontrer. Que fait-elle ici?… Un rat énorme sortait d'une bouche d'égout, à mes pieds, quand, soudain, l'odeur aimée me toucha.

      Tout à fait la même?… peut-être pas… mais si semblable!… Dans la fraîche forêt d'Ecosse, te rappelles-tu le beau crépuscule?… nous rôdions ensemble, écoutant le chant d'une source, quand nous devinâmes le parfum tout proche. Alors nous nous tûmes, afin de ne point l'effaroucher… comme nous l'aurions fait pour un rayon de lune ou pour le rossignol.

      Mais l'odeur est courte, elle vient de se dissiper, et cette ruelle m'apporte déjà la senteur de la mer.—Marchons encore… Il est tôt… l'air fraîchit…

      Halte! halte! Voici la surprise!… Derrière ces volets, je vois une très faible lumière rouge. Ils ont laissé leurs fenêtres ouvertes… Respirons bien l'odeur! goûtons-la tout entière!—Ah! les sampans qui se balancent… et la chute du soleil à l'horizon du Faï-tsi-loung… et le bruit de cuivre d'un gong… C'est de l'opium qui s'exhale d'une fumerie… c'est de la fumée secrète et grise qui fuit… avec un peu de l'odeur d'un corps de femme.

      Toulon.

      7

      POUR LA LUNE

      Je voudrais bien chanter une louange qui te fût agréable! mais tant d'autres l'ont fait avant moi! Tant d'autres ont composé des litanies, des ballades, des sonnets et des centons de pauvres vers, afin de te célébrer, bel astre orphelin, fille plâtrée, céleste assiette, odalisque pour jeunes gens pâles!

      Tu m'intéresses, car je sais que tu me comprends; je t'aime, parce que tu m'écoutes, même lorsque je divague, même lorsque tu ne me réponds pas. Tu as une façon plaisante et polie de prêter l'oreille à mes effusions. Je t'ai lu de nombreuses poésies et jamais tu n'as fait une critique; cela me fut très doux.

      Je souffre de ne point te témoigner dignement ma tendresse, mais, pour qu'une ode, fût-elle en prose, te satisfît, il faudrait que j'eusse à ma disposition tout un lot d'adjectifs, de substantifs et de verbes frais, or je t'assure qu'il n'y en a plus! Tout est rance, tout est connu, tout a servi! Je tomberais dans le plagiat dès la première ligne!

      Et pourtant, je voudrais parler de toi, belle médaille sans revers, pièce d'argent mat, chère incuse! Je voudrais connaître l'artiste qui te frappa, les dieux qui te manièrent, avant de te placer dans l'azur, et les longues nuits qui t'ont donné la patine qui te singularise.

      J'aime ta couleur, où l'on retrouve des reflets d'infusions aromatiques; j'aime le profil qui sourit sur ta face, si l'on veut bien y regarder de près; j'aime tes fantaisies et les fantaisies que tu m'inspires, et les rêves que tu conduis dans ma pauvre cervelle…

      Je t'aime tout entière et de tout mon amour!

      8

      LE VOYAGEUR

      Il sortait de la taverne accroupie près de ma petite maison, quand, se tournant vers moi qui rentrais, il me regarda.—Son front était couvert de poussière, ses habits étaient misérables. A la main, il portait un bâton, à la ceinture, une gourde qu'il venait sans doute de remplir. Il paraissait heureux. Dans le fond de ses prunelles grises, on voyait des vagues et des nuages.—Bien que ne le connaissant pas, je pensai l'avoir vu, aux heures où le crépuscule repousse doucement les arbres vers la nuit.

      Il me dit:

      «Savoures-tu les délices d'une halte? Sais-tu si la fille d'auberge sourit toujours, comme autrefois? Comprends-tu le chant des oiseaux et celui des ondes? As-tu cultivé l'espérance et le regret?»

      Je répondis:

      «Non! je ne connais que les grillons de mon âtre et le chant du coq d'or qui perche sur mon clocher. On m'a beaucoup parlé du regret et de l'espérance, mais je ne comprends bien que la facile vertu de vivre sans tourner la tête, et j'attendrai la mort sans lever le front.—Il est bon de rester près de soi-même, en sa maison.

      –Ne parle pas ainsi, me dit le voyageur. Les assiettes de faïence pendues à tes murs ne sont guère que des ornements… Ecoute-moi! La source très lointaine que je rappelle à mon souvenir, jadis, j'y fus plonger ma face. La source était fraîche… elle n'a rien perdu de sa fraîcheur. Quitte tes assiettes de faïence: elles gagneront en beauté.—Une heure fait un souvenir que l'absence rend plus cher.

      –Ne puis-je donc imaginer?

      –Non, puisque tu n'as rien vu.

      –Ne puis-je sentir sur ma joue le souffle des palmes balancées?

      –Non, car jamais elles ne t'éventèrent.—On rêve des seules choses que l'on a pu toucher ou de celles, trop distantes pour être atteintes, mais que l'on aperçut.

      –Pourquoi partir, si l'ennui me ramène?

      –L'ennui trébuche, dès que je ferme les yeux, car, aussitôt, dans l'ombre, je vois une féerie, comme font les spirites dans un cristal.—Et toi? quels sont tes souvenirs?

      –Je ne me souviens que de moi-même ou d'histoires inventées.

      –Alors, viens avec moi! Je te montrerai de vivantes oasis, la lune rouge qui s'élève des sables, une fille nue avec des sources bouillonnant autour, des flamants, ces grandes fleurs de l'air, aux tiges élancées, le doigt de l'aurore sur la dune, et tu respireras tous les jasmins du soir.

      –Ne me perdrai-je pas entre tant de choses nouvelles? Ne regretterai-je pas?

      –Non, car nous reviendrons emplir ici nos gourdes et boirons l'eau natale avant de repartir.»

      Les hirondelles de mon toit vinrent en piaillant m'entourer d'un cercle d'ailes, mais je pus m'évader et je suivis le Voyageur.

      9

      CORINNE

      Je fus présenté à Corinne, aujourd'hui même, à l'heure où elle mange des gâteaux et boit du thé.

      Corinne est une femme exquise.—Dès le premier instant, elle m'avoua qu'elle ne vivait plus que dans l'attente de ma visite, puis, ayant sucré les tasses des autres invités, elle m'entraîna dans un coin du salon où une lampe voilée de mauve donnait de la pénombre, et m'entreprit sur mon dernier voyage.

      Elle m'assura que son plus cher désir était de voir une forêt de palétuviers, que son âme se sentait prisonnière dans ce grand Paris ennemi, que j'avais compris le tourment de sa solitude, les nuances de sa tristesse, la qualité de ses plaisirs, et qu'enfin mon dernier livre, d'une forme incomparable, souverain par l'inspiration, l'émouvait de façon prodigieuse.

      Je feignis d'être flatté, bien que le volume dont elle parlait avec un enthousiasme si convaincu, traitât de la mévente des