Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour. Louis Constant Wairy. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Louis Constant Wairy
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: История
Год издания: 0
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c'est juste, Monsieur; dans la garde.» Le nouveau capitaine reçut peu de jours après le brevet qu'il devait à sa présence d'esprit, mais qu'il avait auparavant bien mérité par sa bravoure et sa capacité.

      À une autre revue, Sa Majesté aperçut dans les rangs d'un régiment de ligne un vieux soldat dont le bras était décoré de trois chevrons. Elle le reconnut aussitôt pour l'avoir vu à l'armée d'Italie, et s'approchant de lui:—«Eh bien! mon brave, pourquoi n'as-tu pas la croix? tu n'as pourtant pas l'air d'un mauvais sujet.—Sire, répondit la vieille moustache avec une gravité chagrine, on m'a fait trois fois la queue pour la croix.—On ne te la fera pas une quatrième,» reprit l'empereur; et il ordonna au maréchal Berthier de porter sur la liste de la plus prochaine promotion le brave, qui fut en effet bientôt chevalier de la Légion-d'Honneur.

      CHAPITRE IV

      Le pape quitte Rome pour venir couronner l'empereur.—Il passe le Mont-Cénis.—Son arrivée en France.—Enthousiasme religieux.—Rencontre du pape et de l'empereur.—Finesses d'étiquette.—Respect de l'empereur pour le pape.—Entrée du pape à Paris.—Il loge aux Tuileries.—Attentions délicates de l'empereur, et reconnaissance du Saint-Père.—Le nouveau fils aîné de l'église.—Portrait de Pie VII.—Sa sobriété non imitée par les personnes de sa suite.—Séjour du pape à Paris.—Empressement des fidèles.—Visite du pape aux établissemens publics.—Audiences du pape, dans la grande salle du musée.—L'auteur assiste à une de ces réceptions.—La bénédiction du pape.—Le souverain pontife et les petits enfans.—Costume du Saint-Père.—Le pape et madame la comtesse de Genlis.—Les marchands de chapelets.—Le 2 décembre 1804.—Mouvement dans le château des Tuileries.—Lever et toilette de l'empereur.—Les fournisseurs et leurs mémoires.—Costume de l'empereur, le jour du sacre.—Constant remplissant une des fonctions du premier chambellan.—Le manteau du sacre et l'uniforme de grenadier.—Joyaux de l'impératrice.—Couronne, diadème et ceinture de l'impératrice.—Le sceptre, la main de justice et l'épée du sacre.—MM. Margueritte, Odiot et Biennais, joailliers.—Voiture du pape. Le premier camérier et sa monture.—Voiture du sacre.—Singulière méprise de Leurs Majestés.—Cortége du sacre.—Cérémonie religieuse.—Musique du sacre.—M. Lesueur et la marche de Boulogne.—Joséphine couronnée par l'empereur.—Le regard d'intelligence.—Le couronnement et l'idée du divorce.—Chagrin de l'empereur et ce qui le causait.—Serment du sacre.—La galerie de l'archevêché.—Trône de Leurs Majestés.—Illuminations.—Présens offerts par l'empereur à l'église de Notre-Dame.—La discipline et la tunique de saint Louis.—Médailles du couronnement de l'empereur.—Réjouissances publiques.

      Le pape Pie VII avait quitté Rome au commencement de novembre. Sa sainteté, accompagnée par le général Menou, administrateur du Piémont, arriva sur le Mont-Cénis le 15 novembre au matin. On avait jalonné et aplani la route du Mont-Cénis, et tous les points périlleux avaient été garnis de barrières. Le Saint-Père fut complimenté par M. Poitevin-Maissemy, préfet du Mont-Blanc. Après une courte visite à l'hospice, il fit la traversée du mont, dans une chaise à porteurs, escorté d'une foule immense qui se précipitait pour recevoir sa bénédiction.

      Le 17 novembre, Sa Sainteté remonta en voiture et fit ainsi le reste du chemin, toujours aussi accompagnée. L'empereur alla au devant du Saint-Père, et ce fut sur la route de Nemours, dans la forêt de Fontainebleau, qu'ils se rencontrèrent. L'empereur descendit de cheval, et les deux souverains rentrèrent à Fontainebleau dans la même voiture. On dit que pour que l'un ne prît point le pas sur l'autre, ils y étaient montés en même temps, Sa Majesté par la portière de droite, Sa Sainteté par la portière de gauche. Je ne sais si l'empereur usa de précautions et de finesses pour éviter de compromettre sa dignité; mais ce que je sais bien, c'est qu'il eût été impossible d'avoir plus d'égards et d'attentions qu'il n'en eut pour le vénérable vieillard. Le lendemain de son arrivée à Fontainebleau, le pape fit son entrée à Paris, avec tous les honneurs que l'on rendait ordinairement au chef de l'empire; un logement lui avait été préparé aux Tuileries, dans le pavillon de Flore; et par suite de la recherche délicate et affectueuse que Sa Majesté avait mise dès le commencement à bien recevoir le Saint-Père, celui-ci trouva son appartement distribué et meublé exactement comme celui qu'il occupait à Rome; il témoigna vivement sa surprise et sa reconnaissance d'une attention que lui-même, dit-on, appela délicatement, toute filiale, voulant faire allusion en même temps au respect que l'empereur lui avait montré en toute occasion, et au nouveau titre de fils aîné de l'église, que Sa Majesté allait prendre avec la couronne impériale.

      Chaque matin, j'allais, par ordre de Sa Majesté, demander des nouvelles du Saint-Père. Pie VII avait une noble et belle figure, un air de bonté angélique, la voix douce et sonore; il parlait peu, lentement, mais avec grâce; d'une simplicité extrême et d'une sobriété incroyable; il était indulgent et sans rigueur pour les autres. Aussi, sous le rapport de la bonne chère, les personnes de sa suite ne se piquaient pas de l'imiter, mais profitaient au contraire largement de l'ordre qu'avait donné l'empereur, de fournir tout ce qui serait demandé. Les tables qui leur étaient destinées étaient abondamment et même magnifiquement servies; ce qui n'empêchait pas qu'un panier de chambertin ne fût demandé chaque jour pour la table particulière du pape, qui dînait tout seul et ne buvait que de l'eau.

      Le séjour de près de cinq mois que le Saint-Père fit à Paris, fut un temps d'édification pour les fidèles, et Sa Sainteté dut emporter la meilleure idée d'une population qui, après avoir cessé de pratiquer et de voir pendant plus de dix ans les cérémonies de la religion catholique, les avait reprises avec une avidité inexprimable. Lorsque le pape n'était pas retenu dans ses appartemens par la délicatesse de sa santé, pour laquelle la différence du climat, comparé à celui de l'Italie, et la rigueur de la saison l'obligeaient à prendre de grandes précautions, il visitait les églises, les musées et les établissemens d'utilité publique. Quand le mauvais temps l'empêchait de sortir, on présentait à Pie VII, dans la grande galerie du musée Napoléon, les personnes qui demandaient cette faveur. Je fus un jour prié par des dames de ma connaissance de les conduire à cette audience du Saint-Père, et je me fis un plaisir de les accompagner.

      La longue galerie du musée était occupée par une double haie d'hommes et de dames. La plupart de celles-ci étaient des mères de famille, et elles avaient leurs enfans autour d'elles ou dans leurs bras, pour les présenter à la bénédiction du Saint-Père. Pie VII arrêtait ses regards sur ces groupes d'enfans avec une douceur et une bonté vraiment angélique. Précédé du gouverneur du musée, et suivi des cardinaux et des seigneurs de sa maison, il s'avançait lentement entre deux rangs de fidèles agenouillés sur son passage; souvent il s'arrêtait pour poser sa main sur la tête d'un enfant, adresser quelques mots à la mère, et donner son anneau à baiser. Son costume était une simple soutane blanche, sans aucun ornement. Au moment où le pape allait arriver à nous, le directeur du musée présenta une dame qui attendait à genoux, comme les autres, la bénédiction de Sa Sainteté. J'entendis M. le directeur nommer cette dame, madame la comtesse de Genlis. Le Saint-Père, après lui avoir tendu son anneau, la releva et lui adressa avec affabilité quelques paroles flatteuses, lui faisant compliment de ses ouvrages et de l'heureuse influence qu'ils avaient exercée sur le rétablissement de la religion catholique en France.

      Les marchands de chapelets et de rosaire durent faire leur fortune durant cet hiver. Il y avait des magasins où il s'en débitait plus de cent douzaines par jour. Pendant le mois de janvier seulement, cette branche d'industrie rapporta, dit-on, à un marchand de la rue Saint-Denis, 40,000 fr. de bénéfice net. Toutes les personnes qui se présentaient à l'audience du Saint-Père, ou qui se pressaient autour de lui, dans sa sortie, faisaient bénir des chapelets pour elles-mêmes, pour tous leurs parens et pour leurs amis de Paris ou de la province. Les cardinaux en distribuaient aussi une incroyable quantité, dans leurs visites aux divers hôpitaux, aux hospices, à l'hôtel des Invalides, etc. On leur en demandait même dans leurs visites chez des particuliers.

      La cérémonie du sacre de Leurs Majestés avait été fixée au 2 décembre. Le matin de ce grand jour, tout le monde au château fut sur pied de très-bonne heure, surtout les personnes attachées au service de la garde-robe. L'empereur