La figure 45 donne le développement de l'intérieur de la tour de Montépilloy de e en f (voyez au plan, fig. 43). Les escaliers, pris aux dépens de l'épaisseur du mur cylindrique, sont indiqués par des lignes ponctuées. En A est la poterne, et en B, au-dessus, la chambre de la herse et du mâchicoulis. En C, les arcades qui, de l'étage supérieur, donnaient sur la galerie des hourds avant la sur-élévation du XVe siècle.
Cette construction est bien faite, en assises réglées de 0m,32 de hauteur (un pied), et tout l'ouvrage serait intact si l'on n'avait pas fait sauter à la mine la moitié environ du cylindre. Heureusement la partie conservée est celle qui présente le plus d'intérêt, en ce qu'elle renferme les escaliers de la poterne. Naturellement on a fait sauter de préférence les parties qui regardaient l'extérieur, lorsqu'on a voulu démanteler le château.
On comprend, quand on visite le château de Montépilloy, pourquoi Louis d'Orléans jugea nécessaire de surélever la tour et de la terminer par une plate-forme.
Possesseur du duché de Valois, prétendant faire de ce territoire un vaste réseau militaire propre à dominer Paris, il était important d'avoir près de Senlis, sur la route de la capitale, un point d'observation qui pût découvrir le parcours de cette route depuis sa sortie de Senlis jusqu'à Crespy. Or, on ne pouvait mieux choisir ce point d'observation qui, occupé par une garnison sur une hauteur, permettait de couper le passage à tout corps d'armée débouchant de Senlis. Cette garnison avait d'ailleurs la certitude d'être soutenue par les troupes enfermées dans Crespy, Béthisy, Vez et Pierrefonds, si ce corps d'armée tentait de forcer le passage. Les gens sortis de Montépilloy n'avaient point à s'inquiéter s'ils étaient coupés eux-mêmes de leur château, puisqu'ils pouvaient battre en retraite jusqu'à Crespy, et plus loin encore, en défendant pied à pied la route qui pénètre au coeur du Valois. Mais pour que ces obstacles fussent efficaces, il fallait avoir le temps: 1º de se mettre en travers de la route ou sur ses flancs, au moment où une armée envahissante sortait de Senlis; 2º de prévenir par des signaux ou des émissaires les garnisons des châteaux de Crespy et de Béthisy situés chacun à huit kilomètres de Montépilloy, afin de se faire appuyer sur les flancs.
Or, pour prendre ces dispositions militaires, il était d'une grande importance de donner à la tour de Montépilloy la hauteur que nous lui connaissons.
Il faut considérer que l'élévation de ces sortes de tours tenait bien plus de leur situation stratégique que de leur défense propre. On fait habituellement trop bon marché des dispositions stratégiques dans les forteresses du moyen âge. On les étudie séparément, avec plus ou moins d'attention, mais on tient peu compte de l'appui qu'elles se prêtaient pour défendre un territoire appartenant à un même suzerain ou à des seigneurs alliés en vue d'une défense commune, fait qui se présentait souvent. La fréquence des luttes entre châtelains n'empêchait point qu'ils ne se réunissent, à un moment donné, contre un envahisseur; et ce fait s'est présenté notamment lors du voyage de saint Louis dans la vallée du Rhône pour se rendre à Aigues-Mortes. Ce prince réduisit les petites forteresses qui commandaient le fleuve, et dont les possesseurs se défendirent tous contre son corps d'armée, bien que ces châtelains fussent perpétuellement en guerre les uns avec les autres.
Pour ne parler que d'une contrée qui a conservé un grand nombre de restes féodaux, le Valois, on remarquera que les postes militaires éiaient disposés en vue d'une défense commune au besoin, bien avant la suzeraineté de Louis d'Orléans, et que ce prince ne fit qu'améliorer et compléter une situation stratégique déjà forte.
Le Valois était borné au nord-ouest et au nord par les cours de l'Oise, de l'Aisne et de la Vesle, au sud-est par la rivière d'Ourcq, au sud par la Marne. Il n'était largement ouvert que du côté de Paris, au sud-ouest, de Gesvres à Creil. Or, le château de Montépilloy est placé en vedette entre ces deux points, sur la route de Paris passant par Senlis; il s'appuyait sur le château de Nanteuil-le-Haudouin, sur la route de Paris à Villers-Cotterets, et qui se reliait au château de Gesvres, sur l'Ourcq. C'était une première ligne de défense couvrant les frontières les plus ouvertes du duché. En arrière, était une seconde ligne de places s'appuyant à l'Oise et suivant le petit cours d'eau de l'Automne: Verberie, Béthisy, Crespy, Vez, Villers-Cotterets, la Ferté-Milon sur l'Ourcq, et Louvry au delà. Derrière ces deux lignes, Louis d'Orléans établit, comme réduit seigneurial, la place de Pierrefonds, dans une excellente position. Des tours isolées furent élevées ou d'anciens châteaux augmentés sur les bords de l'Aisne et de l'Ourcq. Le passage de la Champagne en Valois, entre ces deux rivières, était commandé par les châteaux d'Ouchy, sur l'Ourcq, et de Braisne, sur la Vesle, couverts par la forêt de Daule.
Au nord, en dehors du Valois, dans le Vermandois, Louis d'Orléans avait acheté et restauré la place de Coucy, qui couvrait le cours de l'Aisne. Tous ces châteaux (Coucy excepté) étaient mis en communication par les vues directes qu'ils avaient les uns sur les autres au moyen de ces hautes tours, ou par des postes intermédiaires. C'est ainsi, par exemple, que le château de Pierrefonds était mis en communication de signaux avec celui de Villers-Cotterets par la grosse tour de Réalmont, dont on voit encore les restes sur le point culminant de la forêt de Villers-Cotterets.
Les expéditions tentées par Louis d'Orléans, et qui n'eurent qu'un médiocre succès, ne prouveraient pas en faveur des talents militaires de ce prince, mais il est certain que lorsqu'il résolut de s'établir dans le Valois de manière à se rendre maître du pouvoir et à dominer Paris, il dut s'adresser à un homme habile, car ces mesures furent prises avec une connaissance parfaite des localités et le coup d'oeil d'un stratégiste. Aussi le premier acte du duc de Bourgogne, après l'assassinat du duc d'Orléans, fut-il d'envoyer des troupes dans le Valois, pour mettre la main sur ce réseau formidable de places fortes.
Ainsi donc il ne faut pas confondre le donjon proprement dit, ou habitation seigneuriale, dernier réduit d'une garnison, avec ces tours qui, indépendamment de ces qualités, ont été élevées suivant une disposition stratégique, afin d'établir des communications entre les diverses places d'une province, et de fournir les moyens à des garnisons isolées de concerter leurs efforts.
La féodalité en France et en Angleterre possède ce caractère militaire particulier; caractère que nous ne voyons pas exprimé d'une manière aussi générale en Allemagne et en Espagne, si ce n'est, dans cette dernière contrée, par les Maures. Il semble chez nous que ces dispositions défensives d'ensemble soient dues plus particulièrement au génie des Normands, qui, au moment de leur entrée sur le sol des Gaules, comprirent la nécessité de concerter les moyens défensifs pour assurer leur domination. Aussi ne les voyons-nous jamais perdre du terrain dès qu'ils ont pris possession d'une contrée; et, de toutes les conquêtes enregistrées depuis l'époque carlovingienne, celles des Normands ont été à peu près les seules qui aient pu assurer une possession durable aux conquérants: la noblesse française profita, pensons-nous, de cet enseignement, et, malgré le morcellement féodal, comprit de bonne heure cette loi de solidarité entre les possesseurs d'un pays. L'unité que put établir plus tard la monarchie avait donc été préparée, en partie, par un système de défense stratégique du sol, par provinces, par vallées ou cours d'eau. Philippe-Auguste paraît être le premier qui ait compris l'importance de ce fait,